Montréal, le 11 septembre 1999
Numéro 45
 
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    LE QUÉBÉCOIS LIBRE  sollicite des textes d'opinion qui défendent ou contestent le point de vue libertarien sur n'importe quel sujet d'actualité. Les textes doivent avoir entre 700 et 1200 mots. Prière d'inclure votre titre ou profession et le village ou la ville où vous habitez. 
 
 
 
 
 
 
 
MOT POUR MOT
  
LA COLLECTIVITÉ N'A PAS D'EXISTENCE PROPRE
  
 
          La première édition en anglais de L'Action humaine (Human Action), le traité d'économie magistral de l'un des plus illustres représentants de l'École économique autrichienne, Ludwig von Mises, est parue il y a cinquante ans ce mois-ci. Comme le note notre chroniqueur Pierre Desrochers ailleurs dans ce numéro, il serait impossible de résumer un volume de 900 pages, qui touche littéralement presque tous les domaines des sciences humaines.  
  
          S'il y a toutefois un thème crucial développé par l'École autrichienne que chacun devrait connaître, c'est son approche méthodologique individualiste et subjectiviste. Pour les libertariens qui s'inspirent de cette école en effet, toute l'activité humaine s'explique ultimement non pas par des données quantitatives et objectives, ni par des concepts qui réfèrent à des entités collectives (ethnies, sexe, nations ou classes sociales), mais par les idées qui se trouvent dans la conscience subjective des individus qui agisssent. Il n'y a rien de concret dans le monde de l'action humaine qui ne découle de ce que les individus pensent, désirent, interprètent.  
  
          Cela peut sembler banal et évident, mais la presque totalité des courants idéologiques et méthodologiques font fi de cette dimension subjective. Parce qu'elle est par essence en grande partie inquantifiable et insaisissable, on la considère plutôt comme non pertinente. Et on construit des édifices théoriques dans lesquels les individus ne sont alors que des pions sans grande importance.  
  
          Dans l'extrait qui suit de L'Action humaine (p. 47-48), Mises établit les fondements du point de vue méthodologique individualiste.
 
 
  
  
  
TOUTE ACTION EST ACCOMPLIE
PAR DES INDIVIDUS 
  
 
          Tout d'abord nous devons prendre acte du fait que toute action est accomplie par des individus. Une collectivité agit toujours par l'intermédiaire d'un ou plusieurs individus dont les actes sont rapportés à la collectivité comme à leur source secondaire. C'est la signification que les individus agissants, et tous ceux qui sont touchés par leur action, attribuent à cette action, qui en détermine le caractère. C'est la signification qui fait que telle action est celle d'un individu, et telle autre action celle de l'État ou de la municipalité. Le bourreau, et non l'État, exécute un criminel. C'est le sens attaché à l'acte, par ceux qui y sont impliqués, qui discerne dans l'action du bourreau l'action de l'État. Un groupe d'hommes armés occupe un endroit. C'est l'interprétation des intéressés qui impute cette occupation non pas aux officiers et soldats sur place, mais à leur nation. Si nous examinons la signification des diverses actions accomplies pas des individus, nous devons nécessairement apprendre tout des actions de l'ensemble collectif. Car la collectivité n'a pas d'existence et de réalité, autres que les actions des individus membres. La vie d'une collectivité est vécue dans les agissements des individus qui constituent son corps. Il n'existe pas de collectif social concevable, qui ne soit opérant à travers les actions de quelque individu. La réalité d'une entité sociale consiste dans le fait qu'elle dirige et autorise des actions déterminées de la part d'individus. Ainsi la route pour connaître les ensembles collectifs passe par l'analyse des actions des individus. 
  
          Comme être pensant et agissant l'homme émerge de son existence préhumaine déjà un être social. L'évolution de la raison, du langage, et de la coopération est le résultat d'un même processus; ils étaient liés ensemble de façon indissociable et nécessaire. Mais ce processus s'est produit dans des individus. Il a consisté en des changements dans le comportement d'individus. Il n'y a pas de substance dans laquelle il aurait pu survenir, autre que des individus. Il n'y a pas de substrat pour la société, autre que les actions d'individus. 
  
          Le fait qu'il y ait des nations, des États et des églises, qu'il existe une coopération sociale dans la division du travail, ce fait ne devient discernable que dans les actions de certains individus. Personne n'a jamais perçu une nation sans percevoir ses membres. En ce sens l'on peut dire qu'un collectif social vient à l'existence par la voie des actions d'individus. Cela ne signifie pas que l'individu soit antécédent dans le temps. Cela signifie seulement que ce sont des actions définies d'individus qui constituent le collectif. 
  
          Il n'est pas besoin de discuter si le collectif est la somme résultant de l'addition de ses membres ou quelque chose de plus, si c'est un être sui generis, et s'il est ou non raisonnable de parler de sa volonté, de ses plans, de ses objectifs et actions, et de lui attribuer une "âme" distincte. Ce langage pédantesque est oiseux. Un ensemble collectif est un aspect particulier des actions d'individus divers et, comme tel, une chose réelle qui détermine le cours d'événements. 
  
          Il est illusoire de croire qu'il est possible de visualiser des ensembles collectifs. Ils ne sont jamais visibles; la connaissance qu'on peut en avoir vient de ce que l'on comprend le sens que les hommes agissants attachent à leurs actes. Nous pouvons voir une foule, c'est-à-dire une multitude de gens. Quant à savoir si cette foule est un simple attroupement, ou une masse (au sens où ce terme est employé dans la psychologie contemporaine), ou un corps organisé ou quelque autre sorte d'entité sociale, c'est une question dont la réponse dépend de l'intelligence qu'on peut avoir de la signification que les gens assemblés attachent à leur présence. Et cette signification est toujours dans l'esprit d'individus. Ce ne sont pas nos sens, mais notre entendement – un processus mental – qui nous fait reconnaître des entités sociales. 
  
          Ceux qui prétendent commencer l'étude de l'agir humain en partant d'unités collectives rencontrent un obstacle insurmontable dans le fait qu'au même moment un individu peut appartenir, et en fait – à l'exception de ceux des plus primitives tribus – appartient réellement à diverses entités collectives. Le problème soulevé par la multiplicité d'unités sociales coexistantes et par leurs antagonismes mutuels ne peut être résolu que par l'individualisme méthodologique.
 
 
 
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