Montréal,
6 nov. - 19 nov. 1999 |
Numéro
49
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(page 12) |
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OPINION
DANS LE PUBLIC, TOUS CONTRE
LE CHANGEMENT
Les négociations pour le renouvellement des conventions collectives
se poursuivent, lentement, comme tout ce qui finit par se faire dans le
public. Les négos vont traîner sans fin comme d'habitude,
et quand ça finira par finir, les employés de l'État
retourneront à leurs petites habitudes: y'aura rien de changé
dans le public, alors que partout ailleurs tout est en train de changer. |
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Officiellement, et donc dans les médias, nous recevrons l'image
d'un terrible affrontement entre les boss du public et les très
gros syndicats qui y sont installés depuis plus de trois décennies.
Les boss diront peu de chose, parce qu'il ne faut surtout pas que les négociations
se fassent sur la place publique, – comme si tout ça concernait
les cochons de payeurs de taxes et d'impôt – et surtout parce qu'ils
n'ont rien à dire et, qu'en plus, ils ne veulent pas le dire. Et
les chefs syndicaux diront n'importe quoi, puisque personne ne s'attend
à ce qu'ils soient responsables financièrement.
Au-delà du show toujours le même, qui ne risque pas d'intéresser
les jeunes, même s'ils en font les frais, il ne sortira rien de cet
affrontement factice où tous les principaux acteurs s'entendent
sur le principal: ne rien changer.
De meilleures écoles?
Les syndicats demandent que l'État dépense plus d'argent
pour les employés du public. La CEQ exige que l'État augmente
considérablement les salaires des enseignants, en leur remboursant
des montagnes d'argent pour le passé, et en leur versant pour l'avenir
des augmentations tout aussi considérables. Et si le Gouvernement
disait oui à la CEQ, vous croyez que nos écoles seraient
meilleures dans les années qui viennent?
Comment nos écoles pourraient-elles être meilleures en versant
beaucoup plus d'argent à des enseignants qui sont là depuis
20 ou 25 ans? Ceux et celles qui sont bons n'ont pas attendu d'être
mieux payés pour le devenir; en fait, les meilleurs profs le sont
déjà en dépit d'une grille de salaire qui ignore complètement
la qualité de l'enseignement pour ne valoriser que l'ancienneté.
Les meilleurs profs sont souvent moins bien payés que des profs
médiocres qui n'ont pour seule qualité que d'être là
depuis longtemps. Vous croyez qu'une augmentation de salaire va sortir
un mauvais prof de la médiocrité dans laquelle il croupit
depuis des années?
Ce n'est pas en mettant plus d'argent en éducation que nous allons
améliorer nos écoles si déjà nos écoles
ne fonctionnent pas particulièrement bien. Un mauvais directeur
d'école ne devient pas subitement meilleur parce qu'on aurait décidé
de le payer plus. Si les seules augmentations de salaires garantissaient
de meilleures performances, qu'est-ce que ce serait facile de diriger une
entreprise, privée ou publique!
Ce ne sont pas les augmentations de salaires qui doivent garantir de meilleures
performances, mais bien plutôt de bonnes performances qui doivent
justifier des augmentations de salaires.
Mais vous imaginez un peu le remous que provoquerait au Québec la
mise en place de pareilles idées dans les services publics? Non
mais enfin, ça va pas la tête! Payer les employés de
l'État selon leurs performances ... Où vous croyez-vous?
Pourquoi pas le néolibéralisme tant qu'à y être?
Décidément, la liberté de parole conduit à
tous les excès, à toutes les déchéances!
Tous les profs sont bons
Une fois parti, pourquoi ne pas évaluer les écoles ... et
les enseignants? Comme s'il fallait évaluer les profs pour savoir
quels sont ceux qui sont excellents, bons, moyens, médiocres ou
... carrément mauvais. Tout le monde devrait déjà
savoir que tous les profs sont bons, également bons, puisqu'ils
touchent le même salaire à ancienneté égale.
