Montréal,  5 février 2000  /  No 55
 
 
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LE
DÉFERLEMENT
DE L'ÉTAT
  
Les dépenses publiques au Canada, en pourcentage du PIB:
   
1926           15%  
   
1948           21%  
   
1966          30%  
   
1996         46%  
   
(Source: Statistique Canada) 
 
MOT POUR MOT
 
LES ARTISTES VEULENT DEVENIR
DES BUREAUCRATES
  
  
          Nos artistes sont épuisés. Ils n'en peuvent plus de travailler à petit salaire, sinon pour rien du tout; de se dévouer pour une population qui les ignore et qui succombe aux sirènes de l'américanisme et de la mondialisation; de devoir déménager à Montréal parce que les infrastructures sont insuffisantes en région; de ne pas pouvoir partir en tournée neuf mois par année pour faire connaître au reste du monde notre merveilleuse culture; et patati et patata. ILS SONT AU BORD DE LA DÉPRESSION NERVEUSE, les pauvres petits. C'est IN-AC-CEP-TA-BLE!  
  
          Faire autre chose qui leur procurerait de meilleurs revenus et conditions de travail n'est bien sûr pas une option: nos artistes savent que rien de moins que l'avenir du Québec et de la civilisation tout entière dépend d'eux. Ils ne veulent pas se dérober à la tâche. Ils ont trouvé une meilleure solution: devenir des bureaucrates, avec le salaire « décent » qui vient avec l'emploi. Ce serait si simple, le gouvernement n'aurait qu'à appliquer les généreuses conventions collectives des pousseux de crayons à tous ceux qui sentent monter en eux les pulsions de l'activité créatrice. Tant qu'à dépendre complètement de l'État, pourquoi ne pas exiger le même traitement V.I.P. que les autres employés de l'État?  
  
          C'est dans les faits ce qu'exige le Mouvement pour les arts et les lettres (le MAL), un gros lobby de parasites artistiques récemment formé. Comme le dit le titre de la section de leur plaidoyer reproduite ci-dessous, « les artistes sont des travailleurs à part entière ». Et si la demande pour leurs produits n'est pas assez forte pour les faire vivre, qu'à cela ne tienne, c'est le rôle du gouvernement de nous forcer à cracher le fric pour leur apporter un « soutien équitable »
 
 
PLAIDOYER POUR UN SOUTIEN ÉQUITABLE ET IMMÉDIAT 
DES ARTS ET DES LETTRES AU QUÉBEC
 
Déclaration du Mouvement pour les arts et les lettres 
 
  
Les artistes sont des travailleurs à part entière  
  
          Pour leur travail essentiel, et avec un niveau de scolarité très élevé, les artistes ont un revenu souvent inférieur au seuil de la pauvreté. En 1996, toutes sources de revenus confondus, le revenu moyen 1 d’un artisan des métiers d’art était de 15 698 $, celui d’un artiste des arts visuels et médiatiques, de 18 316 $, celui d’un musicien, de 16 956 $, et celui d’un danseur, de 12 816 $. Cette moyenne est d’autant plus inquiétante qu’elle inclut les revenus de ceux qui jouissent d’une notoriété nationale et internationale suffisante pour leur assurer l’autonomie financière essentielle à la recherche et à la création. Ainsi, une grande majorité d’artistes ne peut tout simplement pas vivre de sa profession: seul un petit nombre y parvient, et souvent, en cumulant plusieurs emplois précaires. 
  
          Faut-il rappeler que près de 75 % d’entre eux sont des travailleurs autonomes qui n’ont ni accès au régime d’assurance-emploi, ni à aucune forme d’avantages sociaux? C’est dans ces conditions que les artistes participent au développement culturel du Québec. 
  
          Malgré leur pauvreté et l’absence de filet social, ils offrent annuellement plus de 10 000 représentations, expositions, publications et manifestations culturelles de toutes sortes: un véritable tour de force. Afin de maintenir le niveau d’excellence exigé des publics québécois et étranger, les artistes doivent faire preuve d’une créativité sans cesse renouvelée et consacrer, sans compensation financière, de plus en plus de temps à leurs activités professionnelles. 
  
