Montréal, 15 avril 2000  /  No 60
 
 
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Pierre Desrochers est Senior Research Fellow (Urban Studies) à l'Institute for Policy Studies de l'Université Johns Hopkins à Baltimore. 
 
LE MARCHÉ LIBRE
 
CONTRE LA DISCRIMINATION
PAR LE LOGEMENT SOCIAL
 
par Pierre Desrochers
  
  
          Ma collègue Brigitte Pellerin (voir HLM BLUES, le QL, no 58) s'est récemment fait rabrouer pour son article contre les subventions massives au logement social (voir, HLM BLUES: RIDICULE, DOGMATIQUE, TRISTE et HLM BLUES: AUCUNE NUANCE, Courrier des lecteurs, le QL, no 59). Ses détracteurs, les chevelus du FRAPRU et autres « professionnels des HLM » ont évidemment la partie belle. Après tout, personne n'aime voir des gens pauvres vivoter dans des taudis insalubres. Toutefois, si l'expérience des cinquante dernières années nous enseigne quelque chose, c'est que la construction massive de HLM n'a fait qu'empirer la dégradation urbaine et l'isolement des couches les plus pauvres de la société.
 
Les HLM et la destruction du tissu social  
   
          L'argumentaire des supporters du logement social a toujours été d'une simplicité déconcertante. En bref, nos villes abritent des gens trop pauvres pour défrayer le coût d'un logement convenable. De plus, il n'existe pas suffisamment de logements abordables pour répondre à la demande. Pire encore, l'offre supplémentaire de logements ne correspond pas nécessairement aux ressources des candidats locataires, car les promoteurs privés ne veulent pas investir dans une clientèle à risque. Pour toutes ces raisons, des subventions publiques pour les gens qui ne peuvent pas se loger par l'entremise du secteur privé seront toujours nécessaires. Une société compatissante doit donc corriger ces « défaillances du marché » en fournissant un habitat de qualité pour ses citoyens les plus démunis. 
   
          Armés de grandes théories sur l'efficacité de la planification urbaine centralisée et de subventions considérables, plusieurs intervenants américains entreprendront donc au lendemain de la Seconde Guerre mondiale de refaire la trame des grandes villes de leur pays. En l'espace de quelques années, des quartiers pauvres seront complètement démolis et remplacés par d'immenses complexes de HLM. Le résultat fut tout simplement désastreux. La théoricienne urbaine Jane Jacobs a bien résumé le problème dans son classique The Death and Life of Great American Cities en 1961: 
          À New York, dans le quartier de East Harlem, un complexe de logements comporte une pelouse rectangulaire particulièrement voyante devenue l'objet de la haine des locataires. Une assistante sociale fréquemment sur place fut étonnée de constater que le sujet de la pelouse revenait très souvent au cours de ses entretiens avec les locataires. [...] Ils se montraient très dédaigneux à l'égard de cette pelouse, et très désireux de la voir disparaître. Lorsqu'elle demandait pourquoi, la réponse habituelle était: « Est-ce que cela sert à quelque chose? » ou bien « Qui en a besoin? » Finalement, un jour, une locataire, plus explicite que les autres lui fit la déclaration suivante: « Lorsqu'on a construit ces immeubles, personne ne s'est soucié de savoir ce que nous voulions. Ils ont démoli nos maisons, nous ont forcés à rester ici et ont forcé nos amis à s'en aller. Il n'y a pas d'endroit par ici où l'on puisse prendre une tasse de café ou acheter le journal, ou encore emprunter cinquante cents. Personne ne s'est soucié de nos besoins. Mais les gros bonnets viennent voir ce gazon et disent: "N'est-ce pas merveilleux! Maintenant les pauvres ont tout ce qu'il leur faut."(1) »
          Comme le remarque Jacobs, le principal résultat des programmes de HLM dans les villes d'Amérique a été de remplacer des quartiers pauvres mais sécuritaires et dotés d'institutions sociales de toute sorte, par de mornes méga-édifices rapidement transformés en foyers de vandalisme et de délinquance, générateurs d'une situation bien pire que celle qui existait auparavant. Une fois ces foyers de criminalité bien implantés, la dégradation des quartiers avoisinants n'a le plus souvent été que l'affaire de quelques années. 
 
