Montréal,  8 - 21 janv. 2000
Numéro 53
 
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COURRIER TRANSATLANTIQUE
  
LA CROISADE ANTIDOPAGE
 
par Olivier Golinvaux
  
 
          Mes amis me confient souvent qu’il n’est pas évident, de prime abord, de voir dans la lutte antidopage une nouvelle invasion étatique. Après tout, le dopage ne représente-t-il pas le non-respect de règles du jeu parfaitement légitimes? Ben Johnson et Richard Virenque ne sont-ils pas tout simplement de vilains Indiens face aux tuniques bleues des « instances sportives »? J’admets que le thème n’est pas un sentier battu du libertarianisme. Ceci dit, j’invite le lecteur à constater que malgré cela, le sport est en train de devenir – en particulier à travers la croisade antidope – non pas un sentier mais bien un grand boulevard de l’étatisme. 
  
          Au total, une nouvelle histoire de seringues et de dégâts, dans laquelle le lien de cause à effet entre ces deux éléments n’est peut-être pas aussi direct que l’on croit…
 
The needle and the damage done  
  
          Stéroïdes, E.P.O., S.T.H. Ah! Voilà encore un bon exemple des méfaits du capitalisme sauvage qui règne sur le monde en cette fin de siècle; voilà une plaie béante taillée au billet vert – avec ses sponsors, ses cadences infernales, ses droits de retransmission TV et ses salaires intergalactiques – dans l’idéal olympique, M. de Coubertin! N’est-ce pas l’appât du gain sonnant et trébuchant qui incite les athlètes à fouler aux pieds les règles du jeu, en troquant le jus de carotte pour la seringue qui trahit le sens de la compétition? Mais alors qu’attend-on, je vous le demande? Ah! Si seulement l’État n’était pas si impuissant, ma bonne dame! Que Dieu tout puissant prête administration vaillante et budget gonflé(1) à cette admirable et courageuse personne qu’est notre ministre des Sports, elle qui est si pleine de « volonté politique ». No more Ben Johnson! No more Richard Virenque!  
  
          Il y a quelques mois de ça, un de mes voisins, fidèle lecteur du journal sportif L’Équipe magazine, prit l’habitude fort aimable de me donner cette vénérable publication après en avoir pris connaissance. C’est ainsi que je suis tombé, un peu par hasard, sur la prose antidope enflammée qui décore cette feuille de chou. C’était en été, à l’époque du tour de France cycliste. En couverture de L’Équipe magazine, un dessin de superwoman(2) toute bleue et capée de rouge avec la tête de Marie-Georges Buffet(3). Une farce, une moquerie me dis-je. Mais non! L’éloge du verbe vint confirmer le premier degré du dessin. J’en serais tombé assis si je ne l’avais déjà été, comme il est de rigueur dans le genre d’endroit où l’on s’adonne à de telles lectures. La tirade que je vous ai servie pour introduire mon propos résumerait en effet fort bien celui des rédacteurs de L’Équipe. Et elle est régulièrement resservie au fil des numéros, même s’il est vrai qu’un calme relatif s’était établi ces derniers temps. « S’était » 
  
          En effet, dans son numéro 918, du 27 novembre 99, L’Équipe remettait le couvert. Dossier annoncé: « Où en est vraiment la lutte antidopage? » J’ai tout d’abord été frappé par quelques éléments de forme tout à fait révélateurs. Je vous en livre deux exemples. Après le titre « Antidopage: on fait quoi demain? », on peut lire la phrase introductive suivante: 
« Après une offensive rapide et très médiatisée, la lutte antidopage “à la française” marque aujourd’hui le pas. De la recherche scientifique à la législation, des médecins aux policiers, le point sur une politique qui se cherche. » 
          Les mots en caractères gras le sont dans le texte, ça « flashe » comme on dit. Propaganda fide quand tu nous tiens… Un peu plus loin, en rouge et en gros: « Aujourd’hui, on n’y voit pas clair. Et nous n’avons pas les décrets pour nous éclairer.(4) » C’est éclairant, un décret… Maladresse burlesque, manifestation spirite de l’Esprit des Lois ou propagande grotesque? Rapproché de la phrase introductive sus mentionnée, on peut hésiter… 
  