          Sans un soutien adéquat de l’État, plusieurs travaillent presque sans rémunération. En effet, en 1998-1999, le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) n’a pu octroyer que 803 bourses à des artistes professionnels. Ainsi, malgré la reconnaissance par le gouvernement du Québec de sa responsabilité en matière de soutien aux artistes, le CALQ n’a jamais pu subventionner plus de 30 % des demandes qui lui ont été présentées. C’est inacceptable. 

          De surcroît, la même année, l’enveloppe budgétaire que le CALQ a pu consacrer aux artistes et aux écrivains en début de carrière n’était que de trois millions et demi de dollars. Trois millions et demi de dollars pour 3 500 jeunes diplômés des arts de la scène et des arts visuels et médiatiques, cela représente à peine 1 000 $ par personne! 
  
          Il est impératif de répondre aux besoins minimaux des artistes qui assurent la pérennité de notre culture. C’est pourquoi, nous, du Mouvement pour les arts et les lettres, réclamons du gouvernement du Québec les interventions suivantes: – une hausse substantielle et immédiate du nombre et de la valeur des bourses accordées aux artistes pour la création ; – un meilleur soutien à la relève. (...) 
  
          Malgré les graves problèmes engendrés par le sous-financement, les organismes ont fait preuve d’une étonnante ténacité pour accroître leur part de marché et diffuser plus largement leurs productions. Les efforts pour augmenter les revenus autonomes n’ont pas suffi à compléter le financement de leurs activités. Ils ont dû, en plus, limiter les sommes consacrées aux cachets et aux droits d’auteur, réduire les salaires, compresser les dépenses et solliciter une implication toujours plus grande du personnel et des artistes. L’ensemble de ces mesures n’a pas été sans conséquences. La vigueur et la ténacité des administrateurs, de même que des artistes, des écrivains et des artisans, ont permis, malgré tout, le développement et le rayonnement de la culture d’ici, tant sur le territoire québécois qu’à l’étranger. 
  
          Aujourd’hui, après des années de compressions, les artistes et les travailleurs attachés aux organismes du milieu des arts et des lettres sont épuisés: épuisés de payer de leur personne pour maintenir la qualité des productions tout en répondant aux impératifs budgétaires; épuisés de travailler sans relâche pour un revenu insuffisant; épuisés de renoncer à leurs cachets et à leurs droits d’auteur plutôt que de compromettre l’accès des œuvres au public; épuisés de chercher perpétuellement des solutions pour éviter le déficit de leurs organismes. 
  
          Nous, du Mouvement pour les arts et les lettres, réclamons la consolidation des organismes artistiques qui, au cours des dernières années, ont porté à bout de bras, et au prix de l’épuisement des artistes et des travailleurs, les productions artistiques dans toutes les régions du Québec et à l’étranger. Pour ce faire, nous exigeons du gouvernement: – l’attribution au CALQ d’une enveloppe budgétaire suffisante pour un véritable soutien financier à la création et à la production. 
  
          Le sous-financement menace le rayonnement de notre culture, tant au Québec qu’à l’étranger 
  
          L’accessibilité aux arts et aux lettres, la sensibilisation des jeunes, le développement de nouveaux marchés par les organismes culturels, et une large diffusion des œuvres sont des conditions essentielles au rayonnement et au renouvellement de la culture. Malheureusement, au Québec, ces conditions se heurtent à plusieurs écueils. Il n’y a pas de tradition de fréquentation des arts dans certains secteurs; on ne valorise pas suffisamment les arts à l’école; le développement de nouveaux publics et la diffusion des œuvres exigent souvent des ressources humaines et financières qui dépassent largement celles dont disposent les organismes culturels. 
  
