Montréal,
le 1er mai 1999 |
Numéro
36
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Vos
commentaires
NOVLANGUE
« We
must do more to reach out to our children and teach them to express their
anger and resolve their conflicts with words, not weapons.
»
Bill Clinton
(au lendemain de
la tuerie de Littleton, entre deux séances de bombardements en Irak
et en Yougoslavie)
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LIBRE EXPRESSION
LUC PICARD, DÉFENSEUR
DES SOUS-PAYÉS
par Gilles Guénette
De la télévision (Omertà, L'ombre de l'épervier...),
au théâtre (Le misanthrope, Traces d'étoiles...),
en passant par le cinéma (Le dernier souffle, Octobre...),
Luc Picard est un comédien très en demande au Québec.
Profitant de sa très grande notoriété, il multiplie
depuis le début de l'année les sorties dans les journaux,
à la télévision et à la radio, dans le but
de sensibiliser la population à la situation économique précaire
de ses collègues comédiens de théâtre.
Fidèle au « modèle québécois
», M. Picard réclame une injection de fonds publics
afin que les comédiens ne se sentent plus obligés de constamment
mener plusieurs projets de front pour pouvoir vivre de leur art. Pourtant,
l'histoire nous démontre qu'une très grande majorité
d'artistes (toutes catégories confondues) ont travaillé ailleurs
en plus de s'adonner à leur discipline respective et que la polyvalence
est presque un pré-requis à la pratique du métier
d'artiste. |
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En attendant... le gros lot
Honorablement, adéquatement, correctement, décemment... voilà
autant de termes utilisés par M. Picard pour décrire
ce que devrait être la norme quand vient le temps de payer nos comédiens
de théâtre pour leur travail. Et récemment dans les
pages de La Presse(1), en
plus de dénoncer le fait qu'ils aient à s'investir dans plusieurs
projets à la fois pour joindre les deux bouts, Picard affirmait
qu'ils n'auraient même pas droit au salaire minimum lorsqu'ils donnent
vie aux nombreux personnages qui peuplent nos salles de théâtre.
« En cinq jours de tournage dans une série comme
Omertà, je fais l'équivalent du salaire qu'on me donne
pour consacrer cinq mois de mon temps à répéter et
jouer 30 fois un rôle comme celui de Lorenzaccio. Au
théâtre, je travaille pour 5$ à 6$ de l'heure.
» Picard se dit excédé par les conditions de
vie imposées aux comédiens de théâtre et il
demande au gouvernement Bouchard d'intervenir: « Je
pense que le gouvernement doit mettre un peu plus d'argent dans nos poches.
Il doit reconnaître que le théâtre a besoin d'être
respecté et adéquatement subventionné. Tu ne peux
t'adonner entièrement à ton métier que s'il te fait
vivre correctement. »
Ainsi, un comédien de soutien qui n'a qu'une quinzaine de répliques
à donner gagnerait environ 150$ par représentation, alors
que le comédien qui tient le rôle principal en recevrait environ
350$. Beaucoup, vous dites? Ces sommes doivent être réparties
pour couvrir les périodes de répétitions – du moins,
c'est le calcul que semble faire M. Picard pour en arriver
éventuellement à demander qu'elles soient rémunérées.
Mais accéder à une telle demande serait comme accorder un
statut particulier à nos comédiens de théâtre.
Car tous les artistes sont confrontés à la même réalité:
ils doivent, à un moment donné, prendre un temps d'arrêt
pour « investir » de leur temps dans l'élaboration
d'un nouveau projet... d'un nouveau produit.
Investir l'art
Depuis toujours, l'artiste vit quelque part en marge de la société
active. Plutôt non-conventionnel, cet éternel travailleur
autonome se réalise ailleurs que dans la routine d'un ouvrage manuel
et répétitif. Qu'il soit chanteur, peintre, sculpteur ou
romancier, l'artiste procède sensiblement de la même façon:
il élabore un produit culturel X pour ensuite le partager avec un
public Z – les sommes recueillies lors de ces échanges lui permettront,
soit de perfectionner son art, soit d'expérimenter de nouvelles
avenues.
À l'origine de chaque création, il y a une idée...
une émotion. Son appropriation par l'artiste est suivie d'une période
de réflexion ou d'exploration dans laquelle il laisse mûrir
cette idée... s'imprègne de cette émotion. Arrive
ensuite une période d'élaboration dans laquelle le produit
commence à prendre forme dans la tête de l'artiste puis dans
le concret. Ces étapes relèvent de la pré-production
et sont en quelque sorte l'investissement de l'artiste qui mènera
ultimement à la réalisation du produit final. Le gros du
travail de l'artiste se situe donc avant même d'avoir un produit
à offrir.
Ainsi, le chanteur a sa période d'écriture (paroles et/ou
musique), puis d'enregistrement avant d'avoir un CD à offrir. L'artiste-peintre
a sa période d'exploration (essais et croquis), puis de peinture
avant d'être en mesure de monter une exposition. Le romancier, l'auteur,
le scénariste, ont chacun leur période de recherche (création
de fichiers et élaboration de structures), puis de rédaction
avant d'avoir un manuscrit ou un scénario à présenter.
Et cetera. La situation du comédien de théâtre n'a
rien d'exceptionnelle. Lui aussi doit « investir »
dans son produit. Lui aussi doit passer par les étapes non-rémunérées
d'exploration, de recherches et de répétitions avant d'avoir
un produit à offrir. Lui aussi doit mettre des sous de côté
en prévision de ces périodes financièrement plus «
creuses ».