          À propos, que trouve-t-on d’éclairant dans un décret antidope? L’article en mentionne un, dans un tableau sur « la procédure et ses failles ». Il s’agit d’un décret d’août 1991 « toujours valable en attendant les décrets d’application de la nouvelle loi ». Il est précisé que la « procédure » doit se dérouler dans un local adéquat, avec une salle d’attente et des toilettes; sous le contrôle d’un médecin agréé et assermenté, qui doit recueillir deux échantillons d’égale contenance. Le tableau précise que ceci est en contradiction avec les règles du CIO et celles de nombreuses fédérations internationales, qui imposent une répartition 60 / 40 ou 70 / 30. Oups! Heureusement que ce ne sont pas des règles estampillées U.E. car « la  France » aurait encore été dans le collimateur des « juges » de la CJCE (Cour de justice des communautés européennes)! 
   
Le nouveau Droit du taste-pisse 
 
          Le tableau en question est par ailleurs très détaillé. Cinq étapes avec à chaque fois, la procédure et les « voies échappatoires » (non pas les voies urinaires mais les astuces des vilains tricheurs et de leurs avocats pour ne pas être trahis par ces dernières). Bientôt dans les facultés de « Droit » françaises, vous verrez chers amis d’outre-Atlantique apparaître une nouvelle discipline, un nouveau « Droit »: Droit du taste-pisse(5). Et bien sûr, les futurs avocats y trouveront là matière à spécialisation prisée et rémunératrice: Droit pénal spécial du taste-pisse, Procédure urinaire, etc.  
  
          J’entends d’ici les conversations de couloirs: « Que pensez-vous du diamètre des goulots des fioles au regard de la conformation physiologique de certains haltérophiles fortement membrés, cher confrère? », « C’est là assurément un point sur lequel la jurisprudence du Conseil d’État est évasive, cher confrère… » Il faudra bien évidemment un corps de magistrats spécialisés, des procureurs de choc pour traquer le pipi trop jaune et ceux qui vendent la Nandrolone que l’on trouve dedans; des procs assistés par une brigade policière spécialisée. D’ailleurs, celle-ci existe déjà. L’article de L’Équipe nous apprend en effet que s’« il y avait l’anti-gang, la crim et les stups, le 36 Quai des Orfèvres compte depuis juin une cellule antidopage ». Sept flics, sept mercenaires de la croisade antidope qui « avancent à pas assurés, la loi Buffet sous le bras ». 
  
  
  
« Que pensez-vous du diamètre des goulots des fioles au regard de la conformation physiologique de certains haltérophiles fortement membrés, cher confrère? » 
 
« C'est là assurément un point sur lequel la jurisprudence du Conseil d'État est évasive, cher confrère… »
 
  
  
          Mais il n’y a pas que les pédants pondeurs de lois et les baïonnettes qui vont avec qui sont concernés par le sujet. Comme l’annonçaient les caractères gras de la phrase introductive, il y a aussi les « scientifiques ». Parmi ces derniers, les médecins chevaliers blancs ne manquent pas de faire du zèle. Ainsi, le directeur du Laboratoire national de dépistage du dopage, le docteur Austruy, « évoque un axe majeur qui permettrait d’optimiser le combat ». Il souhaite en effet la création d’une structure de type « médecine du travail », financée par l’employeur (ben voyons!), pour effectuer un suivi « longitudinal » (traduisez: une traque permanente). Et de conclure: « Enfin, pourquoi ne limiterions-nous pas l’activité des sportifs comme on le fait avec les chauffeurs routiers? » Cela se passe de commentaires. J’espère que ce degré d’abrutissement n’a pas encore été atteint au pays du sirop d’érable.  
  