          Faute de ressources humaines et financières suffisantes, ces organismes ne peuvent promouvoir convenablement leurs productions, sensibiliser les pouvoirs locaux, et embaucher le personnel spécialisé dont ils ont besoin pour assurer le développement des publics et accroître la diffusion. 
  
          Quant aux tournées et à la circulation des événements et des œuvres, les coûts associés aux déplacements empêchent plusieurs groupes d’artistes de se faire connaître à l’extérieur des grands centres, ce qui limite d’autant l’accessibilité des manifestations artistiques en région, ou les économies d’échelle obtenues par la fréquence des événements. De même, et pour les mêmes raisons, les productions artistiques régionales ont très difficilement accès au marché métropolitain. Cette réalité entraîne un exode des comédiens, danseurs, et autres artistes et artisans des régions vers les grandes villes. Pourtant, tous ceux et celles qui créent, produisent, et diffusent les arts et les lettres partout sur le territoire du Québec doivent avoir les mêmes chances d’affirmer leur créativité. (...) 
  
          Évitons que par l’asphyxie des arts et des lettres, le gouvernement soit le fossoyeur des arts et des lettres du Québec de demain. 

          À l’occasion du Sommet sur l’économie et l’emploi de l’automne 1996, tous les organismes et les individus ont été appelés à faire leur part afin de ne pas livrer aux générations futures une société endettée. Pendant que l’État se consacrait à l’atteinte de l’équilibre budgétaire, les organisations de tous les secteurs ont maintenu leurs activités respectives dans des conditions de plus en plus difficiles: nous, artistes et travailleurs culturels, en savons quelque chose! 
  
          Maintenant que l’État déclare cet objectif atteint, nous, du secteur des arts et des lettres, affirmons qu’un déficit culturel ne saurait constituer le prix des surplus budgétaires de demain. Nous rappelons au gouvernement qu’à l’instar des missions économique et sociale, la mission culturelle se classe au rang des priorités de l’État. Tel est le fondement de la politique culturelle du Québec adoptée en 1992: La culture est un bien essentiel et la dimension culturelle est nécessaire à la vie en société, au même titre que les dimensions sociale et économique. 
  
          Dix ans plus tard, dans un contexte de mondialisation de l’économie et du savoir, les principes fondamentaux qui ont été à l’origine de cette politique sont plus pertinents que jamais. Si cette mondialisation ouvre des perspectives intéressantes pour les créateurs québécois qui souhaitent diffuser leurs oeuvres à l’étranger, elle comporte aussi un risque bien réel d’uniformisation de la culture. À l’heure actuelle, la diversité culturelle est en jeu à l’échelle de la planète, et les cultures nationales, incluant la culture québécoise, risquent la disparition à plus ou moins long terme si elles ne peuvent être assurées d’un financement public adéquat. Nous, artistes et travailleurs culturels, craignons très sérieusement pour l’avenir de notre culture. Nous craignons que l’épuisement de nos créateurs et le manque de perspective d’une vie décente pour les artistes et les travailleurs culturels minent ce que nous avons mis des générations à élaborer: une vie artistique et culturelle riche et dynamique où les artistes de tous les âges peuvent espérer s’épanouir. 
  
          C’est pourquoi nous nous sommes regroupés au sein du Mouvement pour les arts et les lettres pour proclamer l’urgence, l’absolue nécessité et le caractère incontournable d’un financement adéquat de la création, de la production et de la diffusion. 
  
          Tout comme les autorités publiques le clament sur toutes les tribunes, nous croyons fermement que sans crédits accordés à la recherche et au développement, aucune industrie ne peut assurer sa pérennité. Or, la création artistique est à la culture ce que la recherche et le développement sont au secteur industriel.  

          Nous exhortons donc le gouvernement à investir maintenant pour soutenir les artistes, les artisans, les écrivains, les travailleurs culturels et tous les organismes qui œuvrent en création, en production, et en diffusion dans toutes les régions du Québec, au Canada et à l’étranger. 
 
 
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