Montréal, 20 janvier 2001  /  No 75
 
 
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Pierre Desrochers est post-doctoral fellow à la Whiting School of Engineering de l'Université Johns Hopkins à Baltimore. 
 
LE MARCHÉ LIBRE
  
LA MONDIALISATION CONTRE 
LA CORRUPTION
 
par Pierre Desrochers
  
 
          L'un des slogans creux des opposants à la mondialisation des marchés est que le diktat des multinationales va remplacer la souveraineté légitime des États. Ce que ne réalisent pas nos anarchistes, syndicalistes et autres « conscientisés » ou protectionnistes, c'est que bon nombre d'habitants de pays sous-développés ne demandent pas mieux.
 
          C'est du moins ce qu'a constaté le correspondant aux affaires internationales du New York Times – un gauchiste bon teint –, Thomas Friedman dans son best-seller The Lexus and the Olive Tree où il décrit à la fois la corruption des régimes tiers-mondistes et la lutte impitoyable des investisseurs internationaux pour une plus grande transparence dans la conduite des affaires publiques. 
  
C'est l'histoire du ministre 
  
          Friedman illustre la corruption des pays sous-développés au moyen de nombreuses anecdotes amusantes. L'une de mes préférées est une blague utilisée par les employés de la Banque Mondiale pour expliquer les différents degrés de corruption des administrations tiers-mondistes.  
  
          Deux ministres des travaux publics, l'un africain et l'autre asiatique, s'échangent des visites de politesse. Le ministre africain rend tout d'abord visite au ministre asiatique qui l'invite à souper chez lui. Le ministre asiatique vit dans une résidence somptueuse. Le ministre africain, étonné, lui demande: « Wow, comment faites-vous pour vous payer une résidence pareille avec votre salaire? » Le ministre asiatique l'amène à une fenêtre et lui pointe du doigt un nouveau pont à quelque distance. « Vous voyez ce pont là-bas? » lui demande le ministre asiatique. « Oui, je le vois, » lui répond le ministre africain. Le ministre asiatique se pointe alors du doigt et lui murmure: « 10% », pour lui faire comprendre que 10% des fonds alloués à la construction du pont ont été détournés à son profit. 
  
          Un an plus tard, le ministre asiatique rend visite à son collègue africain et réalise rapidement que celui-ci vit dans un luxe beaucoup plus grand que le sien. Abasourdi, le ministre asiatique lui demande: « Wow, comment faites-vous pour vivre dans un tel palais avec votre salaire? » Le ministre africain amène son collègue à la fenêtre et lui indique l'horizon. « Voyez-vous le pont là-bas? » lui demande-t-il. « Non, lui répond le ministre asiatique, je ne vois aucun pont ». Le ministre africain lui répond alors: « C'est juste » et ajoute, se pointant du doigt: « 100% »! 
  
          Cette histoire est évidemment fictive, mais elle illustre bien la corruption généralisée qui empêche le décollage économique de nombreux pays. Pour bon nombre d'entre eux, les choses commencent toutefois à s'améliorer en raison de la libéralisation des échanges. 
  
La mondialisation et la lutte contre la corruption 
  
          Bien que l'ouvrage de Friedman soit farci de clichés sur les affres du capitalisme sauvage, il contient toutefois un chapitre remarquable consacré à l'influence grandissante des investisseurs internationaux sur la conduite des affaires internes d'administrations corrompues. Le principal message de Friedman est que, contrairement aux politiciens des économies développées qui dépensent l'argent de leurs contribuables sans vraiment s'intéresser au rendement économique, les investisseurs internationaux ne risquent leur argent que dans des pays où l'on instaure une plus grande transparence.  
  
  
     « Contrairement aux politiciens des économies développées qui dépensent l'argent de leurs contribuables sans vraiment s'intéresser au rendement économique, les investisseurs internationaux ne risquent leur argent que dans des pays où l'on instaure une plus grande transparence. » 
 
  
          De plus, ils n'hésitent pas à retirer leurs fonds de pays qui ne réforment pas leurs pratiques. Bon nombre de politiciens et de gestionnaires de pays sous-développés ont compris le message et n'ont maintenant plus d'autres choix que de gérer leurs affaires convenablement et de changer leur culture d'entreprise. 
  
          Friedman discute également des bénéfices de la libéralisation des échanges. Il décrit ainsi le cas de l'Indonésie, un pays qui a toujours été l'un des chouchous de l'ACDI (Agence canadienne de développement international) et de la plupart des agences gouvernementales gaspillant notre argent dans des puits sans fonds. Le pays a longtemps été sous la coupe de la famille Suharto, dont les membres se sont arrogés au fil des années nombre de monopoles lucratifs et protégés par des barrières tarifaires importantes.  
  
          Friedman s'est fait expliquer que de nombreux jeunes issus de la classe moyenne qui espèrent davantage de démocratie savent qu'ils ne l'obtiendront jamais des dirigeants en place, mais qu'ils craignent tout autant une révolte des couches populaires qui ne ferait que mener à l'anarchie et au chaos. Comme Friedman l'explique, leur stratégie de prédilection est une « révolution venant de l'extérieur ». On me pardonnera ici de citer un large extrait du propos du chroniqueur gauchiste du NYT: 
          Their whole strategy was to do everything they could, sometimes consciously, sometimes unconsciously, to integrate Indonesia into the global system. They hoped that by tying Indonesia into these global institutions and markets – whether it was to the World Trade Organization, Pizza Hut, APEC, ASEAN, Merrill Lynch, PricewaterhouseCoopers or human rights non governmental organizations (NGOs) – they might be able to import from beyond the standards and rules-based systems that they knew would never be initiated from above and could never be generated from below.  
  
          For instance, the Indonesian press couldn't directly rebuke the Suharto regime for its rampant nepotism, so instead it reported with great relish on how the United States and Japan were taking Indonesia before a WTO court to protest the fact that Indonesia's national car factory – then controlled by the President's son – was being protected by tariffs out of line with WTO standards. [Their] strategy. was, in short, to Gulliverize the Suharto regime by globalizing Indonesian society. Another Indonesian reformer expressed it more simply. He told me that he and his son got their revenge on Suharto once a week « by eating at McDonald's ». (p. 143)
Le marché contre la politique 
  
          Le cas de la mondialisation et des pays du tiers-monde n'est évidemment qu'un cas particulier d'un principe plus général. Contrairement aux politiciens élus une fois par quatre ou cinq années, les acteurs d'une économie de marché privée doivent rendre des comptes quotidiennement, car chaque consommateur vote avec son pouvoir d'achat. Il ne nous reste plus qu'à espérer que la mondialisation finira éventuellement par libérer l'économie québécoise des nombreuses politiques contre-productives affectant nos secteurs manufacturier, commercial et agro-alimentaire. 
 
 
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