          Notons aussi, pour la petite cerise amusante sur cette génoise du troisième Reich, que j’ai découvert dans cet admirable « dossier » un nom qui m’est bien connu. Il s’agit d’un médecin dont on nous dit qu’il exerçait les fonctions de médecin « préleveur » à l’occasion d’un contrôle pipi qui visait un sportif célèbre. Préleveur mais aussi dopeur: il m’a personnellement fourni des anabolisants à l’époque où je pratiquais le culturisme « assisté ». En fait, il était – l’est-il encore? Je ne fréquente plus ces milieux depuis 8 ans, avec une pointe de nostalgie au demeurant – réputé tout particulièrement pour cette spécialité. Parmi les croisés, il y a donc les blancs enragés et les gris opportunistes. Mais quoi de plus normal dans un système bureaucratique? 
  
          Les blancs, dans la mesure où ils ne pratiquent pas le double jeu du flacon-devant-seringue-derrière (un gris, vu les sanctions pénales, a toujours une façade blanche), les blancs enragés dis-je, font beaucoup penser à ces tyrans médicaux que dénonce T. Szasz. C’est qu’ils se préoccupent de notre santé, ces braves gens! « C’est sur les jeunes qu’il faut travailler » s’exalte – terme de l’article – un médecin préleveur. Plus loin on apprend avec bonheur qu’un autre « vit ce rôle pédagogique (sic) comme un sacerdoce ». Ils ont le feu sacré républicain, les bougres: « Je vis cette fonction comme un homme de Loi, mais pas comme un shérif » précise un troisième, indiquant que sa présence agit comme un « contrôle radar » de dissuasion(6)… Quel beau métier que taste-pisse, une vocation vous dis-je! En plus, le ministère rémunère ces courageux missionnaires 564 FF par vacation, « le double pour les nuits ou les dimanches » nous précise-t-on. Qui sait, bientôt une opportunité de carrière à temps plein?  
  
          D’ailleurs, l’article de L’Équipe précise que « nombre de préleveurs souhaitent une structure de médecins spécialisés dans le contrôle d’athlètes professionnels avec d’autres moyens de dépistage ». De quels moyens s’agit-il? Un certain docteur Beccaria est très clair sur le sujet: « J’espère que d’ici deux ans nous disposerons enfin de tests sanguins. » Moi je propose carrément de passer sans attendre à la biopsie du foie. Voilà un test efficace, qui aurait de plus des conséquences préventives très intéressantes. En effet, on pourrait prélever d’énormes bouts à chaque contrôle, histoire de réduire les capacités d’assimilation des produits de l’athlète. On pourrait d’ailleurs faire un truc du genre avec les contrôles sanguins: un litre à chaque prise! Dr Austruy, ne cherchez pas plus loin votre système de limitation de l’activité des sportifs « comme les chauffeurs routiers! »  
  
La santé du dopé en danger: la ritournelle paternaliste des dirigistes 
  
          Impossible aujourd’hui d’échapper aux litanies moralisantes sur le dopage. Dans les médias, elles accompagnent les reportages sur les événements sportifs comme la salade accompagne les rouleaux de printemps. D’ailleurs, en parlant de salades, ces litanies en comportent de bien belles; de celles qui, mal lavées, trahissent la gangue dans laquelle elles ont poussé: calomnie, mensonge et usurpation. Les propos alarmistes des chevaliers blancs de la croisade antidopage tiennent le plus souvent de l’affabulation, de la manipulation intellectuelle visant à justifier l’intervention des hommes de l’État dans la vie d’honnêtes et paisibles citoyens. 
    
