Montréal,  6 nov. - 19 nov. 1999
Numéro 49
 
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COURRIER TRANSATLANTIQUE
  
Y A-T-IL UN DANGER
NAZI EN SUISSE?
 
 
par Carlo Lottieri
Brescia (Italie)
  
            On le sait bien, de nombreux journalistes sont trop pressés lorsqu'ils écrivent: ils n'ont pas le temps pour lire et étudier. En plus, ils sont trop préoccupés de satisfaire les désirs des hommes politiques pour avoir le courage d'assumer des positions à contre-courant. Il n'est pas étonnant, alors, si dans la presse internationale, les dernières élections fédérales suisses ont fait l'objet un peu partout d'articles où l'on remarquait les prétendues analogies entre la progression de Jörg Haider (chef du Parti libéral, le FPÖ) en Autriche et le succès de l'Union démocratique du centre (UDC) à Berne.
 
 
Trompeuses apparences  
  
          Les situations sont pourtant très différentes. Les deux pays se trouvent également dans les Alpes et au centre de l'Europe, bien sûr, mais ils ont des histoires et cultures politiques tout à fait divergentes en dépit des apparences (l'Autriche est « formellement » un pays fédéral et jusqu'à la chute du mur de Berlin, elle a été obligée de garder une position de « non alignement » qui pouvait avoir des analogies superficielles avec le neutralisme qui est enraciné dans la tradition suisse). 
  
          Le succès de Haider, à Vienne, peut être expliqué seulement si l'on constate que depuis plusieurs décennies, l'Autriche est un pays dominé par un centralisme et un interventionnisme très corrompus. Au contraire, la fédération hélvetique continue d'être, en Europe et dans le monde, un modèle extraordinaire grâce à un niveau modeste de taxation, à la forte concurrence institutionnelle de son fédéralisme (où les cantons et les communes jouent un rôle très important), au neutralisme international et au refus de participer aux missions militaires. Dans cette situation il serait très difficile de trouver, à Berne, un politicien qui puisse ressembler à Haider. Et, en fait, il n'y en a pas. 
  
          Qu'est-ce que c'est, alors, cette UDC si démonisée par les médias à la page? Première chose, le nom, rarement indiqué en entier dans les articles consacrés aux récentes élections. Le parti qui a obtenu la majorité relative en Suisse, 23% des votes, s'appelle « Union démocratique du centre »: une dénomination qui ne semble pas vraiment en syntonie avec les articles qui ont parlé de « droite xénophobe », « extrême-droite », etc. En plus, ce parti a ses anciennes origines dans une scission du parti radical (groupement historique de centre-gauche) et depuis 40 ans, il est une des quatre formations alliées qui gouvernent la fédération hélvetique. 
 
          L'UDC a été pendant longtemps le parti des agriculteurs. Mais quand il était tout simplement le porte-parole des intérêts de la campagne, l'UDC n'était que le plus petit des quatre « grands partis » suisses. Son récent succès, alors, est une conséquence de l'adoption d'un programme qui s'oppose aux projets de l'establishment politique et médiatique suisse et européen. 
  
          Mais quelle a été la décision qui a permis à Cristoph Blocher et aux autres responsables de l'UDC de faire de cette formation la surprenante nouveauté de la politique suisse? Le choix de se porter à la défense de la « diversité » du système économique et social de la Suisse, en s'opposant à tous ceux qui ont voulu un renforcement du welfare state (surtout en faveur des immigrés et des réfugiés, qui sont désormais 20% de la population) et qui ont demandé l'abandon du neutralisme et, enfin, en s'opposant à l'adhésion à l'Union européenne. 
  
 
  
« La fédération hélvetique continue d'être un modèle extraordinaire grâce à un niveau modeste de taxation, à la forte concurrence institutionnelle de son fédéralisme et à son neutralisme international. »
 
 
 
          L'UDC s'est opposée à tout ça. Elle s'est battue contre la fiscalité excessive et elle a proposé une réduction des impôts; défendu l'isolationnisme traditionnel de la politique étrangère suisse; rejeté l'hypothèse d'adhérer à l'ONU et à l'Union européenne; critiqué le renforcement des pouvoirs de Berne et la mise en discussion de la logique fortement fédérale des institutions hélvetiques. 
  
Succès expliqué 
 
          Du point de vue de la propagande politique, la raison du succès est à trouver dans la volonté de défendre « l'égoïsme » (j'utilise ici le langage des socialistes) qui marque la Suisse profonde et tous les systèmes sociaux où la propriété privée est relativement bien protégée et la conception libérale de la justice n'a pas été encore complètement effacé. Contre une gauche irresponsable qui voudrait augmenter ultérieurement le nombre des réfugiés et des étrangers qui pèsent sur les épaules des contribuables suisses, l'UDC a exprimé le désaccord le plus catégorique. 
  
