Les souverainistes franchouillards savent se serrer les coudes, peu importe
que l'ennemi à abattre soit un fédéralisme vieux de
150 ans – au Canada – ou l'ébauche d'un fédéralisme
émergent – l'eurofédéralisme de l'Union européenne.
Pouvoir à conquérir, pouvoir à ne pas laisser filer:
on se trouve vite des points communs. De quoi brandir ensemble les étendards
de « l'exception (stato) culturelle française
» (voir LA « DIVERSITÉ
CULTURELLE », UN PRÉTEXTE PAYANT,
le QL, no 51), du «
Droit à l'autodétermination
», de « la mère patrie
et de son génie de la langue »
(voir Prix Béquille d'or) et de toute
la quincaillerie idéologique du genre. En fin de compte, derrière
l'écran de fumée de la novlangue de circonstance, c'est bel
et bien de souveraineté dont il s'agit ici.
Souveraineté. Ce mot m'est devenu au fil du temps aussi insupportable
qu'une fraise de dentiste. Et en tant que libertarien, souveraineté
fait partie du top ten des mantras magiques sur l'invocation desquels
les bien-pensants me claquent la porte de la discussion à la figure
– les autres favoris étant indubitablement « pauvre
rêveur » et « sale con
». Si ces deux dernières expressions appréhendent
la réalité sans fard – du moins s'agissant de ma personne
– le concept de souveraineté quant à lui est entouré
de voiles mystérieux qui en dissimulent par trop la véritable
substance. Aussi n'est-il pas inutile d'en rappeler les contours, afin
de le situer dans la perspective libertarienne.
Le
concept de souveraineté
Le concept de souveraineté, tel que nous le connaissons, est apparu
dans la littérature politique française au XVIe siècle.
Les livres d'histoire en attribuent la paternité à Jean Bodin.
Pour Bodin, la souveraineté est « la puissance
absolue, perpétuelle et indivisible d'une république
» – c'est-à-dire de l'État, dans la langue de
l'époque. Or la république se définissait, toujours
chez Bodin, comme « Le droit gouvernement de plusieurs
ménages et de ce qui leur est commun, [avec puissance souveraine]
». Si nous rapprochons les deux définitions, nous en
arrivons à l'idée que la souveraineté est la puissance
absolue du gouvernement vis-à-vis de « plusieurs
ménages », autrement dit et en adoptant une méthodologie
individualiste, le pouvoir absolu dont disposent les hommes de l'État
sur le quotidien des autres hommes.
Ceci n'implique nullement un pouvoir totalitaire, je le concède
bien volontiers aux apôtres de la souveraineté. Mais c'est
tout de même in fine un chèque en blanc sur lequel les hommes
de l'État peuvent inscrire ce qu'ils veulent, depuis la tyrannie
molle de l'État-providence jusqu'à la tentative d'embrigadement
généralisée. C'est de leur force de frappe et de leurs
bonnes intentions dont dépendra la somme inscrite, non d'un principe
extérieur comme le respect du Droit (Bodin), de « l'idéal
démocratique » ou des « droits
et libertés fondamentales » (juriste lambda).
Ce ne sont là que des vœux pieux face à l'essence
même de la souveraineté, face au pouvoir faire les Lois.
Ce pouvoir permet à ceux qui l'exercent de décider que l'injustice
s'appellera désormais « justice » et vice-versa,
selon la force dont ils disposent et selon les mœurs qui sont les leurs.
Le chef bloquiste Gilles Duceppe n'exprime pas autre chose lorsqu'il affirme
que « ça prend la souveraineté
pour se parler sur un pied d'égalité
». Bien dit! Les hommes de l'État sont tous frères
– frères ennemis parfois, c'est vrai. Quant aux autres… qu'ils suggèrent
avec déférence ou qu'ils ferment leur gueule de loyaux sujets-citoyens,
selon la force et les moeurs des premiers. Donc pour « parler
sur un pied d'égalité avec Ottawa » il
faut être souverain; en clair il faut être membre de la bonne
gang comme dirait Brigitte Pellerin.
Mais
qui est souverain?