          L’un des piliers de la croisade du ministère de la Jeunesse et des Sports est la santé prétendument en danger du sportif chargé. Il ruine sa belle jeunesse à coup de déca-durabolin, le benêt! Mal informé ou même manipulé par les soigneurs gourous à la solde du grand capital, il est inconscient du danger, c’est l’évidence même! Dans tous les cas de figure, le sportif est présenté comme une victime innocente sacrifiée – ou qui se sacrifie – dans la course au profit et la gloire éphémère. Voilà le décor planté. Il séduit nombre de personnes parce que tous les ingrédients sont là pour concocter le spectacle dont elles sont friandes: le gentil niais, le méchant aux poches pleines, le savant fou au regard allumé, le frisson du danger si proche… Bref, tout est fin prêt pour que la cavalerie du service public vienne au secours du sprinter et du grimpeur. 
  
          En fait, tout cela sent bon l’imposture. Tout d’abord, le fait même de prendre des produits dopants n’est pas per se un facteur minorant du capital santé du dopé. C’est une erreur grossière que de parler des produits dopants de manière aussi globale, comme d’une catégorie homogène, sans tenir compte de la nature des produits consommés et des dosages pratiqués, sans tenir compte de la charge d’entraînement, de l’alimentation et des prédispositions du pratiquant à développer des effets secondaires indésirables. De plus, ceux-ci sont montés en épingle au point d’occuper la totalité du tableau, ce qui est profondément irrationnel. Cela revient à la même chose que de parler de n’importe quel médicament en décrivant uniquement ses potentiels effets indésirables. Et cela revient, en fin de compte, à ne décrire des biens que les risques liés à leur utilisation, avec le présupposé constructiviste que ce qui est souhaitable est le risque zéro.  
  
          Doit-on interdire de manger du pain parce qu’il existe un risque de s’étouffer avec? Question ridicule s’il en est, mais qu’on ne peut manquer de poser si l’on considère qu’il faut interdire le commerce et la consommation d’une chose parce que cette dernière présente « un risque pour la santé ». Il est tout simplement malhonnête d’occulter sciemment les nombreux avantages liés à l’utilisation des substances dites dopantes. Or le fait de peser avantages et inconvénients ne peut relever – en fin de compte – que de l’appréciation personnelle du pratiquant, tout simplement parce que c’est de son corps, de sa santé dont il s’agit. Les apôtres de l’antidopage commettent ici une deuxième erreur: celle de présenter la santé comme un monolithe. La santé est l’état de l’organisme, bon ou mauvais quant à son fonctionnement. Autrement dit, le concept de santé n’est pas un concept flottant, détaché, qui serait indépendant des activités de la personne dont on parle.  
  
          Bien sûr, il y a des traits génériques – l’absence de maladie virale infectant l’organisme par exemple – mais au-delà, il y a une indéniable pluralité résumée dans ce simple constat: nous ne demandons pas tous la même chose de nos corps respectifs. L’organisme du bûcheron n’est pas sollicité de la même manière que l’organisme du professeur d’université, ou que celui du danseur de ballet. X peut bien se trouver en bonne santé en tant que professeur bedonnant, s’il est licencié pour incompétence (juste une blague au passage, c’est bien sûr totalement impossible ici) et qu’il doit désormais gagner sa vie en tant que bûcheron ou danseur de ballet, il fera le constat amer que son organisme est passablement inadapté s’agissant de mener à bien ses nouvelles activités. Un sportif – amateur ou a fortiori professionnel – attend autre chose de son corps qu’une personne non sportive. Son activité sportive même impliquera qu’il prenne soin de son organisme d’une manière adaptée, différente de celle qui le serait si cette activité n’était pas pratiquée. Les produits dits dopants peuvent fort bien entrer dans la panoplie de ces soins(7), tout comme une alimentation adaptée. Une personne peut être en meilleure santé dopée que non dopée. Le fait que cette amélioration se paie au prix du « risque » nous donne juste, au passage, une indication sur le caractère entrepreneurial de l’affaire. 
  
