Montréal,
20 nov. - 3 déc. 1999 |
Numéro
50
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Le QUÉBÉCOIS
LIBRE est publié sur la Toile depuis le 21 février 1998.
Il défend
la liberté individuelle, l'économie de marché et la
coopération volontaire comme fondement des relations sociales.
Il s'oppose
à l'interventionnisme étatique et aux idéologies collectivistes,
de gauche comme de droite, qui visent à enrégimenter les
individus.
Les articles publiés
partagent cette philosophie générale mais les opinions spécifiques
qui y sont exprimées n'engagent que leurs auteurs.
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ÉDITORIAL
IL FAUT ABOLIR
LE SALAIRE MINIMUM
par Martin Masse
Les congressistes américains ont voté il y a quelques jours
en faveur d'une des mesures les plus politiquement « rentables
» mais aussi les plus économiquement destructrices
qui soient: une hausse du salaire minimum. Selon le plan adopté
par la majorité républicaine au Sénat, le salaire
minimum sera haussé d'un dollar l'heure au cours des trois prochaines
années, soit de 5,15 $ US à 6,15 $ US
(1).
Il n'est pas certain que la mesure entrera en vigueur dans un avenir proche.
La loi contient aussi des réductions de taxes diverses qui totaliseront
75 milliards $ au cours des dix prochaines années,
de façon à contrebalancer les coûts accrus pour les
entreprises. La Chambre des représentants et l'administration Clinton,
même s'ils appuient la hausse du salaire minimum, rejettent les détails
particuliers du financement des réductions de taxes. S'ils finissent
toutefois par s'entendre, il s'agira d'une hausse de 45% depuis le dernier
ajustement en 1996, alors que l'inflation au cours de cette période
n'a été que de 5%.
L'idée de vouloir compenser les entreprises pour des coûts
plus élevés de main-d'oeuvre est en soi une reconnaissance
implicite du principal désavantage économique d'une telle
mesure: en imposant un prix plancher pour l'embauche d'un employé,
l'État force les employeurs qui seraient prêts à offrir
des emplois moins bien rémunérés à payer plus
cher pour cette main-d'oeuvre.
Mais, diront ceux qui prétendent se préoccuper du sort des
travailleurs à faible revenu, qu'y a-t-il de mal à cela?
Le salaire minimum est tellement bas, les sommes supplémentaires
sont probablement minimes pour les compagnies, alors qu'elles constituent
un gain important pour ces travailleurs. On ne fait qu'améliorer
le niveau de vie de ces derniers en augmentant le salaire minimum, sans
répercussion économique grave.
Si la logique économique du salaire minimum se limitait à
cette croyance largement répandue, la meilleure chose à faire
serait certainement de la pousser un peu plus loin et de favoriser encore
plus les travailleurs à petit salaire. Pourquoi en effet ne pas
hausser le salaire minimum imposé par l'État à 7,15
$, 10,15 $ ou même 25,15 $? Tous ceux qui
sont payés moins que cela aujourd'hui en profiteraient! |
La logique de l'emploi
La logique économique veut toutefois que la main-d'oeuvre soit sujette,
comme tout autre produit et service, aux lois de l'offre et de la demande.
Dans un libre marché, chaque employeur cherche à obtenir
l'employé le mieux qualifié possible pour une tâche
donnée en le payant le moins cher possible. Son but n'est pas de
faire la charité, mais du profit. Il n'engagera personne si l'embauche
d'un employé engendre des coûts qui dépassent la valeur
de la production additionnelle pour son entreprise.
À l'opposé, un travailleur cherche à trouver l'emploi
qui lui conviendra le mieux au salaire le plus élevé possible.
S'il n'est pas satisfait de son salaire, il peut toujours quitter son emploi
pour un autre plus rémunérateur – s'il réussit à
en trouver un. Comme pour tout autre produit et service, si le gouvernement
ne vient pas créer une distorsion indue par ses taxes et sa réglementation,
un équilibre finit par se créer entre la demande et l'offre
d'emploi. Chacun peut alors trouver sa place sur le marché du travail,
une place qui correspond à ses compétences et à ce
qu'il peut rapporter comme production additionnelle à un employeur.
