Montréal,
le 26 juin 1999 |
Numéro
40
|
(page 2) |
page précédente
Vos
réactions
Le QUÉBÉCOIS
LIBRE est publié sur la Toile depuis le 21 février 1998.
Il défend
la liberté individuelle, l'économie de marché et la
coopération volontaire comme fondement des relations sociales.
Il s'oppose
à l'interventionnisme étatique et aux idéologies collectivistes,
de gauche comme de droite, qui visent à enrégimenter les
individus.
Les articles publiés
partagent cette philosophie générale mais les opinions spécifiques
qui y sont exprimées n'engagent que leurs auteurs.
|
|
ÉDITORIAL
SEINS À LOUER
par Martin Masse
La rhétorique des gouvernements et de leurs valets pour subventionner
tout un chacun se fondait jusqu'ici sur des arguments assez conventionnels:
redistribuer la richesse, favoriser le développement économique,
promouvoir la culture, etc. Mais l'industrie du parasitisme est aussi dynamique
que n'importe quelle autre et connaît elle aussi ses innovations.
Un lobby féministe canadien bizarrement nommé Mothers
are Women dévoilait ainsi il y a quelques jours un document
dans lequel il demande la reconnaissance de l'allaitement maternel comme
une « importante industrie de production alimentaire
» et l'inclusion officielle des mères qui allaitent
dans la main-d'oeuvre du pays. Cela impliquerait bien sûr la mise
en place de crédits d'impôt, de mesures spéciales pour
contribuer aux régimes de pensions publiques et d'autres programmes
visant spécifiquement ces mères « travailleuses
».
Au colloque organisé par Mothers are Women à Ottawa
pour discuter de ce sujet, d'autres féministes sont allées
plus loin. Selon Mary King, une économiste de Portland membre de
l'International Association for Feminist Economics, les mères
qui allaitent devraient même être payées par le gouvernement
pour ce service qu'elles rendent à la société: «
Breastfeeding absolutely should be paid for. It creates value, it
creates health and people should be paid to feed their children that way.
»
Ces féministes considèrent en fait les femmes qui allaitent
comme l'équivalent de ces prostituées retenues de force dans
des bordels du Tiers-Monde, qui sont exploitées comme de véritables
esclaves du sexe, sans être payées pour leurs services. Ce
n'est pas une exagération. Dans le manuel des Mothers are Women,
on explique que « Keeping unpaid work unaccounted
is a form of slavery. » Alors que les prostituées
louent de force leur corps à des clients sans en retirer les profits,
les mères, elles, sont forcées de louer leurs seins à
la collectivité sans qu'on reconnaisse et rémunère
leur travail. |
|
Des enfants pour la nation
Disons-le franchement, ces arguties théoriques relèvent du
délire. Mais comme nous vivons dans une société où
l'idiotie est très appréciée des gouvernements et
où l'on finit toujours par la subventionner, aussi bien essayer
de comprendre un peu mieux pourquoi nous serons probablement obligés
à payer pour celle-ci dans un avenir plus ou moins lointain.
Alors, qu'est-ce qui cloche dans cette rhétorique? D'abord, les
mères ne sont aucunement obligées de faire des enfants ni
de les allaiter au sein. Les comparer avec des esclaves du sexe n'est qu'un
truc démagogique pour frapper l'imagination qui n'a évidemment
aucun fondement.
Plus fondamentalement, l'idée que les mères rendent un service
à la collectivité en allaitant leurs enfants est fausse.
En réalité, l'allaitement, tout comme les autres aspects
de l'éducation d'un enfant, ne sont « produits »
que pour une seule raison fondamentale: celles qui le font en retirent
des bénéfices pour elles-mêmes. Elles le font dans
leur intérêt propre et pas du tout pour la collectivité.
Qui connaît une mère – ou un père – qui a décidé
de faire et d'élever un enfant dans le but de rendre service à
la société? Personne évidemment. Il s'agit là
d'une des décisions les plus fondamentales et les plus lourdes de
conséquences que peut prendre quelqu'un. Les sacrifices personnels
qui y sont rattachés sont grands, mais ceux qui souhaitent fonder
une famille s'attendent d'en retirer des gratifications encore plus importantes.