          S’agissant de la santé des sportifs, le salut ne se trouve pas dans les restrictions étatiques mais bien dans le libre commerce des substances dopantes et des services de conseil en dopage. Le régime de prohibition actuel mène aux mêmes catastrophes que celles qu’il a provoquées ailleurs, par exemple dans le domaine des drogues récréatives: recours à des fournisseurs plus ou moins mafieux, fourguant des produits de provenance et de composition plus ou moins douteuses, sans garantie, mais à prix flambés. L’organisation étatique – par la pénalisation – de la pénurie de conseil médical tend elle aussi à priver le sportif dopé d’informations dont il pourrait avoir grand besoin pour mener son entreprise à bien en minorant les risques. En fait, la désinformation constante ajoutée au monopole officiel d’appréciation du risque amène malheureusement certains dopés, qui ont entrevu la supercherie, à jeter le risque avec l’eau du bain de l’évaluation étatique et à agir de façon bien légère, sans prudence aucune. 
  
          Les hommes de l’État n’ont que faire de la santé des sportifs. S’il existait une population taxable de dopés aussi nombreuse que celle des fumeurs, nul doute que les ampoules de testostérone côtoieraient les Gitanes sur les étagères des buralistes. Mais les hommes de l’État ont estimé qu’ils maximiseraient mieux l’exploitation des sportifs dopés en faisant d’eux le centre d’une campagne destinée uniquement à valoriser leur image de sauveur rédempteur, dernière chance de sauvetage d’une société en perdition. 
  
Règles du jeu méprisées ou jeu à règles méprisantes? 
  
          La deuxième attaque frontale contre le dopage est l’affirmation, répétée comme un mantra, qu’il constituerait une violation des règles du sport, une méconnaissance élémentaire de l’esprit de compétition: le dopé serait tout simplement un tricheur. Je suis persuadé que même mes amis libertariens ne sont pas insensibles à cet argument, qui après tout n’est pas en lui-même dénué de bon sens. Mais l’erreur est là justement: l’argument n’a véritablement de sens que dans son contexte, à savoir « les règles du sport ». Oui mais de quel sport? Pourquoi diable ces règles devraient-elles être uniformes? Et même à les imaginer uniformes dans une spécialité donnée, pourquoi donc « l’esprit de compétition » n’impliquerait-il pas de laisser l’armoire à pharmacie ouverte à tout compétiteur, plutôt que fermée?  
  
          Il n’y a aucun principe(8) qui puisse être invoqué dans un sens ou dans l’autre. C’est ici une simple affaire de convenances personnelles des pratiquants et des organisateurs de manifestations sportives et, partant, une simple question de conventions; comme l’ensemble des règles sportives d’ailleurs, pas plus – mais pas moins – que la règle qui dit qu’au soccer les joueurs utilisent les pieds et non les mains. Or si c’est une question de conventions, c’est donc une question qui ne peut faire fi du respect des droits de propriété des protagonistes. Ainsi, de la même manière que les règles admises internationalement dans les compétitions de soccer ne peuvent en rien empêcher des gens de pratiquer d’autres jeux de ballon qui méconnaîtraient ces règles (sous peine de violer le droit de propriété qu’ils ont sur eux-mêmes), les règles relatives à la prise de produits dopants par les compétiteurs de tel ou tel sport pratiqué sous l’égide de telle ou telle fédération ne devraient en rien empêcher d’autres personnes de faire différemment, et le cas échéant de s’associer en une nouvelle fédération pour organiser des compétitions entre eux, sous peine de violer le droit de propriété qu’ils ont sur eux-mêmes. Le même principe propriétariste, remarquons-le, implique également que le tricheur ne saurait être puni autrement que par le bannissement ou par des sanctions autres mais librement acceptées – contractuellement par exemple – du pratiquant. 
  