Dans la réalité de l'économie dite « mixte
» dans laquelle nous vivons, il y a bien sûr des tas
d'interventions étatiques qui créent des distorsions: privilèges
syndicaux, taxe sur la masse salariale, réglementation sur l'embauche
et le licenciement, etc. Toutes ces mesures ont pour effet d'augmenter
le coût de la main-d'oeuvre – et donc de réduire les offres
d'emploi. Plus la main-d'oeuvre est chère, plus un employeur a tendance,
toutes choses étant égales, à se passer d'un employé
de plus, à faire le travail potentiel d'un nouvel employé
lui-même, à le faire faire autrement (par une machine dans
laquelle il devient plus avantageux d'investir, par un sous-traitant, etc.)
ou à ne pas le faire du tout.
« Mieux
vaut accepter un emploi très mal payé, à 5 $ l'heure
par exemple, qui nous donne un espoir d'avancer et peut-être de gagner
10 $ l'heure cinq ans plus tard, que rester sans emploi pendant ces cinq
années. »
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Une hausse du salaire minimum a exactement cet effet. En le faisant passer
de 5,15 $ à 6,15 $, on fait en sorte de rendre non rentable pour
un employeur le travail auquel il attribue une valeur inférieure
à 6,15 $. S'il considère en effet qu'il est rentable pour
lui d'engager quelqu'un pour remplir une tâche donnée en le
payant au plus 5,50 $, et qu'on le force maintenant à payer cette
personne 6,15 $, il décidera simplement que ça n'en vaut
pas le prix, tout comme il le ferait de façon encore plus évidente
si on le forçait à payer cet employé 25 $ de l'heure.
Bref, une telle mesure a pour effet non pas de hausser le niveau de vie
de ceux qui sont payés au salaire minimum, mais plutôt d'éliminer
le genre d'emplois qui sont économiquement viables à ce niveau
de rémunération. Le chômage élevé chronique
qui accable la plupart des économies industrialisées depuis
une trentaine d'années n'est pas arrivé tout seul. Il a été
nourri par la multitude de mesures étatiques, parmi lesquelles une
hausse constante du salaire minimum, qui ont pour effet de hausser le coût
de la main-d'oeuvre.
Rester au bas de l'échelle
Le salaire minimum a un caractère encore plus odieux parce que ses
effets néfastes se font sentir chez les couches les plus démunies
de la population, celles-là même qu'il est censé favoriser.
En Amérique du Nord, la très grande majorité des travailleurs
payés au salaire minimum appartiennent en effet à des catégories
bien précises: les étudiants qui travaillent à temps
partiel, les jeunes travailleurs sans expérience, les femmes relativement
âgées et sans formation qui veulent travailler après
avoir élevé leurs enfants, les membres de groupes marginaux
peu éduqués (i.e., les Noirs des ghettos) et les immigrants
avec peu de qualifications et souvent une maîtrise minimale de la
langue. Lorsqu'on hausse le salaire minimum, on fait en sorte non seulement
de tuer des emplois potentiels pour ces catégories de travailleurs,
mais on hausse aussi la première barre qu'ils doivent atteindre
dans le processus qui leur permettra ensuite de gravir les échelons
du marché du travail.
Pour ces travailleurs sans qualification en demande ou sans expérience
pertinente, le plus difficile est souvent de se trouver un premier emploi.
S'ils atteignent cette première barre, leur salaire augmente alors
graduellement et ils peuvent accéder à des emplois mieux
rémunérés à mesure qu'ils acquièrent
de l'expérience et qu'ils se forment sur le tas. Si l'on voit les
choses seulement à court terme, un salaire de 5 $ l'heure
n'a rien d'invitant. Mais lorsqu'on pousse plus loin son horizon temporel,
mieux vaut accepter un emploi très mal payé, à 5 $
l'heure par exemple, qui nous donne un espoir d'avancer et peut-être
de gagner 10 $ ou plus l'heure cinq ans plus tard, que rester
sans emploi pendant ces cinq années.
Si on tue cependant tous ces emplois qualifiés de «
précaires », « sordides »,
« cheap labor », «
mcjobs » par les bien-pensants bien payés, on empêche
tout simplement cette catégorie de travailleurs de faire leur entrée
dans le marché du travail. Parce qu'ils ont peu de qualifications
et d'expérience, leur valeur réelle pour un employeur reste
en permanence en dessous de la valeur artificielle mandatée par
le gouvernement, et personne n'a intérêt à les embaucher.
Ils n'ont jamais la chance d'acquérir l'expérience et les
qualifications nécessaires qui leur permettront de gravir les échelons.
Ils restent donc sans emploi et vont grossir les rangs des assistés
sociaux qui n'arrivent pas à sortir du cycle de la dépendance,
parce que personne ne trouve rentable, à ce prix artificiellement
imposé par les politiciens, de leur donner une première chance.