Quelles que soient les raisons qui mènent à la fondation
d'une famille, le bien collectif n'entre certainement pas dans les calculs
de la presque totalité des futurs parents, et ce malgré les
sermons des anciens curés comme ceux des politiciens d'aujourd'hui
avec leurs politiques natalistes. Les seules personnes qui pourraient sérieusement
considérer de faire des enfants pour la nation sont soit des zélotes
ultranationalistes, soit des désaxés mentaux, ce qui est
plus ou moins la même chose.
« Les
mères qui allaitent diffèrent des putains
d'une autre façon.
Alors que les secondes procurent un service ayant une valeur monétaire
concrète, ce que font les premières n'a aucune valeur marchande.
»
|
|
C'est bien sûr un truisme que de dire qu'il faut des enfants pour
que la société se renouvelle, et donc que la production et
l'éducation d'un enfant sont une sorte de bienfait abstrait pour
la société dans son ensemble. Mais il n'y a rien de particulier
aux enfants là-dedans. L'hygiène personnelle est aussi un
bienfait pour la société. Imaginez si les gens arrêtaient
de se laver le matin avant de prendre le métro et d'aller au travail!
Imaginez les maladies qui se répandraient! Et pourtant, les gens
se lavent non pas pour faire plaisir à la personne assise à
côté d'eux dans le métro, ou pour réduire les
coûts du système de santé, mais bien parce qu'ils se
sentent mieux propres. Devrait-on payer les gens qui se lavent pour ce
bienfait rendu à la société? Devrait-on payer ceux
qui étudient fort parce qu'ils feront de bons travailleurs et augmenteront
la productivité générale de l'économie? Devrait-on
payer ceux qui font de l'exercice parce qu'ils contribuent à la
forme et à la santé globales de la population? Absurde! Tout
aussi absurde que de suggérer qu'on paie les mères pour faire
ce qui est essentiel et naturel pour elles-mêmes et pour leur enfant.
Mères VS putains
Les mères qui allaitent diffèrent des putains d'une autre
façon. Alors que les secondes procurent un service ayant une valeur
monétaire concrète, ce que font les premières n'a
aucune valeur marchande. La « valeur » dont on
parle ici n'a rien à voir avec une valeur morale ou une valeur abstraite
pour la société. De toute évidence, assurer la survie
d'un enfant est plus important que soulager les besoins sexuels d'un client.
Il s'agit ici d'un concept économique, puisque c'est bien sur ce
terrain que les féministes font porter le débat. Selon elles,
l'allaitement a bel et bien une valeur économique qui doit être
reconnue et récompensée par le gouvernement.
Aucun bien ou service n'a de valeur « en soi »,
une chose n'a de valeur que sur la base d'une évaluation subjective,
parce que des consommateurs désirent l'obtenir. On connaît
la loi de base de l'offre et de la demande: toutes choses étant
par ailleurs égales, les objets fortement en demande ou rares auront
tendance à coûter plus cher; ceux peu en demande ou très
abondants auront tendance à coûter moins cher. La seule façon
de déterminer ce prix, et donc cette valeur relative, est de constater
ce que les gens sont prêts à payer et prêts à
recevoir pour obtenir ou offrir un bien ou un service.
Les économistes gauchistes patentés qui travaillent pour
le gouvernement et les groupes de pression ne reconnaissent évidemment
plus la primauté de cette loi économique. Ils ont inventé
des tas de nouvelles façons d'attribuer une valeur à quelque
chose, qui justifie toutes les interventions imaginables. Interrogée
à savoir comment on allait calculer le taux de rémunération
pour une activité comme l'allaitement, l'économiste féministe
Mary King a répondu candidement: « There are
any number of ways you could do it. Economists can think of a value for
anything. That's what we're paid for. »
Mais si on laisse de côté les multiples méthodes de
calcul de ces charlatans, on doit se rendre à une évidence:
l'allaitement n'a aucune valeur marchande, parce que personne n'est prêt
à payer pour obtenir qu'une mère allaite son enfant. Alors
que des hommes sont prêts à payer pour louer les seins et
d'autres parties du corps d'une prostituée, personne ne veut louer
les seins d'une mère pour que le service qui consiste à allaiter
soit rendu à son bébé. L'allaitement n'a aucune valeur
économique parce qu'il n'a aucune valeur d'échange. Tout
comme votre hygiène personnelle: même si les gens dans votre
entourage préfèrent vous voir propre, personne n'est prêt
à vous payer pour que vous vous laviez le matin.