Vivre de son art
« Tu ne peux t'adonner entièrement à ton métier
que s'il te fait vivre correctement », clame M.
Picard. Pourtant l'histoire nous démontre que la très
grande majorité des grands artistes de l'histoire ont eux aussi
dû recourir à un emploi parallèle pour payer les factures
(voir UNE VISION OPTIMISTE DE L'ART, le QL
no 17). Une très grande majorité
d'entre eux ont aussi dû mener plusieurs projets de front afin de
poursuivre leur oeuvre. Cela ne les a pourtant pas empêché
de repousser les limites de l'art et de laisser leur marque.
La plupart des grands compositeurs vendaient les partitions musicales de
leurs pièces pour que des musiciens amateurs puissent les jouer
à la maison. Plusieurs peintres aujourd'hui renommés, en
plus de remplir des commandes de portraits, s'adonnaient à la gravure
commerciale. Des romanciers écrivaient pour des journaux... Et les
artistes canadiens ne font pas exception à la règle. Encore
cette semaine, on pouvait lire dans les pages du National Post(2)
que six des sept peintres membres du fameux Groupe des Sept ont travaillé,
à un moment ou un autre de leur carrière, pour la firme torontoise
de design Grip Ltd. afin de pouvoir poursuivre leur art.
En rendant les périodes de répétitions payantes au
théâtre (comme elles le sont en France), c'est toute la démarche
artistique que M. Picard veut réinventer – la rendre...
plus « subventionnable », si l'on veut. Pourtant,
la plupart des acteurs pour qui il a entrepris ce combat ne sont même
pas appelés à consacrer comme lui plusieurs mois à
répéter un personnage. Ils ont souvent de plus petits rôles
qui demandent moins de temps préparation. Et en ce sens, les montants
qu'ils reçoivent chaque soir sont substantiels (ils touchent entre
75$ et 175$ l'heure, si l'on calcule qu'une pièce moyenne dure environ
deux heures) et de rendre les répétitions payantes ne les
empêcheraient pas de « s'absenter (...) pour gagner
leur pain à la télé, dans les commerciaux et à
la postsynchronisation » comme le déplore M.
Picard.
Alors, quelles autres solutions reste-il à envisager? M. Picard
dit « ne pas être le bon gars »
pour les trouver, mais dans une entrevue qu'il accordait récemment
à Élaine Lauzon de l'émission Programme de star(3),
en plus de répéter « qu'une implication
un peu plus généreuse du gouvernement »
serait une avenue à ne pas rejeter du revers de la main, il mentionnait
qu'une réduction du nombre de spectacles présentés
en serait peut-être une autre.
S'il y a quelque chose à ne pas faire, c'est bien cela. Parce que
si les périodes de pré-production sont l'investissement de
l'artiste dans son produit final, le plus de spectacles seront présentés,
le mieux se sera. C'est comme si à toutes les fois qu'il jouait
devant un public, il amortissait les coûts de ses périodes
d'exploration du personnage et de répétition. Au contraire,
il faudrait que les comédiens puissent jouer plusieurs mois d'affilée
pour éventuellement faire leurs frais.
Fonction théâtre
Que des travailleurs qui souhaitent améliorer leur sort négocient
avec leur patron, personne n'a rien à en redire. Ça ne concerne
qu'eux. Mais dans le cas des comédiens de théâtre,
accéder à leurs demandes serait comme « fonctionnariser
» leur profession. Encore une fois, ce serait vous et moi
qui écoperions. Encore une fois, l'argent de nos taxes serait utilisé
pour améliorer artificiellement le sort de quelques travailleurs
incapables de gérer eux-même leur vie.
Ainsi, au lieu de demander plus de sous pour améliorer leur qualité
de vie, les comédiens-fonctionnaires en demanderaient pour pouvoir
mieux compétitionner « collectivement »
sur le plan international... pour mieux représenter le Québec
au sein de la francophonie... mieux renforcer la position culturelle du
Québec... mieux combattre la menace culturelle américaine...
Toutes leurs revendications prendraient alors des proportions insoupçonnées
(comme c'est déjà le cas dans plusieurs autres secteurs).
Elles deviendraient des questions de vie ou de mort culturelle.
Alors, pourquoi devrait-on leur accorder un statut spécial? Plusieurs
diront que c'est justement parce que la situation de nos artistes est spéciale...
qu'ils oeuvrent pour une noble cause... que sans eux, il n'y aurait pas
de Québec... sans eux, toute cette inestimable richesse culturelle
n'existerait pas... sans eux nous ne serions probablement que des Canadiens...
ou pire encore, que des Américains! Que notre marché est
trop petit... qu'il faut le protéger... qu'il faut se sentir collectivement
concernés... qu'il en va de notre avenir et de celui de nos enfants...
Et bla, bla, bla. Reste que ça n'est pas à vous et à
moi de payer pour que quelques artistes dont vous ne verrez peut-être
jamais les oeuvres puissent créer à bras et à tête
reposés.
1. Raymond Bernatchez, «
Un Lorenzaccio payé 5$ l'heure », La
Presse,
samedi le
13 mars 1999, p. D1 et D4. >>
2. Katrina Onstad, «
The art that paid the bills », National Post,
april 5th, 1999, p. D4. >>
3. Programme de star,
CITÉ-Rock Détente, dimanche le 4 avril 1999.
>>
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