Montréal, 14 octobre 2000  /  No 69
 
 
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Jean-Luc Migué est Senior Fellow de l'Institut Fraser et président du Comité scientifique de l'Institut économique de Montréal. Martin Masse est directeur du QL.
 
OPINION 
 
LIBÉRER LA MAIN-D'OEUVRE FÉMININE ET LES GAIS DE LA DISCRIMINATION D'ÉTAT
 
par Jean-Luc Migué et Martin Masse  
 
 
          Après une saga judiciaire qui a duré plusieurs années, la Cour suprême du Canada a statué en avril 1998 que Delvin Vriend, un enseignant homosexuel qui clamait son orientation en portant sur les lieux un T-shirt affirmant son « identité », avait été injustement congédié par un collège privé chrétien de l'Alberta. Le jugement retire donc aux institutions religieuses le droit de défendre leurs valeurs lorsque celles-ci entrent en conflit avec la censure de l'État. La loi interdit ainsi aux individus, aux entreprises et aux institutions privées de discriminer dans le choix de leurs associés, de leurs employés, de leurs amis, de leurs membres.
 
          Par ailleurs, les administrations publiques canadiennes, et même les employeurs privés selon certains juristes, sont forcés de pratiquer la discrimination positive envers les femmes en matière de salaires et de recrutement. Partout un vaste appareil bureaucratique est déjà en place  pour voir à l'application de ces règles. 
  
          Ces deux exemples montrent bien qu'au nom de valeurs à la mode, l'État est prêt à nier la liberté d'opinion, la liberté d'association et le principe de l'égalité devant la loi pour redresser prétendument les torts du passé. Et si on se fie au rapport d'un comité fédéral sur les droits de la personne présidé par le juge Gérard La Forest et remis à la ministre de la Justice l'été dernier, on peut s'attendre à ce que de nouveaux « droits » viennent réduire encore plus ces libertés fondamentales des citoyens. Ce qu'il faut pourtant savoir, c'est que ces mesures sont non seulement néfastes pour la population en général, mais aussi pour les groupes dits « opprimés » qu'elles visent à aider. 
  
De faux droits collectifs 
  
          La notion de droits collectifs rompt avec la tradition philosophique occidentale. Ces droits  s'inscrivent en opposition au droit des individus de négocier librement entre eux les termes de contrats. Ils posent en effet que l'individu n'a pas de droit, sinon comme membre d'un groupe. L'incohérence des deux visions s'incorpore chez nous dans la Charte canadienne des droits, qui, d'un même souffle, énonce le droit des individus à l'égalité devant la loi (sauf le droit de propriété) et une multiplicité de privilèges discriminatoires à des groupes.  
  
          Ni la notion de droits collectifs, ni la notion de justice sociale ne reconnaissent et ne respectent la propriété privée. La richesse produite par les individus devient dans ce schéma un ensemble de biens qui appartiennent à la « communauté », qu'un certain nombre de « sages » redistribuent au gré de leurs préjugés et des forces politiques courantes. Ce sont ces sages qui ont inventé par ricochet la notion « d'entitlement », de droits statutaires, conférés aux uns par la vertu de leur membership dans un groupe. Or ces droits n'ont aucun fondement ni en droit, ni en réalisations. Seuls les individus ont des droits, parce que seuls les individus peuvent être responsables et libres. 
  
          Les droits individuels doivent être distingués d'un pouvoir sur la personne ou la propriété d'autrui, qui constitue en réalité un privilège. Personne n'a de droit à la richesse des autres sans leur consentement. Les francophones n'ont aucun droit à l'unilinguisme, ni au bilinguisme coast-to-coast, à une société Radio-Canada égale à CBC, pas plus que l'élite Canadian n'a de droit au contenu canadien sur tout l'éventail des programmes avec l'argent des contribuables. Les Gaspésiens n'ont aucun droit à la richesse des Montréalais, ni les femmes à la parité salariale, ni les communautés culturelles à un statut spécial. Les homosexuels n'ont pas le droit d'imposer aux employeurs ni aux associations l'obligation de les accepter dans leurs rangs. Même les pauvres n'ont aucun droit à la richesse des mieux nantis, ce qui ne signifie pas que ceux-ci ne seront pas disposés à partager volontairement leur richesse avec ceux-là. 
  
Discrimination par le monopole étatique 
  
          Le droit de propriété est le seul fondement, non seulement de la richesse, mais de la justice. La tragédie de la morale politique contemporaine est d'avoir accrédité l'erreur que la justice sociale repose sur la violation des droits de propriété. La justice sociale ainsi entendue ne peut jamais servir de fondements à une société stable. Par opposition à la règle du droit et à l'égalité de tous devant la loi, elle est ce que chacun dit qu'elle est à un moment donné. Elle est la couverture qui sert de prétexte à la suppression de la règle de droit. Les objectifs qu'elle s'assigne sont le plus souvent irréalisables. Elle suscite les antagonismes et perpétue le sous-développement. 
  
