Montréal,
le 15 mai 1999 |
Numéro
37
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MOT POUR MOT
ANDRÉ ARTHUR ET
LA LIBERTÉ D'ÉCOUTER
L'animateur de l'émission l'Heure de
vérité diffusée à CKVL, André
Arthur, ira en Cour fédérale pour contester une décision
du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications
du Canada (CRTC) qui vise à le censurer. Il ne reconnaît pas
le pouvoir de cet organisme bureaucratique de contrôler ses propos
de façon indirecte, dans un pays où la liberté d'expression
est supposément garantie par la constitution (voir VIVE
LE QUÉBÉCOIS LIBRE, p.
12)
Dans son émission du 3 mai dernier, M. Arthur a longuement expliqué
pourquoi il se lançait dans cette bataille. Dès le lendemain,
ses patrons lui ordonnaient de se taire et de ne plus en parler en ondes.
Nous reproduisons ici un extrait des explications d'André Arthur: |
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(...) Le but de faire de la radio, c'est pas de se faire des amis ou de
plaire. Mon but, c'est de faire de la radio intéressante qui fait
jaser et réfléchir. Vous êtes pas obligés de
m'écouter, ça me donne toute la liberté au monde.
S'il y avait juste un poste de radio, vous seriez obligés de m'écouter
et je serais obligé de faire attention. Il y a à Québec
treize ou quatorze stations de radio, il y en a plus de vingt à
Montréal, puis vous m'écoutez quand même.
La seule façon de justifier alors de contrôler mes paroles,
c'est que vous êtes des imbéciles faciles à influencer,
et quand je dis que le Général de Gaulle est un enfant de
chienne, ça risque d'avoir sur vous un effet pervers, puis vous
êtes trop caves pour vous en défendre. Bien excusez-moi, je
pense pas que mes auditeurs c'est des caves. Ils sont pas plus caves que
les lecteurs du Devoir, ils sont pas plus caves que les auditeurs
de Radio-Canada. C'est des citoyens canadiens comme les autres avec
les mêmes droits que les autres.
J'ai donc l'intention de me présenter en Cour fédérale
du Canada pour demander l'annulation de la décision contre CKVL.
CKVL n'a rien à voir là-dedans. Je suis sûr
qu'ils sont aussi surpris de vous de m'entendre aujourd'hui. Mais si des
fonctionnaires érigés en tribunal ont le pouvoir de changer
la constitution du Canada et d'appliquer à quelqu'un des normes
sans même l'avoir entendu, parce que supposément les normes
sont appliquées par station de radio interposée: «
On peut pas empêcher Arthur de faire ça, mais on peut
forcer CKVL à empêcher Arthur de faire ça
», bullshit! Ça c'est une façon japonaise,
comme disait le gars de Martineau Walker. Si la Cour fédérale
du Canada me dit que ma liberté d'expression comme citoyen canadien
travaillant à la radio est soumise aux caprices des fonctionnaires
nommés au CRTC par le gouvernement à son bon caprice, si
les tribunaux canadiens me disent que c'est comme ça que ça
marche, je n'ai pas d'affaire à continuer à travailler à
la radio, c'est fini, c'est fichu, on est complètement dépassé.
Le Canada, il n'y a plus rien à faire avec ça.
Si par contre, en obligeant CKVL à censurer un animateur
parce qu'on n'a pas la capacité de censurer l'animateur mais on
veut donner des ordres à la station pour qu'elle le fasse à
leur place, si le CRTC a abusé de son pouvoir, je veux qu'il le
sache et que ces folies-là arrêtent. Mon but dans la vie n'est
pas de vous plaire ou de vous déplaire. Mon but c'est de faire de
la radio la plus intéressante possible, pour le plus d'auditeurs
possible. Les seuls qui peuvent me décrisser de la radio, c'est
vous les auditeurs. Vous avez rien qu'à pas écouter et ça
ne sera pas long que je vais perdre ma job. Parce que vous êtes libre.
Vous êtes pas obliger de m'écouter. Mais si quelqu'un veut
décider à votre place et à la mienne ce qu'on a le
droit de se dire, vous et moi, on a un maudit problème.
