Montréal, 20 janvier 2001  /  No 75
 
 
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Brigitte Pellerin est apprentie-philosophe iconoclaste, diplômée en droit et en musique. Elle prépare un essai sur la liberté de ne pas s'associer en contexte de relations de travail syndiquées et travaille à son premier roman.
 
BILLET
  
LUCIEN ABANDONNE SES MOUTONS
 
par Brigitte Pellerin
  
  
          Des fois j'aimerais ça vous dire que les choses s'améliorent. Qu'il y a de l'espoir. Mais bon, ça sera pour une autre fois. On peut dire que le millénaire tout neuf, dans notre joli coin de pays, est parti d'un bien mauvais pied. 
  
          Tout ça parce que Lucien est parti.
 
          « Un grand premier ministre, » a dit Alain Dubuc dans La Presse. « Son départ nous interpelle tous dans nos valeurs les plus profondes, » a commenté Claude Ryan. « Le sauveur est parti, le PQ peut revenir sur terre, » a dit Le Devoir. « Comme le deuil du père, » ont conclu les psychologues. 
  
          Pas à dire, les gens disent vraiment n'importe quoi. 
  
Un détail 
  
          On dirait que je suis la seule (avec la notable exception du député du Bloc Richard Marceau qui a dit, et je cite, « la souveraineté n'est pas l'affaire d'un seul homme ») à penser que l'identité du chef du PQ ne veut pratiquement rien dire. Que ce n'est qu'un détail insignifiant. 
  
          Insignifiant, comme dans ne rien signifier. 
  
          Je sais, ce n'est pas ce que les autres commentateurs ont dit et écrit. Les grandes gueules professionnelles (à l'exception de la mienne) s'en sont données à coeur joie. Ouh, lala. Le fun qu'ils ont eu. Vous vous rendez compte? Du jour au lendemain, ils se sont retrouvés avec un sujet tout prêt sur lequel écrire. Pas de recherche à faire, et même pas besoin d'aller plus loin que leur écran de télévision pour trouver du matériel sur lequel travailler. 
  
          Peinards, les potes. 
  
          Mais là, je sens que je vais déraper. Ce que je voulais vous dire en fait, c'est que ça ne me fait pas un pli sur la différence que Lucien soit parti. Et je vais même vous dire pourquoi... 
  
          Parce qu'il ne s'agit que de deux symboles – le premier incarnant l'âme et la vision du mouvement souverainiste et le second (Michaud) incarnant le fantôme mal éteint d'un passé peu glorieux – qui se battent à mort dans une arène virtuelle créée de toutes pièces par des politiciens et des journalistes politiques. En fait de fake, on peut difficilement faire mieux. 
  
  
     « Le chef d'une option quitte la scène, et vous pensez que l'option est morte? Si c'était le cas, ça voudrait dire que les milliers de gens, bien réels ceux-là, qui croient et militent en faveur de la souveraineté du Québec comptent pour des peanuts. » 
 
 
          Et vous embarquez là-dedans comme des nonos. Vous y croyez. Vous discernez quelques formes vaguement réelles et concrètes dans un ramassis de poussière. 
  
          L'affaire Michaud et la démission de Lucien ne sont en fait qu'une bataille d'images et d'impressions. La nostalgie des uns contre l'impatience des autres. Il n'y a rien de réel, rien de concret à quoi se raccrocher. À part peut-être pour une chose: à partir de maintenant, Lucien Bouchard le mec consacrera plus de temps à sa famille. 
  
          C'est tout. 
  
Pas une vie 
  
          Les réactions dans les journaux, la semaine dernière, m'ont bien fait rigoler. Heille, c'était pas que la petite affaire. Lucien est parti, quel drame… Les pleurs, les cris et les grincements de dents d'un côté et de l'autre, on se tapait dans les mains, le sourire fendu jusqu'à demain matin. 
  
          Ben voyons donc. Le chef d'une option quitte la scène, et vous pensez que l'option est morte? Si c'était le cas, ça voudrait dire que les milliers de gens, bien réels ceux-là, qui croient et militent en faveur de la souveraineté du Québec comptent pour des peanuts. Que sans leur chef ils ne sont rien.  
  
          Je ne suis pas particulièrement sympathique aux souverainistes, mais il me semble qu'ils méritent mieux que ça. Ça fait des années, parfois même des décennies, que certains des membres de ce mouvement s'arrachent le coeur pour faire avancer leur cause. Ils sont bien réels, ces gens-là. Ils étaient là avant Bouchard, et ils resteront après son départ. 
  
          Remarquez, ce n'est pas mieux de l'autre côté. Je me suis bien bidonnée en lisant les réactions des fédéralistes. Imaginez-vous donc qu'ils se réjouissent du départ de Bouchard parce que, disent-ils, ça veut dire que l'option souverainiste se meurt. Youppie, ils vont pouvoir passer à autre chose… (tricoter des pantoufles, peut-être?) 
  
          Ça signifie que les partisans du fédéralisme ne croient pas vraiment à ce qu'ils disent – ils ne font que résister à l'homme qui incarne un rêve. À lire les réactions et commentaires des Jean Charest, Stéphane Dion et Brian Tobin, on dirait que tout ce dont ils s'occupent, c'est de se réveiller la nuit pour haïr Lucien Bouchard. 
  
          Franchement, c'est pas une vie. 
  
Idée fixe 
  
          En fait ce qui arrive, c'est que tout le monde a pris une débarque et s'est ramassé dans le champ. Comme une belle bande de petits moutons qui se cherchent désespérément un endroit où aller, suivant aveuglément le premier charismatique venu. 
  
          Les interminables chicanes du PQ reflètent un phénomène bien simple. Simpliste, même. Leur problème tourne autour d'une gang de crackpots qui n'arrivent pas à se faire à l'idée que la majorité de ceux qui vivent au Québec ne veulent rien savoir de se séparer du reste du Canada. 
  
          Si seulement les purs et durs pouvaient se rentrer ça dans la tête… Qu'est-ce que ça nous simplifierait la vie, dis donc. 
 
 
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