PLAIDOYER
POUR UN SOUTIEN ÉQUITABLE ET IMMÉDIAT
DES ARTS
ET DES LETTRES AU QUÉBEC
Déclaration
du Mouvement pour les arts et les lettres
Les
artistes sont des travailleurs à part entière
Pour leur travail essentiel, et avec un niveau de scolarité très
élevé, les artistes ont un revenu souvent inférieur
au seuil de la pauvreté. En 1996, toutes sources de revenus confondus,
le revenu moyen 1 d’un artisan des métiers d’art était de
15 698 $, celui d’un artiste des arts visuels et médiatiques,
de 18 316 $, celui d’un musicien, de 16 956 $,
et celui d’un danseur, de 12 816 $. Cette moyenne est d’autant
plus inquiétante qu’elle inclut les revenus de ceux qui jouissent
d’une notoriété nationale et internationale suffisante pour
leur assurer l’autonomie financière essentielle à la recherche
et à la création. Ainsi, une grande majorité d’artistes
ne peut tout simplement pas vivre de sa profession: seul un petit nombre
y parvient, et souvent, en cumulant plusieurs emplois précaires.
Faut-il rappeler que près de 75 % d’entre eux sont des travailleurs
autonomes qui n’ont ni accès au régime d’assurance-emploi,
ni à aucune forme d’avantages sociaux? C’est dans ces conditions
que les artistes participent au développement culturel du Québec.
Malgré leur pauvreté et l’absence de filet social, ils offrent
annuellement plus de 10 000 représentations, expositions,
publications et manifestations culturelles de toutes sortes: un véritable
tour de force. Afin de maintenir le niveau d’excellence exigé des
publics québécois et étranger, les artistes doivent
faire preuve d’une créativité sans cesse renouvelée
et consacrer, sans compensation financière, de plus en plus de temps
à leurs activités professionnelles.
Sans un soutien adéquat de l’État, plusieurs travaillent
presque sans rémunération. En effet, en 1998-1999, le Conseil
des arts et des lettres du Québec (CALQ) n’a pu octroyer que 803
bourses à des artistes professionnels. Ainsi, malgré la reconnaissance
par le gouvernement du Québec de sa responsabilité en matière
de soutien aux artistes, le CALQ n’a jamais pu subventionner plus de 30
% des demandes qui lui ont été présentées.
C’est inacceptable.
De surcroît, la même année, l’enveloppe budgétaire
que le CALQ a pu consacrer aux artistes et aux écrivains en début
de carrière n’était que de trois millions et demi de dollars.
Trois millions et demi de dollars pour 3 500 jeunes diplômés
des arts de la scène et des arts visuels et médiatiques,
cela représente à peine 1 000 $ par personne!
Il est impératif de répondre aux besoins minimaux des artistes
qui assurent la pérennité de notre culture. C’est pourquoi,
nous, du Mouvement pour les arts et les lettres, réclamons du gouvernement
du Québec les interventions suivantes: – une hausse substantielle
et immédiate du nombre et de la valeur des bourses accordées
aux artistes pour la création ; – un meilleur soutien à la
relève. (...)
Malgré les graves problèmes engendrés par le sous-financement,
les organismes ont fait preuve d’une étonnante ténacité
pour accroître leur part de marché et diffuser plus largement
leurs productions. Les efforts pour augmenter les revenus autonomes n’ont
pas suffi à compléter le financement de leurs activités.
Ils ont dû, en plus, limiter les sommes consacrées aux cachets
et aux droits d’auteur, réduire les salaires, compresser les dépenses
et solliciter une implication toujours plus grande du personnel et des
artistes. L’ensemble de ces mesures n’a pas été sans conséquences.
La vigueur et la ténacité des administrateurs, de même
que des artistes, des écrivains et des artisans, ont permis, malgré
tout, le développement et le rayonnement de la culture d’ici, tant
sur le territoire québécois qu’à l’étranger.
Aujourd’hui, après des années de compressions, les artistes
et les travailleurs attachés aux organismes du milieu des arts et
des lettres sont épuisés: épuisés de payer
de leur personne pour maintenir la qualité des productions tout
en répondant aux impératifs budgétaires; épuisés
de travailler sans relâche pour un revenu insuffisant; épuisés
de renoncer à leurs cachets et à leurs droits d’auteur plutôt
que de compromettre l’accès des œuvres au public; épuisés
de chercher perpétuellement des solutions pour éviter le
déficit de leurs organismes.
Nous, du Mouvement pour les arts et les lettres, réclamons la consolidation
des organismes artistiques qui, au cours des dernières années,
ont porté à bout de bras, et au prix de l’épuisement
des artistes et des travailleurs, les productions artistiques dans toutes
les régions du Québec et à l’étranger. Pour
ce faire, nous exigeons du gouvernement: – l’attribution au CALQ d’une
enveloppe budgétaire suffisante pour un véritable soutien
financier à la création et à la production.
