L'apprentissage des inventeurs québécois
Quiconque s'intéresse au monde de l'invention québécoise
sait que bon nombre de consultants dans le domaine encouragent fortement
la prise de brevets, car il s'agit de la chose la plus facile à
faire, en plus de constituer une source de revenus rapides et non négligeables
pour ces derniers. La plupart des inventeurs qui en sont à leurs
premières armes sont donc extrêmement heureux de savoir que
leur idée est suffisamment originale pour être brevetée
et ils s'empressent alors d'investir leurs économies (souvent plusieurs
dizaines de milliers de dollars) pour la protéger. La plupart déchantent
toutefois rapidement par la suite lorsqu'ils réalisent qu'à
peu près n'importe quelle invention peut être brevetée
et qu'ils n'auront jamais les moyens d'engager des poursuites coûteuses
contre un plagiaire.
« Le
système des brevets ne fournit aucune protection réelle et
détourne au profit d'agents de brevets et d'avocats des ressources
qui devraient plutôt être investies dans la commercialisation
de l'innovation. »
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Un entrepreneur en construction ayant investi le prix d'une maison luxueuse
en propriété intellectuelle résume bien l'expérience
de la plupart des inventeurs que j'ai interrogés: «
Le système des brevets... J'ai eu confiance au tout début,
je ne connaissais pas ça... Maintenant que je connais le système
des brevets, je ne suis pas du tout en faveur... C'est une machine à
faire faire de l'argent aux avocats ». Un ancien représentant
de commerce ajoute également que « personnellement,
j'aurais préféré qu'il n'y ait pas de brevets. J'aurais
20 000 $ de plus dans mes poches ». L'inventeur
le plus articulé sur la question résume bien le dilemne et
les problèmes des inventeurs autonomes québécois:
Avoir investi autant dans les brevets est mon grand handicap. Cela m'a
empêché de commercialiser ma première invention. On
arrêtait pas de me dire: « Ça te prend
des brevets si tu veux vendre de quoi »... Après
que j'aie eu les brevets, cela n'a rien donné de plus qu'une grosse
valise de dépenses. Alors les brevets m'ont empêché
d'évoluer. J'aurais jamais eu le titre d'inventeur, mais j'aurais
des produits sur le marché... Il est à conseiller à
un type qui débute qui n'a pas 100 000 $ uniquement
pour se prendre des brevets de ne pas toucher à ça. Fais
ce que tu crois être nouveau et commercialise-le, parce qu'il peut
y avoir beaucoup d'années entre l'idée et la commercialisation...
Beaucoup d'années de travail pour réduire le prix de fabrication
et trouver la façon de le fabriquer... Le type qui débute
doit absolument essayer de réussir monétairement avec un
produit. Il doit oublier les copies. De toute façon, s'il n'a pas
de sommes énormes mises de côté, même s'il a
tous les brevets du monde, il ne pourra pas se faire respecter, car il
n'a pas les moyens de se défendre en cour. Il va même se faire
copier encore plus, car avec les brevets l'information est connue.
Protéger les inventeurs contre le lobby
des brevets
L'expérience des inventeurs québécois n'a évidemment
rien d'unique, car nombre de fonctionnaires et de consultants privés
partout dans le monde ont intérêt à maintenir en place
un système les faisant vivre sans trop d'efforts. De plus, si les
librairies et les bibliothèques regorgent d'ouvrages sur la protection
intellectuelle rédigés par les bénéficiaires
du système, on ne trouve à peu près aucun livre mettant
les inventeurs en garde de façon détaillée et objective
contre les avatars des brevets(2).
Il est donc fort regrettable qu'un porte-parole d'un organisme comme l'Institut
Fraser endosse aussi facilement l'argumentation du lobby des brevets. Les
inventeurs autonomes canadiens méritent mieux.
1. Robert Mazzoleni and Richard
R. Nelson, « The Benefits and Costs of Strong Patent Protection:
A Contribution
to the Current Debate », Research
Policy 27, 273-284, 1998. >>
2. On doit toutefois souligner
la contribution remarquable de H. Dyson Carter qui, il y a maintenant
plus de soixante
ans, a décrit en détail et dans une langue claire et accessible
tous les travers du
système
pour les inventeurs autonomes (H. Dyson Carter, If you want to invent,
New York,
The Vanguard
Press, 1939). Il est plutôt navrant de constater à quel point
les choses n'ont pas
changé
depuis la parution de cet ouvrage. >>
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de Pierre Desrochers |