Montréal,  8 - 21 janv. 2000
Numéro 53
 
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MOT POUR MOT
  
TOUT APPARTIENT AU GOUVERNEMENT
 
 
          Au Canada, tout appartient au gouvernement et nos libertés n'ont pas de fondement absolu mais découlent de la simple bonne volonté de nos dirigeants. Comme l'a fameusement affirmé un bureaucrate provincial il y a quelques années, nous n'avons aucun « droit » d'utiliser les routes publiques: c'est un « privilège » que le gouvernement nous accorde en nous délivrant un permis de conduire.  
  
          Nos biens ne nous appartiennent pas vraiment non plus. L'État daigne nous laisser moins de la moitié de la richesse que nous créons en travaillant et nous permet – temporairement – de jouir de notre propriété. Mais il se réserve le droit de décider à tout moment de nous enlever ce qui nous appartient en théorie, tout comme de nous dicter comment en disposer (voir PAS MAÎTRE CHEZ SOI, le QL, no 51). La constitution canadienne ne protège en effet aucunement les droits de propriété des individus. 
  
          Le député réformiste Garry Breitkreuz a présenté pour la 3e fois en trois ans en décembre dernier un projet de loi privé à la Chambre des Communes qui aurait pour effet de renforcer les droits de propriété dans la loi canadienne. Comme les fois précédentes, le projet est toutefois mort avant qu'il y ait eu discussion ou vote, la majorité libérale refusant d'en transmettre l'étude, selon la procédure parlementaire, au sous-comité de la Chambre sur les droits de la personne.  
  
          Dans l'extrait qui suit, le député Breitkreuz justifie la pertinence de son projet de loi devant la Chambre: 
 
  
DISCOURS DE GARRY BREITKREUZ
  
  
          Qu'est-ce qui appartient à une personne et que le Gouvernement du Canada ne peut lui enlever? La réponse est rien.  
  
          Pensez-vous que les Canadiens ont le droit de posséder l'antenne parabolique qu'ils ont achetée, pour laquelle ils ont payé des droits de douane et des taxes, et d'apprécier les programmes télévisés pour lesquels ils paient? Pensez-vous qu'ils ont le droit de posséder le fusil qu'ils ont acheté en toute légalité pour tirer à la cible ou chasser? Pensez-vous qu'ils ont le droit de posséder l'argent qu'ils cotisent au régime de retraite d'État? Pensez-vous qu'ils ont le droit de posséder et de vendre les produits qu'ils cultivent sur leurs propres terres? Pensez-vous qu'ils ont, en vertu du droit fédéral canadien, le droit d'être indemnisés pour les biens que le gouvernement leur prend, y compris leurs propres terres?  
  
          Si vous pensez que les Canadiens ont un droit quelconque ou que ces droits sont protégés en vertu du droit canadien, je suis désolé de vous dire que vous vous trompez. Le gouvernement peut à n'importe quel moment prendre aux Canadiens n'importe quel de leurs biens et personne ne peut rien y faire. Nous, à la Chambre, sommes les seuls qui pouvons faire quelque chose.  
  
          Voyons un peu ce que le gouvernement a pris aux Canadiens. Au fil des ans, les Canadiens ont acheté pour 700 000 dollars, chiffre estimatif, de satellites de radiodiffusion directe à domicile, de services et de programmes en provenance des États-Unis, parce que ces produits n'étaient pas disponibles au Canada. Ce sont des produits légaux sur lesquels le gouvernement du Canada a perçu des droits de douane et des taxes. Le gouvernement a ensuite adopté unilatéralement une loi déclarant illégaux l'équipement, les services et les programmes dont jouissent les Canadiens qui ont leurs propres satellites, leur propre décodeur et leur propre télévision.  
  
          Cette année, en mai, la GRC a annoncé que des mesures de répression seraient prises contre ces criminels canadiens. Mon collègue, le député de Calgary-Centre, a rendu publique la directive en question. Cette directive dit ceci:  
Même si les droits de douane et les taxes sur le matériel ou l'équipement de ce genre ont été acquittés, les dispositions de la Loi sur la radiocommunication restent en vigueur. La possession, l'utilisation, la vente, et ainsi de suite, d'un tel matériel sont donc illégales. 
          Le fait de regarder illégalement la télévision est passible d'une amende pouvant atteindre 5 000 $ ou d'une peine de 12 mois de prison. Il en va de même du droit de posséder un bien et d'en user au Canada.  
  
          En 1994, un agriculteur détenant un permis d'armes à feu délivré par le gouvernement fédéral est allé s'acheter une carabine, une arme à feu communément utilisée pour la chasse et des activités sportives, auprès d'un marchand d'armes à feu titulaire d'un permis délivré lui aussi par le gouvernement. En 1995, le gouvernement a adopté le projet de loi C-68 qui lui confère le pouvoir absolu d'interdire toute arme à feu si, de l'avis du gouverneur en conseil, en fait le ou la ministre de la Justice, pense que l'arme à feu ne devrait ou ne pourrait pas être utilisée pour la chasse et des activités sportives. (...)  
  