  
     « Ce sont les lois discriminatoires à la mode qui rigidifient le marché de l'emploi, élèvent le coût du travail féminin, diminuent l'emploi de femmes et d'autres "minorités visibles" et transfèrent le fardeau des préjugés à la masse des femmes qui perdent leur emploi, au profit d'une minorité d'entre elles. » 
 
  
          Et comme ces prétendus droits sont invariablement créés et conférés par des personnes en autorité temporaire, ils sont susceptibles de changer constamment, sans préavis, tout comme la notion de justice sociale.  
  
          En effet, historiquement, les femmes et les homosexuels ont souffert de discrimination systématique de la part des pouvoirs publics, indirectement à travers les réglementations publiques et directement dans les monopoles publics: interdiction pure et simple faite par l'État aux femmes d'accéder au Sénat, aux corporations professionnelles et au banc des juges, au travail de nuit, au travail dans les mines, au pouvoir de contracter pour la femme mariée, aux emplois dominés par les monopoles syndicaux. Même la loi criminalisait les comportements homosexuels (une douzaine d'États américains ont d'ailleurs encore des lois interdisant explicitement la « sodomie »). Les faits confirment aussi que la discrimination raciale aux États-Unis a été plus marquée dans les emplois publics que dans les entreprises marchandes, sans parler des réglementations dites « Jim Crow » dans les États du Sud qui excluaient les Noirs de toutes sortes d'activités. Rien d'étonnant donc à ce que la discrimination inverse et politiquement correcte se pratique surtout dans le secteur public. 
 
Absence de discrimination dans le marché 
  
          Les lois discriminatoires de l'État sont non seulement des diktats arbitraires qui peuvent changer d'une décennie à l'autre et qui créent autant de nouvelles victimes qu'ils n'en « protègent »; elles banissent la seule solution juste et efficace, celle qui découle des principes du libre marché, de la concurrence et de la liberté de contracter. 
  
          Les minorités n'ont en effet rien à craindre de l'implantation de cette vraie justice basée sur la logique du libéralisme économique. L'histoire du marché du travail confirme qu'elles ne sont jamais victimes des préjugés des autres, même des préjugés de la majorité. Pour pouvoir refiler le coût de ses préjugés à sa victime, il faut en effet détenir un pouvoir de monopole, un pouvoir de coercition comme celui que possède l'État.  
  
          Discriminer pour un employeur, c'est choisir par préjugé de ne pas embaucher un type de main-d'oeuvre de productivité comparable. L'employeur à l'esprit obtus se pénalise donc lui-même. Voilà la proposition-clé: l'employeur qui repousserait un candidat féminin ou homosexuel à 12,00 $ au profit d'une homme hétérosexuel de même productivité à 14,00 $ se priveraient de 2 $ de profit à chaque heure de travail.  Semblable comportement discriminatoire serait instable et non durable. Un employeur concurrent libre de préjugés s'empresserait de recruter des femmes ou des « gais » à meilleur compte pour supplanter le premier. En régime de concurrence, les préjugés sont sans importance, parce qu'ils n'affectent pas la victime. Ainsi, ni les « gais », ni les « straights » n'ont à craindre les préjugés de leurs voisins, puisque ce sont ceux qui nourrissent les préjugés qui portent le fardeau et le bénéfice de leurs valeurs.  
  
          Ce sont plutôt les lois discriminatoires à la mode qui rigidifient le marché de l'emploi, élèvent le coût du travail féminin, diminuent l'emploi de femmes et d'autres « minorités visibles » et transfèrent le fardeau des préjugés à la masse des femmes qui perdent leur emploi, au profit d'une minorité d'entre elles. Chaque dollar affecté à l'égalitarisme salarial est en fin de compte un dollar retiré de la création d'emplois féminins. 
  
Conclusion 
  
          Par ses lois discriminatoires censées éliminer la discrimination, l'État impose déjà un fardeau économique supplémentaire aux membres de minorités sexuelles, raciales ou autres, sur le marché du travail. Le comité La Forest, qui proposait récemment si on se fie au titre de son rapport une « nouvelle vision pour promouvoir l'égalité », reprend en réalité la bonne vieille méthode coercitive et propose de l'étendre à d'autres groupes dits opprimés, tels les pauvres, les transsexuels ou ceux qui n'ont pas de reconnaissance juridique comme les immigrants illégaux. On doit craindre que ces mesures ne s'accompagnent d'une surveillance bureaucratique encore plus intensive et d'une répression légale correspondante. 
  
          La conclusion qui s'impose, la seule qui sauvegarde les libertés essentielles, la seule conciliable avec une société ouverte, est de réserver l'interdiction de discriminer aux seules institutions étatiques, qui elles sont fondées sur le monopole. Les individus, les associations libres et les entreprises retrouveraient leur droit de pratiquer les exclusions qui leur conviennent. De penser différemment constitue une menace à la liberté de pensée, à la liberté d'association, à la liberté de religion. Nous avons vu que la menace n'est pas que théorique. Grâce à l'évolution heureuse de la pensée sociale et au jeu de la concurrence, l'étendue de la discrimination effective serait de toute façon tout à fait circonscrite et sans conséquence pour les minorités. Il est temps de libérer les minorités du poids de la discrimination bureaucratique. 
 
 
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