Montréal,
le 15 mai 1999 |
Numéro
37
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« The minority is always right. »
Henrik Ibsen
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BILLET
JE TE TIENS PAR LA
BARBICHETTE
par Brigitte Pellerin
Il n'y a jamais rien de gratuit en ce bas monde. Méfions-nous des
vendeurs de balayeuses et des gens souriants: chaque fois qu'on se fait
présenter quelque chose qui sonne trop bien c'est qu'il y a, selon
l'expression consacrée, anguille sous roche.
Non mais dites-moi: pourquoi le voisin, soudainement, file des gâteries
au chat qui grignote sans gêne ses plants de basilic? Pourquoi Brault
& Martineau vous permet de partir avec des meubles sans avoir à
les payer tout de suite? Pour vous faire plaisir? Parce que vous avez de
beaux yeux?
... |
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Aujourd'hui, t'as rien pour rien
Eh oui, je sais. C'est plate, mais c'est comme ça. Rien n'est gratuit;
et il faut toujours payer pour jouer. C'est la règle. Quand on reçoit
des fleurs, c'est parce que le mec a 1) des idées pas catholiques
derrière la tête; ou 2) quelque chose à se faire pardonner.
On le voit venir de loin, avec son bouquet et ses gros sabots.
Dernièrement, le gouvernement du Parti québécois annonçait
qu'il allait accorder le même statut légal aux conjoints de
même sexe que ce qui est déjà reconnu aux «
conjoints de fait ». La ministre de la Justice
a déposé son projet de loi, l'Assemblée nationale
au grand complet l'a applaudie comme il faut, et le tout s'est acheminé
délicatement et sans douleur vers les premières pages des
journaux. Oh, comme le Québec est « avant-gardiste
», comme on est fiers d'avoir l'esprit collectif aussi ouvert!
Youppi, le Québec est la première province canadienne à
franchir la barrière psychologique qui semble retenir (encore et
toujours) ces pauvres coincés d'anglos.
Ne vous méprenez pas: je ne m'en viens pas vous faire une dissertation
sur les vertus morales de ci et de ça. Je me fiche totalement de
ce que font les gens dans l'intimité de leur boudoir. Qu'ils vivent
entre hommes, entre femmes, avec trois lézards et 8 télévisions;
ça ne me fait pas un pli sur la différence. Gays ou pas,
mariés ou pas, opérés des amygdales ou pas; je m'en
tape. J'ai autre chose à faire que m'amuser à jouer les directeurs
de conscience, ça s'adonne.
Ceci dit, il y a comme qui dirait quelque chose qui cloche dans toute cette
histoire. On change 28 lois et 11 règlements pour y
inclure les couples de même sexe, ce qui leur permettra de recevoir
les mêmes bénéfices (régimes de retraite, prêts
étudiants, aide juridique, etc) auxquels ont droit les gens mariés
ou vivant en union de fait. Les coûts? Oh, environ 15 millions par
année.
Non, ce n'est pas énorme – enfin, il y a pire. Oui, les groupes
gays ont raison d'être contents. N'empêche, il y a quelque
chose qui cloche...
Où il est le feu?
Pourquoi se garroche-t-on? Qu'est-ce qui est si urgent? Pourquoi ne pas
s'occuper plutôt de choses plus... disons, plus pressantes? Il me
semble que les hôpitaux, ou les écoles (never mind
les baisses d'impôt), ça touche pas mal plus de monde que
la reconnaissance des couples de même sexe. Et il me semble que ce
que la population veut est plutôt limpide, surtout quand vient le
temps de parler de soins de santé: arrangez-nous ça, ce bordel-là.
Voyez, c'est ce qui arrive quand on laisse les gouvernements libres de
faire ce qu'ils veulent. Il s'excitent, s'enflamment, et se mettent à
vouloir « intervenir » partout. Après,
le pauvre monde n'a plus grand-chose à dire quand les choses dérapent.
Mais bon, ils n'ont pas l'air de comprendre bien vite; alors passons à
un autre appel.
« Et
je serais bien curieuse de voir les chiffres, parce que mon petit doigt
me dit qu'en général, les gays auraient tendance à
voter plutôt à gauche... »
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D'après vous, qui va s'élever contre la reconnaissance légale
des couples de même sexe? Quelques personnes âgées,
les curés, et deux ou trois eccentriques. Parce qu'à peu
près tout le monde s'en fiche (je dois reconnaître que le
PQ a un point: c'est vrai que les francophones, en général,
sont plus tolérants que les anglos face à l'homosexualité
– ce qui expliquerait d'ailleurs pourquoi le PLQ s'est empressé
d'annoncer son appui sans équivoque au projet de loi); tout le monde
s'en fiche, donc. Et pourquoi on ne donnerait pas aux conjoints de même
sexe les bénéfices auxquels les autres couples ont droit?
Ben oui, hein. Pourquoi pas? Il n'y a pas vraiment de raison valable pour
ne pas « enclencher le processus ».
Il n'y a rien dans ce projet de loi pour faire monter les «
intervenants sociaux » sur leurs grands chevaux.
Les gens ne descendront pas dans la rue; ils se contenteront de hausser
les épaules et de maugréer deux ou trois commentaires, puis
ils retourneront tranquillement remplir leur piscine hors-terre. (c'est
pour la rime)
Mais des gens qui poussent depuis des années pour qu'on leur accorde
les droits conjugaux de la majorité silencieuse, c'est loin d'être
rare. Eux aussi, ils votent. Et je serais bien curieuse de voir les chiffres,
parce que mon petit doigt me dit qu'en général, les gays
auraient tendance à voter plutôt à gauche... d'où
la volonté du présent gouvernement de... parce que vous savez
ce qui s'en vient... et qu'il faut réunir le plus de monde possible
derrière la grande bannière du...
Vous voyez-tu ce que je veux dire? Quand je vous disais que rien n'est
gratuit...
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