Même lorsque le chômage diminue de façon globale, comme
c'est le cas en ce moment aux États-Unis où il atteint un
plancher qui ne s'est pas vu depuis trente ans, le taux d'inactivité
au sein des groupes mentionnés plus haut reste beaucoup plus important
que pour l'ensemble de la population.
Aucun économiste sérieux ne conteste la véracité
de cette explication économique, le seul débat touche le
nombre d'emplois qui sont détruits. Les économistes Richard
Burkhauser, Kenneth Couch et David Wittenberg estiment par exemple que
la dernière augmentation du salaire minimum en 1996 aux États-Unis
aurait détruit entre 150 000 et 450 000
emplois pour adolescents. (Cato Institute)
Une seule solution
Il n'y a qu'une façon de créer des emplois pour ces personnes
et de les sortir de ce chômage chronique, c'est de permettre aux
employeurs de les payer à leur juste prix sur le marché du
travail (c'est-à-dire, à un prix inférieur à
ce qu'ils rapportent à la compagnie, puisque la rentabilité
est un critère incontournable pour toute entreprise). Gonfler artificiellement
leur salaire ne donne rien. L'alternative que nos gouvernements socio-démocrates
ont trouvée, trimballer les plus motivés de ces travailleurs
d'un programme temporaire et artificiel de « réinsertion
à l'emploi » à un autre, en gaspillant
des centaines de millions de dollars, ne règle rien non plus. Qui
peut sérieusement affirmer que la farce monumentale qu'est Emploi-Québec
a fait en sorte de réduire le chômage ici ces dernières
années?
La seule solution radicale et efficace est simple: abolir le salaire minimum,
et laisser le marché de l'emploi s'ajuster. Personne n'est obligé
de travailler à 5 $ l'heure. Ceux qui refusent d'accepter
ce type d'emploi, et qui croient pouvoir trouver mieux, n'ont qu'à
continuer à essayer, comme il le font maintenant. Si c'est impossible,
et s'ils préfèrent parasiter la société en
étant payés à ne rien faire, ils pourront devenir
assistés sociaux, comme il le font maintenant (il y a évidemment
un tout autre débat à faire ici...). Par contre, ceux qui
veulent se donner la chance de gravir le premier échelon pourront
enfin le faire.
Au lieu de prendre cette décision politique rationnelle et courageuse,
les sénateurs américains ont voté pour non seulement
hausser le salaire minimum, mais en plus pour redistribuer des déductions
fiscales à gauche et à droite de façon à en
atténuer les effets néfastes, compliquant ainsi un système
fiscal déjà byzantin à l'extrême. Les républicains
de la majorité qui ont adopté cette loi devraient pourtant
être les premiers à comprendre qu'il ne peut rien sortir de
bon, sur le plan économique, de ce type d'intervention. En théorie,
ils sont plus enclin à défendre les lois du marché
et le capitalisme, alors que les démocrates sont plus socialistes
et interventionnistes.
Mais la politique a des lois différentes de celle du marché.
Comme l'expliquait un article dans le Wall Street Journal le lendemain
du vote au sénat, « la pression est forte sur
les membres du Congrès pour qu'ils augmentent le salaire minimum,
en partie parce qu'ils se sont voté à eux-mêmes une
hausse de salaire de 4 600 $ plus tôt cette année
». Bref, il s'agit essentiellement d'une mesure populiste
pour faire gober à la population plus facilement leur propre goinfrerie
comme politiciens, et pour pouvoir parader ensuite en prétendant
avoir défendu les plus démunis. C'est à eux-mêmes
en fin de compte que profite vraiment une hausse du salaire minimum, pas
aux petits salariés et aux chômeurs.
1. Au Québec, le salaire
minimum est actuellement de 6,90 $ CAN l'heure.
Il est demeuré
inchangé cette année pour la première fois depuis
13 ans.
Une coalition
de syndicats et de groupes populaires a récemment demandé
au gouvernement
de le hausser à 8,50 $. >>
Articles précédents
de Martin Masse |
Le Québec libre des
nationalo-étatistes
|
«
Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes
mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain
étend ses bras sur la société tout entière;
il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées,
minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus
originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient faire jour
pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais
il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais
il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse; il ne détruit point,
il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne,
il comprime, il énerve, il éteint, il hébète,
et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un
troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le
berger. »
Alexis de Tocqueville
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE
(1840) |
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