Montréal, 9 décembre 2000  /  No 73
 
 
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Michel Boucher est professeur à l'École nationale d’administration publique de Québec.
 
OPINION
  
LA RÉFORME MUNICIPALE:
UN REFUS DE LA CONCURRENCE
 
par Michel Boucher
  
 
          La réforme initiée par la ministre des Affaires municipales cherche à réduire le nombre de villes. La proposition laisse présumer que leur nombre, supérieur à ce qui serait souhaitable, serait ainsi source d'inefficacités, de coûts élevés d'administration et d'iniquité fiscale. La ministre met alors de l'avant une politique de fusions forcées de villes, principalement autour des villes dites centrales, et elle réaménage les communautés urbaines qui deviendraient des communautés métropolitaines.
 
          Celles-ci auraient des compétences supplémentaires comparativement à celles que possèdent les communautés urbaines actuelles. Le Livre blanc est pourtant très avare sur les nouvelles sources de revenu nécessaires dont pourraient disposer de telles instances supra-municipales. Quant à l'intégration de la main-d'oeuvre à ces nouvelles entités municipales, elle se ferait en douceur et en toute quiétude comme si les employés municipaux syndiqués ajustaient leurs conditions de travail au plus petit commun dénominateur. 
  
Faut pas rêver! 
  
          Pour bien comprendre le sens et la portée de notre point de vue, il faut expliquer ce qu'est la conception du rôle d'une municipalité: les cités et villes sont aux citoyens ce que les entreprises sont aux consommateurs. Comme elles sont source de choix et d'information, leur présence et leur diversité créent de la concurrence dont les effets se révèlent bénéfiques aux citoyens. Les différentes villes offrent aux citoyens une gamme de biens et services locaux conformes à leurs préférences. Les citoyens exercent ainsi leur libre choix « en votant avec les jambes ». Ils optent pour une ville donnée plutôt qu'une autre, dans la mesure où la première comble mieux leurs besoins relativement aux taxes versées pour en assurer le financement. Les citoyens ont des préférences hétérogènes et ils vont chercher à se regrouper selon leurs affinités. La grandeur d'une ville ou d'une municipalité n'est donc pas uniquement fonction des économies d'échelle des services publics locaux, comme la sécurité publique, le service de la protection des incendies, mais aussi de la demande des citoyens. 
  
          L'argumentation de la ministre des Affaires municipales repose sur un certain nombre de considérations dont les fondements théoriques sont inexistants et les assises empiriques nullement démontrées. En voici les principales. On émet implicitement l'idée que les nouvelles villes fusionnées au sein d'une agglomération profiteraient d'économies d'échelle et d'agglomération. Les premières sont très limitées autant pour la sécurité publique, principalement la gendarmerie, que pour les services de protection des incendies. Les économies d'agglomération, si elles existent, peuvent se retrouver dans certaines industries en raison de facteurs de complémentarité et d'interdépendance. Comme chacune des parties peut se les approprier facilement par des ententes ou des contrats, elles ne peuvent constituer un nouveau facteur de développement qui émanerait des fusions forcées. 
  
          Le recours à la coercition en matière de fusions permettrait aussi de récupérer les effets de débordement. Cependant, on entend par effet de débordement toute tarification déficiente et imparfaite et non un bénéfice additionnel que procure un producteur ou un consommateur à une tierce personne. Si les banlieusards assistent à des spectacles, se rencontrent au bar, festoient au restaurant et font des achats dans les établissements commerciaux, ils stimulent l'économie de la ville centrale. Les propriétaires profitent de cet achalandage supplémentaire. La valeur de leurs places d'affaires augmente, tout comme leur évaluation municipale, et les villes centrales voient leurs taxes municipales s'accroître d'autant.  
  
          Bref, les villes centrales disposent de moyens pour couvrir les frais de fourniture des services municipaux. Outre la taxation actuelle, les tarifs de stationnement, des droits d'utilisation sur tous les services publics, la tarification des automobiles en période de pointe constituent d'autres moyens à leur disposition pour faire assumer à chacun la part de sa consommation des services municipaux. Par ailleurs, le rapport reconnaît que les subventions provinciales aux municipalités et la péréquation sont source d'effets de débordement puisqu'elles faussent la vérité des prix. 
  
  
     « On prétend que la concurrence entre les villes serait aussi néfaste puisqu'elle serait un jeu à somme nulle. Comment la concurrence, source d'information et de choix dans le secteur privé, perdrait toutes ses vertus dans le secteur municipal? » 
 
  
          On prétend que la concurrence entre les villes serait aussi néfaste puisqu'elle serait un jeu à somme nulle. Comment la concurrence, source d'information et de choix dans le secteur privé, perdrait toutes ses vertus dans le secteur municipal? La vérité est que la concurrence permet aux citoyens de faire des choix éclairés. Ils peuvent comparer la diversité des villes et opter pour celle qui reflète le plus leurs préférences. Chaque fois qu'une ville accorde des subventions pour y attirer des entreprises, elle accroît, dans un tel environnement, le fardeau fiscal de ses commettants et les incite à se déplacer vers une ville plus respectueuse des préoccupations de ses citoyens-contribuables. 
  