Le sous-financement menace le rayonnement de notre culture, tant au Québec
qu’à l’étranger
L’accessibilité aux arts et aux lettres, la sensibilisation des
jeunes, le développement de nouveaux marchés par les organismes
culturels, et une large diffusion des œuvres sont des conditions essentielles
au rayonnement et au renouvellement de la culture. Malheureusement, au
Québec, ces conditions se heurtent à plusieurs écueils.
Il n’y a pas de tradition de fréquentation des arts dans certains
secteurs; on ne valorise pas suffisamment les arts à l’école;
le développement de nouveaux publics et la diffusion des œuvres
exigent souvent des ressources humaines et financières qui dépassent
largement celles dont disposent les organismes culturels.
Faute de ressources humaines et financières suffisantes, ces organismes
ne peuvent promouvoir convenablement leurs productions, sensibiliser les
pouvoirs locaux, et embaucher le personnel spécialisé dont
ils ont besoin pour assurer le développement des publics et accroître
la diffusion.
Quant aux tournées et à la circulation des événements
et des œuvres, les coûts associés aux déplacements
empêchent plusieurs groupes d’artistes de se faire connaître
à l’extérieur des grands centres, ce qui limite d’autant
l’accessibilité des manifestations artistiques en région,
ou les économies d’échelle obtenues par la fréquence
des événements. De même, et pour les mêmes raisons,
les productions artistiques régionales ont très difficilement
accès au marché métropolitain. Cette réalité
entraîne un exode des comédiens, danseurs, et autres artistes
et artisans des régions vers les grandes villes. Pourtant, tous
ceux et celles qui créent, produisent, et diffusent les arts et
les lettres partout sur le territoire du Québec doivent avoir les
mêmes chances d’affirmer leur créativité.
(...)
Évitons que par l’asphyxie des arts et des lettres, le gouvernement
soit le fossoyeur des arts et des lettres du Québec de demain.
À l’occasion du Sommet sur l’économie et l’emploi de l’automne
1996, tous les organismes et les individus ont été appelés
à faire leur part afin de ne pas livrer aux générations
futures une société endettée. Pendant que l’État
se consacrait à l’atteinte de l’équilibre budgétaire,
les organisations de tous les secteurs ont maintenu leurs activités
respectives dans des conditions de plus en plus difficiles: nous, artistes
et travailleurs culturels, en savons quelque chose!
Maintenant que l’État déclare cet objectif atteint, nous,
du secteur des arts et des lettres, affirmons qu’un déficit culturel
ne saurait constituer le prix des surplus budgétaires de demain.
Nous rappelons au gouvernement qu’à l’instar des missions économique
et sociale, la mission culturelle se classe au rang des priorités
de l’État. Tel est le fondement de la politique culturelle du Québec
adoptée en 1992: La culture est un bien essentiel et la dimension
culturelle est nécessaire à la vie en société,
au même titre que les dimensions sociale et économique.
Dix ans plus tard, dans un contexte de mondialisation de l’économie
et du savoir, les principes fondamentaux qui ont été à
l’origine de cette politique sont plus pertinents que jamais. Si cette
mondialisation ouvre des perspectives intéressantes pour les créateurs
québécois qui souhaitent diffuser leurs oeuvres à
l’étranger, elle comporte aussi un risque bien réel d’uniformisation
de la culture. À l’heure actuelle, la diversité culturelle
est en jeu à l’échelle de la planète, et les cultures
nationales, incluant la culture québécoise, risquent la disparition
à plus ou moins long terme si elles ne peuvent être assurées
d’un financement public adéquat. Nous, artistes et travailleurs
culturels, craignons très sérieusement pour l’avenir de notre
culture. Nous craignons que l’épuisement de nos créateurs
et le manque de perspective d’une vie décente pour les artistes
et les travailleurs culturels minent ce que nous avons mis des générations
à élaborer: une vie artistique et culturelle riche et dynamique
où les artistes de tous les âges peuvent espérer s’épanouir.
C’est pourquoi nous nous sommes regroupés au sein du Mouvement pour
les arts et les lettres pour proclamer l’urgence, l’absolue nécessité
et le caractère incontournable d’un financement adéquat de
la création, de la production et de la diffusion.
Tout comme les autorités publiques le clament sur toutes les tribunes,
nous croyons fermement que sans crédits accordés à
la recherche et au développement, aucune industrie ne peut assurer
sa pérennité. Or, la création artistique est à
la culture ce que la recherche et le développement sont au secteur
industriel.
Nous exhortons donc le gouvernement à investir maintenant pour soutenir
les artistes, les artisans, les écrivains, les travailleurs culturels
et tous les organismes qui œuvrent en création, en production, et
en diffusion dans toutes les régions du Québec, au Canada
et à l’étranger.
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