Montréal, le 29 mai 1999
Numéro 38
 
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     « Quand on veut, on pourrait. » 
 
Ambroise Bierce
 
 
 
 
 
 
BILLET
  
BREAK FREE
  
par Brigitte Pellerin
   
   
          Quand on veut, on peut. Enfin, c'est ce qu'on aime bien s'entendre dire. Et tous ceux qui ont dû absorber le « Succès par la pensée constructive » pour savoir comment vendre des balayeuses par les portes savent qu'une fois qu'on se met une idée bien en place dans la tête, rien ne peut nous empêcher de la pousser à bout.  
  
         Sauf, apparemment, pour les fumeurs. Diantre, qu'est-ce qu'ils en arrachent, les pauvres. Ils voudraient tellement... mais que voulez-vous, sont juste pas capables.  
  
          Maudit que le monde est mal fait.  
  
          C'est vrai, quoi. Vouloir sans pouvoir doit être aussi frustrant que d'être coincé dans le désert, mourant de faim, et n'avoir en main qu'une canne de ragoût de boulettes Chef Boyardee ... et de réaliser qu'on a oublié d'emporter l'ouvre-boîte.  
  
          Quand ça va mal, ça va mal. 
 
 
Ce sentiment de dépendance 
  
          Récemment, Santé Canada commandait une étude pour tester l'efficacité de la propagande (ce n'est pas moi qui le dit; c'était écrit comme ça dans le journal) fédérale contre le tabac. Les résultats sont atterrants. Désespérants, attristants, mettez-en.  
  
          La plupart des fumeurs canadiens veulent désespérément arrêter de fumer mais ils se sentent impuissants à le faire. Une très forte majorité de fumeurs, 75% des hommes et 81% des femmes, ont essayé sans succès d'écraser pour de bon.  
  
          Pourquoi ils ne réussissent pas? Facile: c'est écrit sur les paquets. LA CIGARETTE CRÉE UNE DÉPENDANCE.  
  
          Ben oui, c'est vrai. Comme ça l'est pour le Diet Coke, les barres Mars, le popcorn au cinéma et, apparemment, les hommes à la peau foncée. Once you've had Black, you can never go back, qu'ils disent, ceux (mais surtout celles) qui savent. Bon, passons.  
  
          La cigarette crée une dépendance, disais-je. Ce qui est bien utile pour justifier 1) qu'on fume et 2) qu'on ne peut pas arrêter. Comme dans « oh, je sais que ce n'est pas bon pour ma santé, mais je suis accroché » et plus tard: « j'aimerais tellement ça arrêter, mais je ne suis pas capable ».  
  
          Wô, il y a quelque chose qui me chatouille, là-dedans. Un petit air de déjà vu. Comme quand ma tante Germaine se plaint de ce qu'elle n'arrive pas à perdre du poids, au moment où elle s'apprête à mettre un carré de beurre au grand complet sur un minuscule biscuit Soda qui, jusque-là, n'avait rien fait de mal.  
  
  
  
« Les fumeurs qui se sentent coupables d'en allumer une se rabattent sur n'importe quoi pour éviter de prendre leurs responsabilités. »
 
 
 
          Pas capable d'arrêter? Mon oeil, oui. Il y a toujours plein d'excuses qui sont facilement disponibles pour quiconque n'a pas clairement décidé de mettre ses culottes et de respecter ses résolutions du Nouvel An. « Je ne peux quand même pas commencer mon régime aujourd'hui, on a un souper chez Chose demain soir. » Et gnagnagna.  
  
C'est de la faute à... la société 
  
          Les fumeurs qui se sentent coupables d'en allumer une se rabattent sur n'importe quoi pour éviter de prendre leurs responsabilités. C'est parce que le tabac crée une dépendance, ou parce que le gouvernement n'est pas assez efficace à empêcher les compagnies de tabac de vendre leurs produits; surtout pas parce qu'ils n'ont pas assez de volonté pour décider qu'assez, c'est assez. Et pas demain ou la semaine des quatre jeudis, mais drette là, tout de suite.  
  
          C'est fatiguant, à la fin. Comme si fumer était tellement « compliqué » qu'arrêter était impossible. Comme s'ils attendaient que quelqu'un d'autre le fasse à leur place. Ce qui, soit dit en passant, s'en vient: selon Luc Ladouceur, directeur du contrôle sur le tabac (my, on croirait entendre parler d'AK-47) à Santé Canada, les fumeurs auront bientôt accès à un numéro sans frais pour les « accompagner dans leur démarche » (comme dans 1-800-chupa-capable-tuseul) et à une trousse gratuite pour arrêter de fumer.  
  
          Youppi. Le gouvernement s'en occupe. Comme ça, les fumeurs accros (sic) pourront « revendiquer » des services décents, s'attendre à ce les méthodes officielles marchent au quart de tour, et pourront même poursuivre Santé Canada si ça ne fonctionne pas.  
  
          Heille, ça serait drôle. J'irais certainement voir ça au Palais de justice. Jos Blos contre La Reine: Jos a suivi avec diligence les méthodes prescrites par l'agence officielle de santé publique, mais ça n'a pas fonctionné. Jos fume toujours son cartoon par semaine. Jos a droit à un dédommagement d'au moins 5 millions $ pour perte de jouissance de la vie. Pauvre Jos, il s'attendait à ce que les méthodes infaillibles marchent; et il avait déjà commencé à dépenser l'argent qu'il croyait sauver en arrêtant de fumer. Le gouvernement est coupable de fausse représentation.  
  
          Ne riez pas trop vite, le scénario n'est pas aussi impensable qu'il en a l'air.  
  
          Tour ça pour dire ceci: arrêtez-donc de vous rabattre sur autrui et prenez-vous en main, que diable. Si vous voulez arrêter de fumer, arrêtez et puis c'est tout. Mâchez de la gomme, chantez sous la douche, allez faire du jogging, tirez sur une paille, je ne sais pas moi. Mais cessez de vous plaindre que « c'est trop difficile ».  
  
          Si vous n'êtes même pas fichus d'arrêter de fumer tout seul, comment espérez-vous vous débrouiller, dans la vie? En demandant aux autres de tout faire à votre place? Well, c'est bien triste. 
 
 
 
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