Montréal, le 28 août 1999
Numéro 44
 
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     « I think that God in creating man somewhat overestimated his ability. » 
  
Oscar Wilde
 
 
 
BILLET
  
PERVERSES
SUBVENTIONS
  
par Brigitte Pellerin
   
   
          Il y a un truc qui m'a toujours fait rigoler, ce sont les aphrodisiaques. C'est vrai quoi, voulez-vous bien me dire à quoi ça sert, ces machins-là?  
  
          Précisons.  
  
          Normalement, et pour reprendre une expression qui se trouvait dans mon premier livre sérieux sur les choses de la vie, lorsqu'un homme et une femme s'aiment beaucoup, ils... enfin... vous savez bien; ils sont très attirés l'un vers l'autre et c'est parti pour la grande cavalcade.  
  
          Enfin, quelque chose comme ça. 
 
 
Genèse d'une relation 
 
          Normalement, et surtout au début, les aphrodisiaques sont aussi utiles qu'une bicyclette l'est pour un poisson rouge. Toutes les fois qu'ils se voient, les tourtereaux n'ont qu'une idée en tête: se sauter dessus. Pas besoin d'un manuel de sexologie, tout le monde sait quoi faire; et on apprend à bien le faire à mesure qu'on apprend à mieux se connaître. Simple comme bonjour.  
  
          Sauf qu'apparemment, une fois la folie des fleurs et du chocolat passée, on se lasse quelque peu et les petites étincelles du début se font, comme qui dirait, plus rares. Pourquoi? Oh, peut-être parce que l'attrait de la nouveauté n'exerce plus sa magie, peut-être aussi parce que l'excitation des premières semaines fait tranquillement place à une complicité plus large que le queen-size et qu'on en vient à apprécier plus de choses que le simple chassé-croisé à l'horizontale.  
  
          Et toute l'affaire est là. Quand un couple devient un peu plus pépère, c'est qu'il se passe autre chose, en plus du sexe, qui lie très fortement les deux amoureux l'un à l'autre. La folie des débuts, c'est bien; mais ce qui vient après, quand on est rendus à l'étape des brosses à dents dans le même verre et des boîtes de Tampax qui trônent fièrement sur le bord du bain, c'est encore mieux.  
  
  
  
« Eh oui, les entreprises, c'est comme les quéquettes. Quand elles ont ce qu'il faut sous la main, elles n'ont pas besoin du support étatique pour “y arriver”. »
 
 
 
          Pourquoi vouloir revenir en arrière? Pourquoi retourner à ces moments où seuls les sous-vêtements affriolants comptaient pour lui? Pourquoi s'ennuyer, les filles, des petits becs dans le cou qui finissaient toujours vous-savez-où? En un mot comme en mille, pourquoi se casser la tête à avancer par en arrière quand c'est si plaisant de marcher droit devant, main dans la main, et de regarder l'avenir avec des yeux confiants?  
  
          (Là j'espère que vous savez où je veux en venir parce que l'eau de rose, moi, ça m'éteint l'inspiration solide. Y en a marre de placoter comme Solange, alors si vous n'avez pas encore compris, tant pis.)  
  
Entreprises en manque 
  
          Dites-vous bien que cette petite règle toute simple s'applique également au gouvernement. Hein? Quessé? Z'avez bien lu. La même théorie s'applique parfaitement aux subventions que les politiciens adorent distribuer aux entreprises, surtout à celles qui promettent de créer de l'emploi.  
  
          Eh oui, les entreprises, c'est comme les quéquettes. Quand elles ont ce qu'il faut sous la main, elles n'ont pas besoin du support étatique pour « y arriver ». Une entreprise à succès investira et créera de l'emploi avec ou sans subvention, parce que c'est 1) dans son intérêt de le faire, et que 2) c'est « normal » dans les circonstances, étant donné qu'elle a un produit qui marche bien et que les ressources nécessaires à son fonctionnement et surtout à son expansion (oh, boy) sont juste là, toutes prêtes à être utilisées.  
  
          Au contraire, l'entreprise boîteuse, celle qui a désespérément besoin de la subvention annuelle pour arriver à la fin de l'exercice financier avec tous ses morceaux, devrait sérieusement songer à se recycler dans un autre domaine, ou carrément à fermer ses portes.  
  
          Lorsque le gentil couple s'installe dans ses habitudes, la culbute prend tranquillement moins de place pour en laisser plus à bien d'autres choses plus agréables encore – comme le contrôle de la télécommande, tiens. Oh, bien sûr qu'il arrive encore qu'on se surprenne à se dévorer des yeux et qu'on se fasse encore tout plein de mamours. Heille, c'est juste normal après tout. Personne n'est fait en bois.  
  
          Sauf que, justement, on dirait qu'il y a des mecs qui n'arrivent pas à se faire à l'idée du trois-fois-la-semaine, toujours dans le même sens. Ils désespèrent de retrouver ce feu de paille somme toute agréable qui les forçait à re-repasser sans cesse leurs Hillfiger 100% coton. Ils essaient tant bien que mal, mais le t-shirt qui ne matche pas avec la couleur du legging ne lui fait pas tout à fait le même effet que le p'tit kit Papillon Blanc. Bref, la copine toute simple ne lui suffit plus. Ça lui prend un remontant pour que son truc... enfin... remonte (oh, lala, c'est pied, comme jeu de mots).  
  
          Moi, je trouve ça un peu bizarre. Si Monsieur est malheureux à ce point qu'il lui faille un aphrodisiaque pour y arriver, ça doit être que sa place n'est pas auprès de la donzelle. Demandez aux vieux couples qui « marchent », ils vous le diront; quand t'es dans la bonne situation, t'as pas besoin de toutes ces bébelles qu'ils vendent au Royaume du sexe. Un petit coup d'oeil malicieux et un frottage impudique de pantoufle Isotoner fait parfaitement l'affaire (c'est pour la rime).  
  
          Trouvez pas que c'est plein d'allure? Il me semble que ceux qui ont besoin d'aphros et d'excitants pour y arriver devraient plutôt songer à retourner draguer, non? Alors lâchez-nous les baskets avec vos béquilles et autres subventions, et forcez les entreprises en difficulté à se recycler ailleurs. 
 
 
 
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