Montréal, le 14 août 1999
Numéro 43
 
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POLITIQUE
  
RÉFLEXIONS SUR LA GRÈVE
DES INFIRMIÈRES
   
  
par Jean-Luc Migué
 
           C’est avec un soupir de soulagement que la population du Québec apprend la nouvelle de l’interruption du conflit entre les infirmières et le gouvernement-employeur dans les hôpitaux. Le débat qui a eu cours tout au long de ce drame a porté sur une seule dimension: les infirmières sont-elles insuffisamment payées et le gouvernement devrait-il jeter un peu de lest pour les convaincre de revenir au travail? Cette formulation est irrecevable. La vraie question n’est pas posée.  
 
 
          Le régime qui régit l’allocation des ressources dans le secteur hospitalier et en général dans le secteur de la santé ne marche pas et, dans sa forme actuelle, il ne peut pas marcher. Les hommes libres retiendront comme point de départ qu’aucune entité dans une société, ni le monopole gouvernemental ni le monopole syndical des infirmières, ne devraient détenir le pouvoir légal, encore moins illégal, de paralyser une industrie aussi vitale que celle de la santé de la population. Or l’aménagement actuel du secteur de la santé en monopole public doublé du monopole syndical comporte inéluctablement cette menace constante. 
 
Un monopole appelle l'autre 
  
          Le contrôle de la production inhérent à l’étatisation (ou à la réglementation sectorielle par les régies publiques) d’un secteur comme la santé suscite l'apparition d'une rente, d'un profit supplémentaire, d'un bloc de richesse, d'un surplus que quelqu'un s'appropriera. L'apparition de profit suscite la convoitise. Elle donne lieu à ce que l'économiste désigne comme la course aux rentes de la part de toutes sortes d'intérêts qui gravitent autour de l'industrie ainsi monopolisée par le législateur. L'étatisation favorise l'apparition d'un cartel des acteurs, soucieux de faire contrepoids à la concentration accrue de la production entre les mains des politiciens. Le monopole public appelle le monopole syndical et la centralisation des négociations à la « table unique ». On a pu observer cette implication de l'analyse dans les secteurs de l'éducation, de la construction, du transport, de la santé, des télécommunications, etc.  
 
          On ne peut douter que l'organisme syndical coercitif et unique exerce dès lors un rôle déterminant sur les pratiques de l'ensemble des hôpitaux, et en particulier sur la façon de produire le service. En d'autres termes et plus encore que dans les industries commerciales dotées d’un monopole syndical, l'organisme de représentation détient un pouvoir exceptionnel d'influencer la répartition du profit de monopole désormais présent. Certains analystes estiment même que la production devient, dans ce contexte, non pas une activité au service de la population consommatrice, mais plutôt une machine à fabriquer des jobs et des conditions favorables aux syndiqués (voir Réjean Breton, Les monopoles syndicaux dans nos écoles et dans nos villes, Faculté de droit, Université Laval). 
 
Recherché: régime parallèle de santé 
  
          Nous en concluons qu’il est temps de contenir les coûteux monopoles publics qui offrent strictement de l’assurance ou des services privés pour les soumettre à la concurrence. En même temps qu’il comprime la production de services dans ses monopoles, le gouvernement doit, à l’exemple de la plupart des pays, ouvrir la voie à l’implantation de substituts privés, en particulier dans les services de santé. Autrement, sous le régime de monopole public actuel au sein d’une population vieillissante, les services de santé ne cesseront de se dégrader, comme en témoignent l’allongement des files d’attente et la faible pénétration des innovations dans le domaine médical au Canada.  
 
          Or la perspective de surplus budgétaires offre l’occasion rêvée de discipliner le monopole public inefficace de la santé. Le principe à instaurer consisterait à permettre aux contribuables de se constituer, à l’abri du fisc, des fonds d’épargne santé. Cet aménagement offrirait un allègement fiscal immédiat à tous ceux qui touchent un revenu; il susciterait des investissements humains et physiques supplémentaires plutôt que des compressions dans la santé; il injecterait une dose de concurrence dans ce vaste domaine qui en a grandement besoin et il contribuerait à restaurer les bonnes incitations dans le système. 
 
Une simple question d'argent 
 
          Quant à la rémunération des infirmières, l’exode observable vers des cieux plus favorables au sud et à l’ouest confère une force certaine à l’argumentation des syndiquées. Il y a quelques années au contraire, elles gagnaient trop cher. Tel est l’aboutissement d’un régime qui alloue les ressources selon l’arbitraire politique et budgétaire, plutôt que de les régler sur les exigences spécifiques du secteur de la santé. On aura beau dire par contre que le souci des infirmières est la qualité des soins hospitaliers, et donc le même que celui du reste de la population consommatrice, il reste que la seule question en litige est la considération monétaire. Or dans un monde de rareté de ressources, la qualité des soins entre en conflit avec la rémunératon du personnel. L’un ne peut se réaliser que par le sacrifice de l’autre.  
  
          Comme par hasard, depuis l’annonce de l’injection de 11,5 milliards $ supplémentaires par le gouvernement fédéral, les syndicats d’infirmières de quatre provinces ont intensifié leurs pressions et obtenu des gains salariaux sensibles, en Saskatchewan, à Terre-Neuve, en Alberta, et maintenant au Québec. Et pourtant, on sait que la seule injection d’argent frais dans le système ne contribue en rien à résoudre le problème; elle ne sert qu’à garnir un peu mieux les goussets des offreurs de services.  
 
 
 
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