Vulgaire marchandise
L'un des arguments répétés ad nauseum par les
propagandistes gauchistes contre le libre marché, l'économie
capitaliste, ou ce qu'ils appellent le « néolibéralisme
», est le fait que ce système tend à tout réduire
à un objet monnayable et à une vulgaire marchandise. C'est
pourtant le contraire qui est vrai. Dans une société libre,
les objets monnayables ne sont que ceux que l'on ne possède pas
et que l'on veut se procurer de quelqu'un d'autre moyennant un montant
mutuellement acceptable. On n'a pas besoin d'accoler une valeur monétaire
à tout ce qui est important et même essentiel si ça
ne fait pas l'objet d'un échange sur le marché. Ce qu'on
peut produire soi-même et pour soi-même, comme l'allaitement
de son enfant, son hygiène personnelle, son développement
intellectuel, n'est pas une marchandise ou un service public devant être
rémunéré, mais simplement une activité normale
que l'on fait pour mieux vivre. Et des tas de choses peuvent se faire gratuitement,
y compris des services rendus aux autres, dans la mesure où l'on
y trouve son compte pour une raison ou une autre.
Dans une société socialiste comme la nôtre par contre,
tout devient véritablement monnayable – et sujet à être
réglementé –, parce qu'il y a toujours des lobbies de parasites
qui sont prêts à soutenir que n'importe quelle condition,
activités, situation stratégique ou marginale, leur donne
droit à des compensations et à des revenus supplémentaires.
Les gouvernements interventionnistes quant à eux se laissent facilement
convaincre de prendre l'argent dans les poches des uns pour le donner à
d'autres, selon la mode intellectuelle du moment. Tout ceux qui constatent
alors qu'un peu de lobbying peut porter fruits ne voient plus la nécessité
d'agir sans arrière-pensée financière. Et les gens
productifs qui sont les victimes de ce système ont par ailleurs
eux aussi de moins en moins tendance à faire des choses gratuitement,
parce qu'ils en ont assez de se faire siphonner au profit de tas de groupes
qui utilisent, en plus de la compassion, les arguments les plus farfelus
pour profiter un peu plus des deniers publics. L'élan du coeur est
inévitablement remplacé par le sentiment qu'on se fait constamment
flouer.
Dans notre système collectiviste, l'État bousille par ses
interventions constantes et abusives dans l'économie la valeur des
biens monnayables sur le marché, alors que l'acte gratuit perd son
sens. Les services qui supposément n'ont « pas
de prix » selon le discours démagogique officiel,
comme par exemple la santé et l'éducation, sont pourtant
l'objet des pires tiraillements financiers. La corruption mentale engendrée
par l'étatisme et la perversion morale issue du parasitisme sont
par ailleurs tellement rendue loin que des femmes veulent maintenant se
faire payer pour l'acte qui devrait être le plus gratuit au monde:
donner la vie, donner le sein.
Articles précédents
de Martin Masse |
Le Québec libre des
nationalo-étatistes
|
« Après avoir pris ainsi
tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir
pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur
la société tout entière; il en couvre la surface d'un
réseau de petites règles compliquées, minutieuses
et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux
et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient faire jour pour dépasser
la foule; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les
plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse
à ce qu'on agisse; il ne détruit point, il empêche
de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il
énerve, il éteint, il hébète, et il réduit
enfin chaque nation à n'être plus qu'un troupeau d'animaux
timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. »
Alexis de Tocqueville
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE
(1840) |
|