Souvenirs heureux
Je suis débarquée l'autre semaine à Stockholm. On
m'avait dit que c'était bien... « Si tu peux
survivre dans un pays où les cigarettes coûtent la peau des
fesses et où acheter une bouteille de vin ressemble plus à
la quête du Graal qu'à une balade à l'épicerie,
tout en acceptant de sourire gentiment aux chauffeurs d'autobus, t'es correct!
»
Quel ne fut pas mon éblouissement de constater que non seulement
les Marlboro y coûtent un tantinet moins cher qu'en Angleterre (ben
oui, je me suis tirée dans les dépenses cet été),
mais qu'en plus, la ville est belle, mais belle! Continuité architecturale
– concept absolument étranger aux Montréalais, qui doivent
habituer leurs petits yeux aux spectacles désolants qui s'étirent
sans gêne le long des rues du centre-ville –, propreté à
faire rougir de honte la plus zélée des ménagères,
une lumière pure qui réfléchit sur les maisons aux
couleurs chatoyantes, des cafés-terrasses qui rappellent la France
(avec un gentil service en plus), des routes larges et dégagées
sur lesquelles roulent des voitures aux dimensions « normales
» – et des conducteurs qui, en plus de respecter les piétons,
conduisent sur le sens du monde – et des tas de blondinets charmants qui
déambulent négligemment sous le soleil parfaitement confortable
du mois d'août.
Bref, le rêve. J'ai littéralement adoré l'endroit,
surtout parce qu'il y est facile, pour peu qu'on se donne la peine, de
s'installer peinard dans les joies et délices qui remplissent les
journées de ces gens aimables, courtois et totalement relax.
Avec tout de même quelques côtés négatifs (ahhh,
enfin). Les taxes de vente sont archi-épeurantes, les prix en général
ont de quoi faire grincer des dents n'importe quel prince arabe et, of
course, une atmosphère générale qui rappelle la
ville de Québec (la soi-disant capitale nationale): tranquille,
pépère, un tantinet fonctionnaire. Tout le monde m'avait
mise en garde contre cet endroit décidément go-gauche où
les mots « modèle » et « spécificité
» prennent toute leur signification.
Autre lieu, autres moeurs
On m'avait aussi prévenue que je ne comprendrais absolument rien
à cette langue scandinave. Que j'allais être encore plus malheureuse
là-bas qu'un Américain peut l'être en visitant le Saguenay;
perdu dans un environnement où commander un Coke avec l'accent du
coin lui fait subrepticement couler une sueur froide le long de l'épine
dorsale... et où il se fait regarder de travers parce qu'incapable
de prononcer « tarrrrte aux frrraises, svp. »
« Je
suis un peu mal à l'aise de raconter
mes petites histoires
salaces aux lecteurs du
Québécois
Libre. Ça ne doit pas être bien vu,
de s'amouracher d'une
bande de socialos. »
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Vous comprendrez que j'étions un tantinet nerveuse.
Pfeu, pantoute. Me suis énervée pour rien, une fois de plus.
Y a absolument rien là, se débrouiller en Suède; tout
le monde il parle angliche! Et quand je dis tout le monde, je ne parle
pas seulement des Song
douaniers et des gens qui bossent à l'ambassade américaine.
Je veux dire tout le monde, des mecs dans les centres d'achats jusqu'au
serveur d'un resto de quartier situé très en-dehors du circuit
touristique. Les jeunes comme les vieux, les hommes comme les femmes.
Tout le monde, c'est-y assez clair?
Et sans vouloir vous emmerder trop longuement, sachez que la plupart des
Suédois parlent également allemand et/ou français.
Et rien ne paraît lorsqu'ils switchent de l'une à l'autre.
Ils ne semblent jamais offusqués d'avoir à utiliser une autre
langue pour accomoder un touriste; au contraire, c'est comme si c'était
pour eux une façon de nous souhaiter la bienvenue en nous rendant
la vie plus facile.
Et vlan, dans les dents.
Polyglottes, les potes. Et pas n'importe comment, à part ça.
Je suis très mal placée pour juger de la qualité de
leur langue maternelle mais, à les écouter parler un anglais
parfait et un français charmant, je me dis que leur suédois
ne risque pas de se faire massacrer. En un mot; si je me trouvais plutôt
débrouillarde parce que je placote en français, en anglais
et en québécois (oui, oui, le québécois est
radicalement différent du français), je me suis sentie carrément
dépassée par les habiletés linguistiques de mes simili-vikings
au teint de pêche.
Bon, peut-être que mes histoires ne vous font pas un pli sur la différence.
Mais sachez que le choc fut brutal en débarquant à Dorval.
Ouh, la la. C'est que les petits Québécois ont l'air parfaitement
satisfaits de ne torturer qu'un seul patois, tout en s'épanchant
jusqu'à ce que mort s'ensuive sur la nécessité d'avoir
cent-douze mille mesures protectrices ainsi que leur propre pays, rapport
à la préservation du français.
Là-bas, ils n'en discutent pas pendant des décennies, ils
ne demandent rien à personne, et ils ne braillent pas comme des
veaux devant les beautiful people des Nations Unies; ils aiment,
chérissent et utilisent largement le suédois entre eux, tout
en se démerdant pour apprendre les autres langues qu'il importe
de maîtriser à l'aube du 21e siècle.
Eh oui. C'est ça, la différence entre ceux qui l'ont et ceux
qui ne l'ont pas.
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de Brigitte Pellerin |