« Ça
fait trente ans que j'endure un système d'hypocrites qui contrôlent
le contenu de mes émissions en faisant semblant de croire à
la liberté, ben là la liberté elle va passer, ou bien
elle va casser. »
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Donc – si je peux remettre mes idées d'aplomb –, ce que j'essaie
de vous dire c'est ceci: je m'en vais en Cour fédérale du
Canada, tout seul, pas d'avocat. Je demande de faire annuler la décision
du CRTC contre moi par l'entremise de CKVL, c'est-à-dire
celle qui force CKVL à me censurer. Je suis prêt à
reconnaître toute l'autorité des tribunaux, mais certainement
pas des fonctionnaires quant au contenu de mes paroles. Si je vous fais
du tort, vous pouvez me poursuivre. Si vous me faites du tort, je peux
vous poursuivre. Ça c'est correct en société. Mais
vous ne pouvez pas aller demander à des fonctionnaires de m'empêcher
de parler alors que ce que j'ai dit était légal.
Y a-t-il un loi qui dit qu'on n'a pas le droit de dire que Charles de Gaulle
est un enfant de chienne ou que Jean Coutu est un insignifiant? Y'a aucune
loi qui dit ça. Si Jean Coutu s'estime lésé, il a
le droit de me poursuivre. Si les Amis du général de Gaulle
s'estiment lésés – parce que je dis qu'ils sont les amis
d'un enfant de chienne –, ils ont le droit de me poursuivre. Mais là,
je vais pouvoir me défendre. D'égal à égal.
In your face. J'ai pas de problème avec ça. Mais vous
pourrez pas retourner au CRTC pour demander qu'Arthur soit censuré
par CKVL, sans ça CKVL va perdre sa licence, parce
qu'Arthur ne sera plus là pour ça.
Je m'en vais vérifier ça cette semaine. Ça va prendre
des mois. Ça prendra des années, mais moi ça fait
trente ans que je fais de la radio et je ne suis pas capable de me défendre
contre des fantômes. Des gens qui sont cachés derrière
une supposée autorité qui est censée être capable
de faire tellement peur à mes patrons, que mes patrons sont capables
de se revirer pour m'enlever des droits que vous, vous avez et que moi
je devrais avoir. Si on veut me censurer, on va me le faire en pleine face
et je prendrai ma pilule et j'irai conduire des autobus pour le restant
de mes jours.
J'ai pas d'affaire à endurer, dans l'exercice de mes fonctions –
qui consiste à gagner ma vie pour mettre de la nourriture sur la
table de mes enfants –, je n'ai pas d'affaire à subir une organisation
de censure dans un pays où il n'y a pas de censure. Il n'y a aucune
censure qui s'adapte aux journaux. Les journaux sont responsables de ce
qu'ils écrivent. Les postes de radio et de télévision
sont soumis à un organisme de censure qui utilise des pouvoirs indirects
pour faire quelque chose qu'il ne pourrait pas faire directement.
Mais s'il y avait, demain matin, une régie du bois d'épinette
qui contrôlait les quantités de papier que chaque journal
aurait le droit d'imprimer et qui, pour exercer ce pouvoir de contrôle
sur le papier journal, contrôlait le contenu des articles et disait:
« Ce caricaturiste-là n'a pas le droit de caricaturer
Jean Chrétien avec la bouche de travers. Ce caricaturiste n'a pas
le droit de nous montrer la jambe de bois de Lucien Bouchard. Ce caricaturiste-là
n'a pas le droit de nous montrer la voleuse à Lorraine Pagé
– dont on sait maintenant qu'en plus, c'est une menteuse. Cet éditorialiste
n'a pas le droit de dénoncer Charles de Gaulle en disant que c'est
un enfant de chienne parce qu'il a essayé de briser le Canada.
» Les journalistes seraient
dans la rue avec des panneaux.
Mais là, c'est pas grave, c'est Arthur. Les gars, je sais que vous
pensez ça et je ne peux pas vous en empêcher. Je ne vous demande
pas d'être mes amis, je ne serais pas fier de vous avoir comme amis
la majorité d'entre vous. (...) Ça fait trente ans que j'endure
un système d'hypocrites qui contrôlent le contenu de mes émissions
en faisant semblant de croire à la liberté, ben là
la liberté elle va passer, ou bien elle va casser. (...)
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