  
     « Le principal résultat des programmes de HLM dans les villes d'Amérique a été de remplacer des quartiers pauvres mais sécuritaires et dotés d'institutions sociales de toute sorte, par de mornes méga-édifices rapidement transformés en foyers de vandalisme et de délinquance. » 
 
  
          La situation est particulièrement horrible dans ma ville d'adoption, Baltimore. La métropole du Maryland a en effet été l'un des endroits où le zèle réformateur a été particulièrement important. On a donc, comme partout ailleurs en Amérique, rasé des quartiers complets et construit de grands ensembles de HLM pour bénéficier des subventions fédérales. Le résultat ne s'est pas fait attendre. Des quartiers entiers sont aujourd'hui dans un état de délabrement qu'un Montréalais peut à peine imaginer. Des pans entiers du stock de logement privé ont été abandonnés. 
  
          Les institutions qui n'ont pas quitté ces quartiers, comme par exemple l'Université Johns Hopkins, dépensent aujourd'hui plusieurs millions de dollars pour se protéger de la criminalité avoisinante. Pire que tout, on a créé de toute pièce une « underclass » de citoyens que l'on ne veut tout simplement pas avoir comme voisins, même si comme moi on préfère la vie en ville. Avant de me faire accoler nombre d'épithètes disgracieuses par nos lecteurs socialistes, j'aimerais bien savoir combien d'entre eux aimeraient loger à côté d'un Taco Bell où l'on a installé des vitres pare-balles d'un pouce d'épais pour séparer les clients des employés. C'est pourtant le cas à moins de 10 minutes à pied de mon bureau, un quartier qui compte plusieurs édifices intéressants du début du siècle et où j'aimerais bien résider si la situation était un peu plus sécuritaire. 
  
L'exception montréalaise  
  
          On me répondra sans doute que la situation montréalaise n'a rien à voir avec celle des villes américaines et que quelques HLM de plus n'y feraient pas beaucoup de différence. Il est vrai que Montréal n'a pas connu les problèmes de discrimination raciale de Baltimore. D'un autre côté, il faut reconnaître que la qualité de vie montréalaise s'explique aujourd'hui en bonne partie par l'opposition constante du maire Drapeau aux grands projets de logements sociaux et par sa politique très libérale en matière d'aménagement urbain. En fait, outre les habitations Jeanne-Mance en face du Cégep du Vieux-Montréal, la ville ne comporte à peu près aucun ensemble de HLM d'importance. 
  
          Ce n'est toutefois pas en construisant plusieurs petits HLM sans intérêt que l'on résoudra de façon durable les problèmes des plus démunis, car on ne fera que les inciter à demeurer pauvres pour ne pas perdre leur logement subventionné. Si l'on veut vraiment aider nos concitoyens moins fortunés à mieux se loger et éviter la ségrégation sociale permanente, force est de reconnaître que les HLM ne sont pas la solution. On devrait plutôt commencer à déréglementer complètement la construction, à revoir les réglementations de zonage qui découragent la rénovation d'anciens édifices et à couper dans le gras des administrations publiques afin de pouvoir réduire les taxes et les impôts. De cette façon, plusieurs quartiers moins prisés prendront éventuellement de la valeur, ce qui incitera des individus issus de milieux plus favorisés à aller y vivre. 
 
 
1. Jane Jacobs, Déclin et survie des grandes villes américaines, Paris, Mardaga, 1991, p. 28 (édition originale: The Death and Life of Great American Cities, Random House, 1961).  >>
 
  
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