TOUTE ACTION EST ACCOMPLIE
PAR DES INDIVIDUS
Tout d'abord nous devons prendre acte du fait que toute action est accomplie
par des individus. Une collectivité agit toujours par l'intermédiaire
d'un ou plusieurs individus dont les actes sont rapportés à
la collectivité comme à leur source secondaire. C'est la
signification que les individus agissants, et tous ceux qui sont touchés
par leur action, attribuent à cette action, qui en détermine
le caractère. C'est la signification qui fait que telle action est
celle d'un individu, et telle autre action celle de l'État ou de
la municipalité. Le bourreau, et non l'État, exécute
un criminel. C'est le sens attaché à l'acte, par ceux qui
y sont impliqués, qui discerne dans l'action du bourreau l'action
de l'État. Un groupe d'hommes armés occupe un endroit. C'est
l'interprétation des intéressés qui impute cette occupation
non pas aux officiers et soldats sur place, mais à leur nation.
Si nous examinons la signification des diverses actions accomplies pas
des individus, nous devons nécessairement apprendre tout des actions
de l'ensemble collectif. Car la collectivité n'a pas d'existence
et de réalité, autres que les actions des individus membres.
La vie d'une collectivité est vécue dans les agissements
des individus qui constituent son corps. Il n'existe pas de collectif social
concevable, qui ne soit opérant à travers les actions de
quelque individu. La réalité d'une entité sociale
consiste dans le fait qu'elle dirige et autorise des actions déterminées
de la part d'individus. Ainsi la route pour connaître les ensembles
collectifs passe par l'analyse des actions des individus.
Comme être pensant et agissant l'homme émerge de son existence
préhumaine déjà un être social. L'évolution
de la raison, du langage, et de la coopération est le résultat
d'un même processus; ils étaient liés ensemble de façon
indissociable et nécessaire. Mais ce processus s'est produit dans
des individus. Il a consisté en des changements dans le comportement
d'individus. Il n'y a pas de substance dans laquelle il aurait pu survenir,
autre que des individus. Il n'y a pas de substrat pour la société,
autre que les actions d'individus.
Le fait qu'il y ait des nations, des États et des églises,
qu'il existe une coopération sociale dans la division du travail,
ce fait ne devient discernable que dans les actions de certains individus.
Personne n'a jamais perçu une nation sans percevoir ses membres.
En ce sens l'on peut dire qu'un collectif social vient à l'existence
par la voie des actions d'individus. Cela ne signifie pas que l'individu
soit antécédent dans le temps. Cela signifie seulement que
ce sont des actions définies d'individus qui constituent le collectif.
Il n'est pas besoin de discuter si le collectif est la somme résultant
de l'addition de ses membres ou quelque chose de plus, si c'est un être
sui generis, et s'il est ou non raisonnable de parler de sa volonté,
de ses plans, de ses objectifs et actions, et de lui attribuer une "âme"
distincte. Ce langage pédantesque est oiseux. Un ensemble collectif
est un aspect particulier des actions d'individus divers et, comme tel,
une chose réelle qui détermine le cours d'événements.
Il est illusoire de croire qu'il est possible de visualiser des ensembles
collectifs. Ils ne sont jamais visibles; la connaissance qu'on peut en
avoir vient de ce que l'on comprend le sens que les hommes agissants attachent
à leurs actes. Nous pouvons voir une foule, c'est-à-dire
une multitude de gens. Quant à savoir si cette foule est un simple
attroupement, ou une masse (au sens où ce terme est employé
dans la psychologie contemporaine), ou un corps organisé ou quelque
autre sorte d'entité sociale, c'est une question dont la réponse
dépend de l'intelligence qu'on peut avoir de la signification que
les gens assemblés attachent à leur présence. Et cette
signification est toujours dans l'esprit d'individus. Ce ne sont pas nos
sens, mais notre entendement – un processus mental – qui nous fait reconnaître
des entités sociales.
Ceux qui prétendent commencer l'étude de l'agir humain en
partant d'unités collectives rencontrent un obstacle insurmontable
dans le fait qu'au même moment un individu peut appartenir, et en
fait – à l'exception de ceux des plus primitives tribus – appartient
réellement à diverses entités collectives. Le problème
soulevé par la multiplicité d'unités sociales coexistantes
et par leurs antagonismes mutuels ne peut être résolu que
par l'individualisme méthodologique.
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