C'est d'ailleurs la CEQ qui le dit, et la CEQ ne se préoccupe que
de qualité de l'éducation.
« Ce
ne sont pas les augmentations de salaires qui doivent garantir de meilleures
performances, mais bien plutôt de bonnes performances qui doivent
justifier des augmentations de salaires. »
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Pourquoi évaluer les profs, nous dit la CEQ? Ils ont été
embauchés, donc ils étaient bons. S'ils étaient bons
il y a 10, 15 ou 20 ans, il n'y a aucune raison pour qu'ils ne soient plus
bons aujourd'hui. De toute manière, si jamais il y en a qui ne sont
plus bons, c'est la faute de l'employeur qui avait la responsabilité
de les conserver bons, comme le font les boîtes de conserve. Tout
le monde devrait savoir que ce ne peut être la faute du prof quand
il glisse vers la médiocrité ou qu'il finit par devenir carrément
mauvais. Depuis quand doit-on être tenu responsable de notre niveau
de compétence et de motivation? Y'a que des néolibéraux
pour avoir des idées pareilles. Heureusement qu'il y a la CEQ et
la CSN pour empêcher pareille dérive néolibérale.
Et si, contrairement à ce que nous enseignent les encycliques de
la CSN ou de la CEQ, il y avait de bonnes et de mauvaises écoles,
de bons et de mauvais profs, de bons et de mauvais services publics, de
bons et de mauvais directeurs d'écoles ou de services publics.
Mais alors, peut-être serait-il plus rentable de mettre plus d'argent
dans les écoles et les services publics qui marchent bien, et de
cesser d'en mettre dans les écoles et les services qui, année
après année, n'arrivent pas à livrer la marchandise?
Les augmentations de salaire devraient peut-être servir à
récompenser le bon travail des bons profs, plutôt que d'aller
indifféremment aux médiocres tout autant qu'à ceux
qui excellent parce que passionnés.
Mais vous n'avez pas à vous inquiéter, il ne sera jamais
question de compétence et de performance aux tables de négociations
des conditions de travail des employés de l'État. Remettre
en question permanence et ancienneté, vous n'y pensez pas, quel
stress pour les salariés et les cadres de l'État. Déjà
que les salariés du privé doivent vivre la concurrence et
l'évaluation! Non, non, du privé il ne faut importer dans
le public que les salaires. Et réserver la permanence et les généreux
fonds de pension au secteur public. Si la permanence et la générosité
des fonds de pension sont les deux conditions de travail les plus importantes
dans le public, il ne saurait par ailleurs être question d'en tenir
compte quand vient le moment de comparer les conditions de travail du public
et du privé. C'est ça que n'arrivent pas à comprendre
ceux qui prétendent que les employés du public sont des blindés
privilégiés.
Dur dur d'être boss
Quant aux boss du public, ils ne veulent pas entendre parler de compétence
et d'évaluation. Évaluer la performance des employés,
c'est ce qu'il y a de plus difficile pour un boss. Vous pensez quand même
pas que les responsables des services publics vont accepter d'assumer pareille
tâche.
Allez, on se détend. Le public n'est pas le privé. Et la
qualité des services? Les syndicats vont s'en occuper. Ils savent
beaucoup mieux que les usagers ce qui est bon pour eux.
Finalement ne reste plus qu'à décider ce que sera l'augmentation
de salaire des syndiqués de l'État. Une fois cette décision
prise, suite aux négociations qui seront très féroces,
les boss se verront accorder la même augmentation, puisque leur salaire
flotte sur ceux des syndiqués.
Vous voyez comme tout ce petit monde ne risque jamais de se faire mal quand
ils se battent comme ça devant les médias.
Vous croyez que ces gens-là ont envie de changer quelque chose?
(*) Réjean Breton est
professeur de droit du travail à l'Université Laval et auteur
du livre Les monopoles syndicaux dans nos écoles et dans nos
villes publié récemment aux éditions Varia.
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