J'entend d'ici les critiques. Qu'il est mauvais, ce Golinvaux! Indécrottable
décidément. Mais c'est la Nation – le Peuple, l'État,
Poltergeist III, etc. – qui est souverain, pas ses représentants
voyons! Pourtant, même les leaders souverainistes ne croient plus
aux esprits frappeurs et collectifs depuis belle lurette. Et ils se trahissent
à l'occasion. Prenons l'exemple de Philippe Séguin. Lundi,
à l'occasion de la sortie de son livre sur les relations franco-québécoises
- au titre très évocateur de Plus français que
moi, tu meurs – Mr Séguin posait la question « Le
Canada est-il capable de ne pas jouer au pit-bull [sous-entendu,
face au Québec]? » Il ne parlait pas d'autre
chose que d'hommes de l'État, de représentants sans représentés
si vous préférez. En effet, si l'on interprétait sa
question comme se référant aux esprits frappeurs de la mythologie
politicienne, elle n'aurait littéralement aucun sens. Elle reviendrait
en effet à demander si « le » Canada est
capable de ne pas se mordre la joue, la patte avant ou que sais-je encore,
le Québec étant une partie du pit-bull en question d'après
ce que j'en sais. De même, lorsque Gilles Duceppe évoque «
Ottawa », il ne parle pas d'autre chose que des hommes du
gouvernement fédéral.
« Le dessein des souverainistes n'est pas de réunir
de leur plein gré des Québécois consentants, mais
bien de réunir assez de voix pour s'imposer violemment – par la
règle majoritaire – aux Québécois qui ne consentent
pas.
»
|
|
C'est qu'il faut être puissant pour se dresser sur la place
publique et oser dire « La Nation veut »,
« Le Peuple a dit ». Essayez de le
faire chez vous, juste histoire de voir. Je vous prédis les moqueries
les plus acides, voire la camisole si d'aventure vous insistiez.
Vu sous cet angle, on peut porter une appréciation réaliste
des propos tenus par Jacques Parizeau s'agissant du congrès bloquiste
qui s'est déroulé le week-end dernier. M. Parizeau
a loué ce qu'il considère être l'aboutissement d'un
« processus qu'a lancé le bloc l'automne dernier
» afin de « rajeunir le concept d'identité
et de Nation québécoise ». Nul besoin
de disserter sur ce concept pour pouvoir affirmer qu'il est utilisé
ici à sens détourné. Car quelle que soit la réalité
humaine que l'on entend pointer ainsi du doigt, il est clair qu'elle
ne « rajeunira » pas par l'effet des paroles de
quelques songe-creux, fussent-ils réunis en congrès de rajeunissement.
Identité et Nation québécoise ne sont entre leurs
mains que des voiles dont ils veulent draper leur désir de pouvoir,
leur soif d'exercer une puissance souveraine sur vous.
Mr Philippe Séguin, partisan du « non »
à l'époque du référendum sur le traité
de Maastricht, tenait lui aussi – évidemment… – ce genre de discours.
Traduit de la novlangue de circonstance: « Les maîtres
du troupeau humain français doivent être français et
non italiens, allemands, anglais ou plus généralement bruxellois(2)
». Il y eut bien sûr de nombreux
moutons du dit troupeau pour le suivre, pensant bêler le cœur plus
léger si le berger qui manie le bâton est capable de chanter
Le petit vin blanc qu'on boit sous les tonnelles… Mais qui à
l'époque – si ce n'est quelques économistes courageux comme
Pascal Salin – a songé à remettre en question le principe
moutonnier en lui-même, d'où que vienne le berger?
Pour en revenir à ma question « Mais qui est
souverain? », je me permettrai d'y répondre ainsi:
Au fond, peu importe qui. L'essentiel réside dans le double fait
que 1) « qui » sont toujours des êtres humains
comme vous et moi, et que 2) l'objet de cette souveraineté englobe
– dans la perspective souverainiste – d'autres êtres humains, des
personnes réduites à l'état de sujets.