          Mais qu’observe-t-on, dans le contexte étatisé actuel, si ce n’est encore et toujours des violations multiformes de droits de propriété? Ainsi, l’accès aux produits dopants est légalement interdit – à travers la prohibition du commerce de ces derniers à des fins « autres que thérapeutiques » – aux non compétiteurs(9), c’est-à-dire à des personnes qui par définition ne violent aucune « règle du jeu ». De même, la conséquence logique du droit de propriété appelée « liberté d’association » est fondamentalement méconnue dès lors que l’organisation de compétitions ouvertes aux sportifs dopés, ainsi que la constitution de fédérations open drug sont prohibées(10). Enfin, l’intervention du « Droit » pénal et des forces de police dans des affaires de dopage constitue une atteinte fascisante à la liberté de personnes n’ayant elles-mêmes initié aucune agression à laquelle cette répression ferait écho. Le dopé bafoue peut-être les règles explicites du jeu; mais ces règles sont celles qu’édictent des monopoleurs qui entendent s’imposer à la force du canon, bafouant ainsi les droits du dopé. 
  
          De plus, cette négation des droits n’empêche en rien le mépris des idéaux sportifs et de l’esprit de compétition. Le dopage est et demeure une pratique liée au sport de compétition à partir d’un certain niveau. La seule différence est que cela se fait dans l’ombre, pour le plus grand bonheur des gogos naïfs qui, n’ayant pas quitté l’univers de Musclor et de Batman de leur enfance, se prennent à rêver aux super héros qui grimpent les cols comme des cyclomoteurs en carburant aux épinards en boîte. Les contrôles des tastes-pisse et tout le tremblement médiatique contribuent à la supercherie(11) dont ceux qui ont fréquenté les milieux du sport ne sont pas dupes. Les contrôles positifs de quelques imprudents – ou de quelques boucs émissaires – servent avant tout à dorer le blason des pas-vus-pas-pris – ou des protégés – qui passent dès lors pour les Popeyes de service. Je dis bien les pas-vus-pas-pris, car dans nombre de sports, le haut niveau est tel aujourd’hui qu’il est tout simplement impossible de s’y hisser sans dopage, et même sans dopage COLOSSAL.  
  
          Voici donc un autre protagoniste dont les droits pourraient bien être méconnus, non par la violence ouverte mais la fraude subreptice: il s’agit du spectateur consommateur de spectacle sportif. Dans la mesure où Jacques Bonhomme paierait pour du spectacle sportif drug free, il y aurait en effet – et c’est peu dire – tromperie sur la marchandise. Si « tricherie » il y a, c’est bien celle-là. Avouons-le, la presse sportive semble tout de même avoir perdu un peu de sa naïveté sur le sujet et relève l’existence de ce jeu hypocrite, dont la règle d’or est très souvent « Dopes-toi, mens à tes admirateurs – ta carrière en dépend – et ne te fais pas prendre(12) ». Ainsi, dans le sport de haut niveau actuel – et ce dans de très nombreuses disciplines – le dopé ne bafoue pas mais au contraire applique à la lettre une règle implicite mais majeure du jeu auquel il se livre. Le dopé contrôlé positif n’a « triché » en rien, il a simplement joué et perdu. 
  
Le sport d'État au profit d'une petite caste 
 
          Il est simplement regrettable que les journalistes sportifs tombent dans le panneau du « toujours plus d’État » comme solution à ce problème. Pourtant le fin du fin de cette solution-là est connu en la matière, comme ont pu en attester nombre d’anciens sportifs d’État de l’ex-bloc de l’Est. Le sport d’État, tendu vers la gloire des médailles à collectionner et des hymnes nationaux à faire sonner n’est pas moins, mais plus enclin à recourir à tous les moyens nécessaires – y compris contre le gré du sportif – pour atteindre ses fins. Le dopage et l’ombre dans laquelle on le plonge relèvent alors de la « raison d’État ». Le sport d’État amène non pas à la disparition du dopage, mais à sa confiscation au profit d’une petite caste. C’est la victoire complète, et non la défaite de la supercherie. Il n’y a aucune raison de penser que cela puisse être différent dans un pays semi-totalitaire comme la France; les médailles collectionnées sont là pour le rappeler. Flacon devant et seringue derrière, vous dis-je!  
  