          Le faible pourcentage des services financés sur une base régionale serait aussi un indice du peu de fonctionnalité du régime actuel. On ne veut pas reconnaître les autres arrangements institutionnels que les politiciens locaux mettent de l'avant graduellement pour minimiser les coûts de coordination. Là comme partout ailleurs, il existe des interactions qui nécessitent aussi bien de la concurrence que de la coopération entre les parties.  
  
          Les achats de services entre villes, la sous-traitance des commissions intermunicipales de transport, les corps policiers régionaux sont des possibilités contractuelles que les dirigeants municipaux développent pour satisfaire leurs commettants. La diversité des institutions municipales, lorsqu'elles ne sont pas imposées, favorise l'expérimentation sur une petite échelle. Elle permet ainsi d'apprendre à un faible coût puisque l'échec, tout comme le succès, sera local. Elle évite de généraliser les erreurs à tous, comme la réforme actuelle propose. 
  
          L'absence d'appariement entre les villes se retrouverait aussi mesuré par le ratio du nombre d'élus sur la population. Les fusions forcées permettraient d'atteindre un tel ratio optimal. Encore une fois, on néglige de prendre en considération que la multiplicité des villes n'a pas seulement des coûts, mais aussi des bénéfices pour les citoyens qui y vivent. 
  
Pervers effets 
 
          La mondialisation des marchés serait un facteur supplémentaire de la nécessité d'une concentration des villes québécoises. La technologie des communications diffuse l'information à la vitesse de la lumière et elle rend les facteurs de localisation traditionnels démodés. Par ailleurs, l'ouverture des frontières requiert de la flexibilité à tous les niveaux dont des institutions municipales performantes et efficaces.  
  
          Qu'en est-il des iniquités fiscales dont le rapport fait continuellement mention? Elles émanent de l'étalement urbain. Mais ce phénomène découle de deux forces qui se conjuguent et qui amplifient leurs effets pervers respectifs. La première est le refus de faire assumer à l'automobiliste, aussi bien au niveau provincial que municipal, le vrai coût du service des infrastructures routières en période de pointe. La seconde consiste en la majoration soutenue de la rémunération des employés municipaux qui a créé des incitations additionnelles aux familles de se déplacer vers des villes de banlieue. Bref, l'expression de leur désaccord profond sur la production de services municipaux en regard du fardeau fiscal s'est trouvée facilitée par la baisse du prix relatif du transport par automobile. La cause des iniquités fiscales est endogène et elle provient uniquement de la piètre performance des politiciens de ne pas avoir fait la promotion de la vérité des prix envers l'utilisation de l'automobile et la rémunération de leurs employés.  
  
          Pour résoudre le problème qu'ils ont eux-mêmes engendré par leur inertie politique, on propose que les municipalités efficaces, celles qui répondent le mieux aux préoccupations de leurs commettants, défrayent les rémunérations excessives consenties au personnel syndiqué des villes centrales et qu'elles les dédommagent pour leur obstination à ne pas recourir à des droits d'utilisation sur tous les services municipaux. 
  
          L'absence de nouvelles sources de financement sous-entend que l'assiette fiscale découlant des fusions forcées servira à combler les manques à gagner des villes centrales en place. Par ailleurs, l'imprécision volontaire sur les modalités d'intégration des conditions salariales garantit que les nouvelles entités municipales s'ajusteront aux conventions les plus généreuses. 
  
          Le gouvernement fédéral a délesté aux provinces un certain nombre de responsabilités sans fournir des revenus correspondants. Le gouvernement du Québec emploie le même stratagème par les fusions forcées. De nouvelles municipalités, devenues plus grandes, se voient imposer les services de la sécurité publique provinciale et même le service des incendies, alors que des villes de banlieue assumeront un fardeau fiscal supplémentaire en raison de leur intégration à des villes centrales. Bref, le contribuable local observe une croissance de son fardeau fiscal, sans consultation aucune. 
  
          Le ton monte sans cesse entre la ministre des Affaires municipales et les opposants, surtout des maires des banlieues de Québec et de Montréal. Il ne serait pas surprenant que les deux parties en viennent à un compromis, suite aux menaces à peine voilées de la ministre d'imposer son diktat. Les villes récalcitrantes vont malheureusement accepter de dédommager en partie les villes centrales, ce qui va accroître le fardeau fiscal de leurs résidents. Les maires font déclarer haut et fort l'avoir échappé belle, mais ce ne sera que partie remise puisqu'il y aura d'autres rondes de redistribution de revenus. 
  
          Le refus de la concurrence qui sous-tend les politiques à l'origine des fusions et des regroupements de services, imposés du haut de la pyramide, implique un prix élevé que les Québécois vont devoir payer, si les fusions forcées deviennent réalité. Non seulement les citoyens du Québec n'auront pas les institutions municipales désirées, mais les collectivités en place continueront d'être source d'inefficacités économiques. Un tel contexte ne peut qu'engendrer des effets pervers qui exigeront à leur tour de nouvelles initiatives du gouvernement provincial. Les structures imposées ne correspondent pas à la volonté des citoyens, puisque les principaux intéressés ne sont pas consultés.        
  
 
 
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