          Dans cette situation, il est très difficile de parler de « xénophobie » et d'« extrémisme ». Et si nombre d'opinion makers utilisent ce langage, c'est parce qu'ils n'aiment pas les éléments anti-étatistes de ce phénomène politique. Donc ils tentent de trouver des affirmations ou déclarations qui puissent les autoriser à parler d'un Blocher « nazi ». 
  
          En réalité, à leur avis, le simple fait de demander une limitation de l'immigration est un symptôme de racisme: dans leur culture socialiste, en effet, la globalisation des marchés (qu'ils considèrent maintenant inévitable) doit être « modérée » par une globalisation des institutions publiques et par le « partage » des richesses privées. Et la façon la plus immédiate de diviser l'argent des citoyens des pays développés consiste à augmenter le nombre de gens pauvres qui arrivent dans les systèmes étatisés de l'Occident pour en tirer les nombreux avantages: santé publique, éducation d'État, logements gratuits, subventions aux chômeurs, etc. Et ceux qui jugent raisonnable de s'opposer à ce projet risquent d'être accusés d'être intolérants et indifférents aux « droits » des peuples du Tiers-Monde. 
 
          Mais est-ce que Blocher lui-même se considère « nazi » ou « antisémite »? Pas du tout. Au contraire, après son succès il a dit: « Toutes les calomnies et les accusations d'antisémitisme n'ont pas obtenu l'effet espéré par ceux qui nous ont accusé de cette manière au cours de ces semaines de campagne électorale ». Et dans les jours suivants, la presse suisse nous a informé que plusieurs politiciens des autres partis ont compris qu'ils avaient commis une grave erreur: ils ont « altéré » l'image de Blocher dans l'espoir de le démoniser, mais les électeurs n'ont pas apprécié cette vulgaire spéculation qui visait à identifier le programme sur l'immigration de l'UDC et la logique raciste des mouvements d'extrême-droite. 
  
          Les médias ont aussi donné beaucoup de relief à un petit épisode qui pourtant ne semble pas suffisant pour démontrer l'existence d'un Blocher hitlérien. Il y a deux ans le leader de l'UDC avait reçu le livre d'un historien « révisionniste » de Bâle, Jürgen Graf, et il avait lui répondu avec une lettre dans laquelle il se disait d'accord avec l'auteur. Quelques jours avant les élections cette lettre a été publiée par la presse suisse, mais la défense de Blocher a été la suivante: « Je n'ai jamais lu le livre. Je me suis limité à remarquer que j'étais en accord avec les passages sur la défense de la liberté de la Suisse qui avaient été mis en évidence ». 
  
En attendant la suite 
 
          Le futur nous dira s'il s'agit d'un simple incident causé par la superficialité d'un politicien peut-être préoccupé simplement de remercier un électeur ou, au contraire, autre chose. S'il est vrai que les cercles de l'extrême-droite helvétique (elle-aussi très suisse et relativement « modérée », il faut le préciser) peuvent espérer de trouver dans l'UDC un parti dans lequel s'infiltrer, pour l'instant il n'y a pas d'éléments qui puissent nous faire imaginer une évolution de ce genre. 
  
          Et d'autre part, comment est-il possible que personne – jusqu'à maintenant – ne s'était rendu compte qu'un des sept ministres helvétiques venait d'un parti qu'à présent on voudrait considérer comme « néo-nazi »? Il n'y a qu'une explication: le ministre et son parti ne sont pas nazis. Et les deux ministres socialistes (et les autres, démocrate-chrétiens et radicaux) qui ont collaboré pendant des années avec les ministres de l'UDC ne l'auraient jamais fait si ces gens-là avaient exprimé (dans leurs actes politiques et dans leurs opinions privées) des points de vue si détestables. 
  
          Il faut alors éviter d'identifier la démagogie grossière et nationaliste de Haider (qui demande, en même temps, plus de taxes et plus de services..., et qui doit son succès à la corruption profonde du système autrichien) et la défense de la richesse des suisses qui est au centre du programme de l'UDC. 
  
          Les responsables de l'Union démocratique du centre, au fond, sont surtout préoccupés de ne pas importer le désastreux « modèle socialiste européen » marqué par des taxes élevées, la présence de l'État dans tous les secteurs, une immigration libre (c'est-à-dire, un libre accès aux ressources des citoyens suisses...), le centralisme (les pouvoirs de Bruxelles augmentent de plus en plus), la stricte fidélité à l'OTAN (et ses engagements militaires dans toute situation « critique »: Somalie, Golfe, Balkans, Timor Est, etc.). 
  
          Pouvons-nous, en tant que libertariens, vraiment critiquer ces suisses soigneux de défendre leur argent et les institutions libérales qui ont favorisé la création de leur richesse? 
 
 
 
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