          C’est seulement sur le marché non entravé que les consommateurs voulant des spectacles sportifs drug free pourront escompter obtenir un produit conforme à leurs désirs, en perdant au passage leurs illusions quant aux performances qui peuvent être obtenues sans dope et en payant pour ce faire les tests auxquels se soumettront de bon gré des sportifs désireux de concourir sans armoire à pharmacie(13). Renoncer à contrôler le comportement des consommateurs de dopants et des consommateurs de spectacles pharmaco-sportifs, et assumer les conséquences de ses propres choix est non pas le pire, mais le meilleur moyen d’assurer l’émergence de compétitions réellement drug free. Sur le marché non entravé, c’est-à-dire dans une société authentiquement libre, on assisterait certainement à l’émergence d’une pluralité de règles relatives au dopage; certaines associations de sportifs l’interdisant, d’autres l’admettant au contraire sans limites, d’autres encore l’admettant dans des limites conventionnellement fixées. On éviterait du même coup les conséquences stupides de la liste unique et officielle, conséquences que l’on pourrait résumer dans cette définition actuelle du dopé: «  Est dopé non celui qui se dope mais celui qui prend des produits inscrits sur la liste des interdits », version sportive d’un grand classique de l’administrativisme environnemental: « Est pollueur non celui qui pollue mais celui qui ne respecte pas les normes d’émission de polluants ». 
  
          Pour conclure, j’aurai une petite pensée pour tous ces gens que le sport n’intéresse pas – ou si peu – mais qui sont tout de même fiscalement « sollicités » pour contribuer au financement de ces usines à gaz collectivistes, comme c’est le cas par exemple pour le programme ministériel de « veille biologique » lancé fin 1998 et dans le cadre duquel le ministère prend en charge le coût des examens sanguins effectués sur des athlètes de haut niveau – entre 1 700 et 2 500 FF l’examen(14) (Source: L’Équipe, n° 918). Mais il est vrai que lorsqu’on est habitué à se pâmer devant les équipes « nationales » de sportifs tricolores et subventionnés, on est moins regardant.  
  
 
  