Le
drapeau des souverainistes: le mirage sécessionniste
Il ne faudrait jamais perdre de vue que les candidats-bergers qui se réclament
du vert pâturage du cru sont trop souvent des crackpots gauchistes
mus par un désir insondable de « réorganiser
la société », et de mettre les vies des
gens en coupe réglée pour qu'elles se conforment avec cette
réorganisation sublime. En clair: lois, lois, lois, taxes, taxes,
taxes en appuyant de bon coeur sur le champignon de la souveraineté.
Il ne faut pas le perdre de vue, d'autant plus de la démarche souverainiste
s'inscrit franchement, chez vous, dans le cadre du principe sécessionniste(3).
Or ce principe n'est pas pour déplaire aux libertariens, en particuliers
aux anarcho-capitalistes qui l'appliquent pleinement, jusqu'à la
reconnaissance d'un droit de sécession individuelle. Celui-ci n'est
après tout que l'expression du principe plus général
de libre association. Mais la perspective anarcho-capitaliste concerne
un droit individuel de sécession, en aucune manière le «
droit » – en fait le tort – de contraindre quiconque
à faire ou ne pas faire de même, à travers un processus
électoral. C'est pourtant ce que visent les souverainistes péquistes
et bloquistes. Leur dessein n'est pas de réunir de leur plein gré
des Québécois consentants, mais bien de réunir assez
de voix pour s'imposer violemment – par la règle majoritaire – aux
Québécois qui ne consentent pas (voir DE
L'UTILITÉ MORALE DES CONTRAINTES LÉGALES,
le QL, no 19).
Ainsi s'explique cette impatience à se relancer dans une nouvelle
aventure référendaire, qui après tout n'avait échoué
que d'un cheveu la fois précédente. M. Joseph
Facal(4),
lorsqu'il rappelle que « les raisons objectives qui
ont conduit 49,5 % des québécois à voter Oui sont
encore là », me fait penser à un tireur
de corde. Il a vu l'équipe adverse flancher et se rapprocher dangereusement
de la ligne fatidique. Cette fois-ci, il sent qu'il peut la lui faire passer,
il y croit! Qui sait? Les équipes se valent, une seule paire de
bras supplémentaire pourrait peut-être y suffire…
La sécession étatique est fondée de manière
incontournable sur la contrainte exercée à l'encontre de
personnes non consentantes; peu importe que ce soit à travers une
élection ou un coup d'Etat militaire. Elle est donc d'une nature
différente – et non pas simplement d'un degré différent
– de la sécession individuelle, fondée quant à
elle sur la propriété de soi, dont tout être humain
devrait pouvoir se prévaloir librement pour s'associer avec qui
bon lui semble.
La première est donc loin d'être le point de départ
d'une réaction en chaîne pouvant conduire jusqu'à la
seconde. En imaginant un processus de sécessions politiques en cascade,
c'est au morcellement féodal que l'on aboutit, pas au marché
non entravé des libertariens.
En conclusion je dirais: défendez votre liberté, défendez
votre droit de propriété, défendez votre self government
contre ceux qui veulent vous instrumenter. Mais défendez-la contre
tous les bergers de troupeaux humains, d'où qu'ils soient.
En l'occurrence, le berger majoritairement anglo-saxon d'Ottawa me semble
faire pâle figure face à un berger provincial imbibé
d'idées « à la française
». The worst barbarians seem to be inside the gates…
1.
Ancien Président de l'Assemblée Nationale française,
ancien Président du R.P.R (Rassemblement
pour la république), actuel candidat à la mairie de Paris,
actuel chargé de cours à l'UQAM,
historien et statolâtre de toujours. >>
2.
Bruxelles est le siège de ce qui est en train de devenir un gouvernement
fédéral européen,
la fameuse Commission. >>
3.
En France, la démarche relève de la même logique,
mais intervenant plus tôt: « évitons que
la France ne soit happée par l'Europe » est le
discours de ceux qui seront les sécessionnistes
de demain, si d'aventure le happement survenait… ce qui est en effet peut-être
en train
d'arriver. >>
4.
Ministre québécois des Affaires intergouvernementales canadiennes.
>>
|