          Le gouvernement peut interdire toute carabine sans tenir de débat à la Chambre. Et il n'y a pas moyen d'amener le Parlement à reconsidérer cette interdiction. Le gouvernement peut interdire n'importe quelle carabine vu l'absence de toute disposition législative qui permettrait aux propriétaires de ces armes à feu de faire appel, et ce, pour la bonne raison que le Code criminel ne prévoit pas un tel droit d'appel. Le gouvernement peut bien interdire les petites carabines et affirmer que leurs propriétaires n'ont droit à aucune compensation, que ce soit pour la perte de valeur causée par cette interdiction arbitraire ou pour la confiscation de l'arme, le cas échéant. (...) 
  
          Un agriculteur de la Saskatchewan, David Bryan, a fait pousser du blé sur sa terre. Ses problèmes ont débuté lorsqu'il a cherché à obtenir pour son blé un meilleur prix que celui qu'était prête à lui verser la Commission canadienne du blé. Le gouvernement fédéral a accusé M. Bryan d'avoir exporté ses propres céréales aux États-Unis sans avoir au préalable obtenu un permis d'exportation de la commission, qui est un monopole et une dictature.  
  
          Pour avoir contrevenu à ce décret de tendance soviétique, M. Bryan a passé une semaine en prison, puis s'est vu imposer une amende de 9 000 $ et une condamnation avec sursis de deux ans. Avec l'aide de la National Citizens' Coalition, M. Bryan a interjeté appel de sa condamnation pour le motif que celle-ci allait à l'encontre du droit de propriété que lui garantit la Déclaration canadienne des droits adoptée par le Parlement en 1960.  
  
          Le 4 février 1999, la Cour d'appel du Manitoba a décrété que M. David Bryan n'avait pas le droit de vendre les céréales cultivées sur ses propres terres. À la page 14 de la décision, la Cour d'appel du Manitoba précise que:  
Le paragraphe 1a) de la Déclaration canadienne des droits, qui protège les droits de propriété dans le cadre d'une disposition prévoyant l'« application régulière de la loi », ne trouve pas son parallèle dans la Charte, et le droit à la « jouissance d'un bien » ne constitue pas un élément fondamental de la société canadienne qui est protégé par la Constitution. 
          Quiconque suit le présent débat ou en lit le compte rendu peut-il croire que ces propos sont attribuables à un tribunal canadien?  
  
          Cette décision confirme ce que soutenait le spécialiste constitutionnel Peter Hogg dans son livre intitulé Constitutional Law of Canada, troisième édition:  
La portée de l'article 7 (de la Charte) est grandement réduite du fait que l'on a omis d'y inclure les droits de propriété. C'est donc dire que l'article 7 ne prévoit aucune garantie d'indemnisation ou même d'adoption d'une procédure équitable dans une situation où le gouvernement s'empare de biens. Cela signifie que l'article 7 ne donne aucune garantie d'un traitement équitable de la part des tribunaux ou des fonctionnaires qui exercent des pouvoirs sur les intérêts purement économiques de particuliers ou de sociétés. 
          Cette citation vient du paragraphe 44.9, à la page 1030. Le professeur Hogg ajoute:  
C'est donc dire qu'à l'article 7 le mot liberté doit être interprété comme n'incluant ni les biens ni la liberté de passer des marchés, bref, comme n'incluant pas la liberté économique. 
          Cette citation vient de l'alinéa 44.7b), à la page 1028.   

          Aussi, en l'absence de toute protection du droit de propriété et de la liberté contractuelle dans la Charte canadienne des droits et libertés et étant donné que les tribunaux ont décidé que la Déclaration canadienne des droits n'offre aucune protection contre la décision du gouvernement fédéral de s'emparer arbitrairement de biens ou d'empiéter sur notre liberté économique fondamentale, j'ai décidé qu'il était temps d'agir à ce sujet.  
  
          Il est extrêmement complexe de modifier la Charte canadienne des droits et libertés, car cela exige l'adoption d'une résolution à la Chambre des communes et aux assemblées législatives de sept provinces représentant environ 50 p. 100 de la population. J'ai décidé de rédiger un projet de loi pour renforcer la protection du droit de propriété dans la Déclaration canadienne des droits. En conséquence, cela ne ferait que renforcer la protection du droit de propriété dans la législation fédérale. (...) 
  
          Je voudrais rappeler une ou deux autres choses pour récapituler. À quoi peut bien servir le droit à la propriété? Je vois trois grandes raisons de l'utilité et de la nécessité du droit de propriété. Premièrement, il bonifie la société dans laquelle nous vivons. Deuxièmement, il protège la liberté de l'individu. Troisièmement, il protège l'environnement. En principe, la protection du droit à la propriété bonifie la société en ce qu'elle encourage l'individu, au moyen de l'effort de création, à améliorer sa qualité de vie. Ensuite, le droit à la propriété protège la liberté de cet individu en ce qu'il lui permet de décider de son propre chef de l'utilisation qu'il réservera aux biens lui appartenant, notamment le fruit de son labeur. Enfin, le droit à la propriété protège l'environnement en ce sens que le problème de la pollution ne tient pas au fait que les individus se rendent coupables de polluer leur propre environnement, mais plutôt celui des autres. 

  
  
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