1. Le ministère de la jeunesse et des sports avait annoncé, été 99, une augmentation 
    substantielle de l'enveloppe budgétaire consacrée à la lutte antidopage, qui passerait de 
    25 à 150 millions FF. 500 % d'augmentation, c'est certes substantiel!  >> 
2. La presse magasine semble friande de ce genre de cliché. Ainsi, L'Événement a placé 
    en couverture il y a quelque temps un José Bové menotté, souriant, bras en l'air, sortant 
    comme un diable vengeur d'un hamburger géant. La légende: « Ces Français qui luttent 
    contre la “mal-bouffe” ». J. Bové, pour ceux qui ne le connaissent pas, est le leader d'un 
    syndicat d'agriculteurs dont les « actions » récentes ont notamment consisté dans le 
    saccage d'un restaurant McDonald's. Je suis désolé de décevoir M. P. Lemieux pour qui 
    les Français sont avant tout des civilisés du repas en quatre plats raffinés: non seulement 
    ils bouffent du hamburger à la pelle, mais en plus ils applaudissent lorsque des butors 
    ravagent les établissements qui les leur servent!  >> 
3. Actuelle ministre des Sports. Parti communiste.  >> 
4. La phrase est reprise deux pages plus loin, dans le corps du texte et en contexte cette fois; 
    il s'agit du responsable du laboratoire national de dépistage (sic) du dopage qui fait part de 
    ses interrogations sur le cadre d'utilisation de certains tests. Préventif!? Répressif!? 
    Le bon fonctionnaire attend les ordres, la phrase reprend en sens ce qu'elle perd en 
    comique.  >> 
5. Taste-pisse est un surnom qui était donné, dans les milieux culturistes, aux fameux 
    « médecins préleveurs »>> 
6. Le mot « préventif » est perçu très favorablement en France, alors que le mot « répressif » 
    est orné immédiatement d'une croix gammée par une majorité de personnes. Elles ne se 
    rendent pas compte qu'à prohibition égale, le régime préventif est plus liberticide que 
    le répressif.  >> 
7. Un exemple. Augmenter la force musculaire est un bien pour un powerlifter. L'absorption 
    de stéroïdes anabolisants, couplée à un régime alimentaire et à un programme d'exercices 
    physiques adaptés contribue à cette augmentation . Ladite absorption est donc, sous cet angle, 
    une bonne chose. Je ne remets pas en question le fait certain que cette absorption puisse 
    éventuellement causer de mauvais effets.  >> 
8. Certains avancent cependant une vieille étoile noire bien connue des libertariens dans d'autres 
    domaines, à savoir « l'égalité des chances ». Mais l'égalitarisme auquel elle conduit impliquerait, 
    au-delà de la dope, de compenser les écarts de talents et de préparation physique et mentale des 
    compétiteurs, dépassant les gènes et le travail déficients des uns par un sac de pierre sur le dos 
    des autres par exemple. C'est ni plus ni moins qu'une variante sportive de l'égalisation des 
    conditions de production dénoncée par Bastiat. Tous égaux est un mythe stupide et destructeur 
    de civilisation, sur les lignes de départ comme dans les autres circonstances de la vie humaine. 
    Nous sommes irréductiblement inégaux, bien que semblables. Or Tous semblables est un credo 
    libertarien, qui amène non à « l'égalité des chances » mais au respect de la personne et des biens 
    de chacun.  >> 
9. Les non compétiteurs dopés sont nombreux dans certains sports, comme le culturisme par 
    exemple.  >> 
10. Les statolâtres craignent d'être débordés par l'international, comme par exemple une Ligue 
      professionnelle cycliste à laquelle seraient directement affiliées les équipes professionnelles 
      et dont la constitution a été annoncée par Hein Verbruggen, le président de l'Union cycliste 
      internationale. Appliquant les recettes prohibitionnistes modernes, ils se tournent dès lors 
      vers des institutions internationales intergouvernementales comme la future Agence mondiale 
      antidopage (AMA) à laquelle 26 gouvernements ont adhéré en novembre; de la même manière 
      que les ennemis du libre-échange se tournent vers l'OMC. (Source: L'Équipe).  >> 
11. Prétendre que le dopé a « triché » face au clean a qui il a « volé » la victoire d'une courte tête est 
      comique pour qui connaît un tant soi peu les effets spectaculaires des cures de produits dopants. 
      Si le clean l'avait réellement été (clean), il n'aurait pas pris le départ ou du moins, pas ce départ là. 
      C'est ainsi qu'il faut voir l'Affaire Ben Johnson, le plus talentueux dopé d'une mémorable finale 
      d'un 100m de dopés.  >> 
12. Pour revenir un instant sur la « question » santé, il faut relever que cet univers hypocrite a incité 
      à l'adoption de comportements extrêmement risqués, à savoir l'absorption de produits dits 
      masquants, dont l'effet est de bloquer l'élimination des molécules prohibées. Bien entendu, 
      la liste des produits interdits s'est allongée des dits produits par la suite.  >> 
13. Si leur discipline ne soulève pas les passions et les fonds qui vont avec, ces sportifs n'auraient 
      d'autre recours que de financer eux-mêmes ces tests, si la confiance ne règne pas suffisamment 
      entre eux. Mais c'est là leur affaire et en aucun cas cela ne leur donne le droit – que dis-je, le tort 
      – d'extorquer ces fonds à autrui.  >> 
14. Laurent Coadic rapporte dans ce numéro de L'Équipe que le programme avait pour objectif d'être 
      étendu à 12 000 athlètes en 2001. Sur la base de quatre bilans sanguins par athlète et par an. 
      Les choses ne se sont pas passées comme prévu semble-t-il. Tant mieux. Mais Laurent Coadic 
      signale que « progressivement, les choses se mettent en place », ce qui n'est pas très rassurant.  >>
 
 
 
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