Montréal, 20 janvier 2001  /  No 75
 
 
<< page précédente 
 
 
  
 
Martin Masse est directeur du QL. La page du directeur.
 
ÉDITORIAL
  
LUCIEN BOUCHARD, 
ENTRE LE CHARISME ET LA DÉMAGOGIE
 
par Martin Masse
  
  
          Quelle différence y a-t-il entre un politicien démagogue et un politicien charismatique? Aucune. Les deux cherchent à manipuler la population par un discours basé sur l'émotivité dans le but d'accroître leur pouvoir et d'amener les électeurs à appuyer ce qu'une évaluation plus raisonnée leur ferait plutôt rejeter.
 
          La seule différence en est une de perception: lorsqu'on appuie un politicien de ce type, on lui attribue du charisme; lorsqu'on s'oppose à ses visées, on dénonce plutôt ses envolées démagogiques. 
  
Un excellent politicien... 
  
          Lucien Bouchard est incontestablement un excellent politicien de ce type. On a pu s'en rendre compte dès qu'il a démissionné du cabinet fédéral pour fonder le Bloc québécois en 1990. Lors des dernières semaines de la campagne référendaire de 1995, c'est lui qui a redonné sa ferveur à un camp du Oui peu motivé qui allait vers une défaite écrasante. 
  
          Quelle est l'émotion qui nous vient immédiatement à l'esprit lorsqu'on pense à ce que M. Bouchard a tenté de nous communiquer tout au long de la dernière décennie? L'indignation bien sûr. Cette indignation que devait susciter en nous chaque geste du méchant oppresseur fédéral, cette indignation qui devait nous décider enfin à « nous assumer dans notre plénitude comme peuple ». 
  
          Un parti collectiviste utopiste comme le Parti québécois se doit absolument d'avoir un chef charismatique-démagogique pour atteindre le pouvoir et ses buts. (L'exemple donné dans le Multi Dictionnaire de la langue française pour illustrer le mot charisme est d'ailleurs: « René Lévesque avait beaucoup de charisme ».) Le PQ propose un projet risqué, auquel une minorité de Québécois, le quart peut-être, est vraiment attachée. Pour aller chercher l'appui temporaire ou circonstanciel d'un autre quart, il faut du charisme-démagogie, de l'indignation, de l'hystérie collective. 
  
          Après l'échec de l'Accord du lac Meech il y a dix ans, et à quelques reprises par la suite, les conditions étaient propices pour manipuler l'émotivité des Québécois. Depuis quelques années toutefois, elles le sont moins. M. Bouchard nous l'a reproché dans son message de démission: nous sommes restés étrangement impassibles devant les multiples assauts du fédéral. Ça ne marche plus, il ne réussit plus à nous manipuler comme il le souhaiterait.  
  
  
     « Quelle est l'émotion qui nous vient immédiatement à l'esprit lorsqu'on pense à ce que M. Bouchard a tenté de nous communiqué tout au long de la dernière décennie? L'indignation bien sûr. » 
 
 
          En homme prudent et pragmatique, M. Bouchard croyait pouvoir gagner du temps, attendre d'autres « conditions gagnantes ». Mais les radicaux de son parti, ces frustrés perpétuels qui n'en peuvent plus d'attendre le grand soir de la victoire, lui ont fait savoir qu'ils en avaient assez d'attendre. En 1984, ils étaient les « caribous » prêts à risquer la défaite dans une élection référendaire – comme ces bêtes qui avaient traversé la Caniapiscau dans le nord québécois et ont été retrouvées mortes par milliers. Cette fois, ils ont trouvé prétexte à faire une cabale avec cette stupide affaire Michaud, et ont une nouvelle fois eu la tête de leur chef charismatique-démagogique, mais trop prudent.  
  
          Devrions-nous nous en désoler? Évidemment pas. Les chefs charismatiques-démagogiques n'ont jamais pour but de manipuler les foules pour les amener à croire que leur liberté est importante et devrait être mieux protégée. Ils ne proposent jamais des projets visant à réduire le poids de l'État. Au contraire, cette manipulation est nécessaire parce que leurs projets sont toujours contre-nature, contre l'élan premier de chacun qui est de se protéger et de veiller à ses propres intérêts. Emporté par la vague d'hystérie générale, il est prêt momentanément à se fondre dans la collectivité et à suivre son sauveur. Mais les conséquences sont toujours liberticides. 
  
Bilan nul 
 
          Les qualificatifs ont plu dans les jours qui ont suivi la démission du premier ministre: charmant, lucide, efficace, digne, courageux, cultivé, déterminé, etc. Mais pourquoi donc devrait-on se soucier de ces qualités chez un dirigeant? Veut-on un monarque à vénérer ou bien un chef de gouvernement dont le rôle principal devrait être de protéger nos droits et nos libertés? 
  
          À ce titre, le bilan de Lucien Bouchard est nul. Durant son mandat, le gouvernement du Parti québécois a continué à mal gérer un État monstrueux, sans rien faire pour en réduire la taille.  
  • Le déficit budgétaire a été comblé, mais pas à la suite de réduction de dépenses, plutôt parce que les transferts fédéraux et les revenus fiscaux ont augmenté;
  • sous la houlette de son ministre des Finances et probable successeur, les subventions ont continué à être saupoudrées sur tout ce qui bougeait dans la province et l'État a continué d'intervenir un peu partout; 
  • des « réformes » sans bon sens dans la santé et l'éducation ont été enclenchées, qui n'ont fait qu'empirer l'état lamentable de ces institutions tout en évitant soigneusement la seule solution possible, la désétatisation; 
  • la police de la langue a continué à harceler nos concitoyens anglophones malgré la soi-disant ouverture du premier ministre; 
  • une réforme des municipalités est en voie de détruire des dizaines de communautés locales et de procéder à la centralisation des pouvoirs la plus imposante au Québec depuis des décennies; etc. etc.
          En bref, ce premier ministre n'a rien fait pour assurer ou accroître notre liberté. Et il est parti en avouant son incapacité à nous manipuler suffisamment pour nous faire accepter un projet que nous refusons en majorité. Difficile de produire un bilan plus insignifiant.  
  
          Adieu Monsieur Bouchard. D'autres qui vous suivront ne feront évidemment pas mieux, mais ça changera le mal de place. 
  
  
Articles précédents de Martin Masse
 
 
 
  
Le Québec libre des nationalo-étatistes  
L'ÉTAT, NOTRE BERGER?
  
        « Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière; il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient faire jour pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. »    

Alexis de Tocqueville   
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE (1840) 

 
<< retour au sommaire
 PRÉSENT NUMÉRO