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Montréal, 15 avril 2000 / No 60 |
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par
Gilles Guénette
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La
mort, comme si vous y assistiez
Sur un chantier de construction, un travailleur, tout sourire, s'adresse
à un collègue – ce collègue, c'est vous par caméra
interposée. Plutôt que d'entendre ses propos, une voix hors
champs vous apprend que:
Comme si vous y étiez, vous voyez Michel tomber du haut de l'édifice
en construction pour s'écraser sur le sol dans un fin nuage de poussière.
Un plan serré de son visage vous révèle deux yeux
écarquillés par la peur et une marre d'un épais sang
se former sur le sol. Intitulée
Signée En ce moment, mise à part cette pub visant les travailleurs de la construction, on a droit à des campagnes publicitaires sur les effets du travail au noir, l'importance de la communication dans les relations père/fils, la tolérance envers les héroïnomanes, la violence physique et/ou verbale dans les relations garçons/filles et le décrochage scolaire. Ces publicités sont diffusées dans les médias électroniques et sous forme d'imprimés. Voici les synopsis de trois d'entre elles: Des images noir&blanc de silhouettes de travailleurs floues et anonymes défilent sur une ambiance sonore des plus menaçantes. Une homme, sur un ton agacé, vous interpelle:Ces pubs, visuellement moins sensationnelles, misent sur le réalisme et sur une production hyperléchée pour produire l'effet désiré: la prise de conscience. Elles mettent l'accent sur de petits détails bien précis (un geste, un regard...) et sur quelques phrases bien tournées pour atteindre ce but. Leurs images sont toujours soutenues par des ambiances sonores lugubres – comme si quelque chose de menaçant rôdait – et le ton employé est très moralisateur. Mais qui tente-t-on d'influencer avec ces publicités? Un homme, est un homme, est un homme... La très grande majorité des publicités sociétales s'adressent à un public d'hommes. Ce sont eux qu'on tente de changer à coup de campagnes publicitaires Ce sont eux qu'il faut convaincre de ralentir sur la route, de modérer leur consommation d'alcool, de cesser de malmener leurs conjointes, de discuter avec fiston, de déclarer tous leurs revenus, et cetera, et cetera.
Les femmes, lorsqu'elles figurent dans ces pubs, jouent le rôle de
la victime ou du modèle à suivre. D'une façon comme
de l'autre, c'est toujours par rapport à leur conjoint. Et quand
elles sont absentes, c'est parce qu'elles sont absoutes – pendant que monsieur
éprouve de la difficulté à communiquer avec fiston
ou qu'il est insouciant sur le chantier de construction, madame travaille
de façon sécuritaire ou s'adonne à quelque activité
enrichissante.
Dans le cas spécifique de la campagne La blonde, les enfants, le petit voyage bien mérité... c'est bien beau, mais y a-t-il tant de travailleurs à sensibiliser aux dangers des chutes au Québec? La CSST nous apprend que chaque année, depuis 1995, près de 7000 travailleurs de la construction ont subi un accident au travail – on ne dit pas s'il s'agit de regrettables coups de marteau sur les pouces ou de membres entiers broyés sous d'immenses presses hydrauliques – et que depuis cette même année, 29 d'entre eux sont décédés des suites d'une chute.
Même si le secteur de la construction ne regroupe qu'environ 4 %
de l'ensemble des travailleurs du Québec, et que le nombre de décès
dûs à des chutes semble aller en diminuant (13 des 29 décès
en question sont survenus en 1995, les 16 autres, sur une période
de 4 ans), la CSST veut, par cette campagne,
Bien sûr, il y en aura toujours pour dire qu'un investissement est
justifié même s'il ne sauve qu'une seule vie. Et que la vie
n'a pas de prix! L'idée de prévenir les accidents est louable
en soi, mais combien sommes-nous prêts à investir Mieux vaut prévenir que guérir Il ne faut pas se surprendre que nos élus se sentent justifiés d'utiliser des fonds publics pour promouvoir des comportements professionnellement ou socialement acceptables quand, dans une dynamique de système de soins de santé étatisé comme le nôtre, la moindre égratignure, le moindre bobo doit être soigné aux frais de la collectivité(1). Si les Québécois avaient droit à leur propre assurance-maladie privée, les choses seraient bien différentes. Les comportements jugés irresponsables et qui risquent d'entraîner des coûts (la conduite avec facultés affaiblies, la pratique du vélo ou du patin à roues alignées sans casque protecteur, celle de la voile sans gilet de sauvetage...) seraient découragés dans le cadre de campagnes publicitaires non pas financées à même le trésor public, mais par des compagnies d'assurances qui les utiliseraient pour minimiser leurs pertes – à l'heure actuelle, les gouvernements utilisent notre argent pour faire le boulot des assureurs. Les comportements qui n'ont pas nécessairement d'incidences sur les revenus ou les pertes des compagnies d'assurances (ex.: la tolérance envers des groupes minoritaires, l'aide aux plus démunis, le décrochage scolaire...), pourraient très bien faire l'objet de campagnes mises de l'avant – comme c'est déjà le cas – par des artistes ou des entrepreneurs sensibles à ces questions et qui sentent le besoin d'intervenir (que se soit pour vraiment aider les gens ou plus cyniquement pour faire avancer leur carrière...).
Des fondations, des groupes religieux, de pression ou de parents pourraient
aussi se charger de promouvoir les comportements qu'ils jugent
L'idée de promouvoir certains comportements sociaux, rappelons-le,
n'a rien de condamnable en soi. Ce qui l'est, c'est de forcer toute une
population à financer
A-t-on réellement besoin d'un gouvernement pour nous rappeler que
de bavarder de temps en temps avec nos adolescents est souhaitable? Qu'il
est préférable de s'attacher lorsqu'on travaille au 20e étage
d'un édifice à moitié achevé? Que la conduite
à 60km/heure dans une zone scolaire est irresponsable? A-t-on réellement
besoin de campagnes publicitaires pour faire de nous de
En attendant que l'État recule et qu'il se retire de la production
publicitaire, gardez l'oeil ouvert! Bientôt sur votre écran
de télé: des campagnes pour vous vanter les mérites
du siège de voiture pour enfants (avec images au ralenti de poupons
propulsés à travers des pare-brise) et les mérites
du casque de sécurité à vélo (avec images au
ralenti d'
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