Montréal, 20 janvier 2001  /  No 75
 
 
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Christophe Vincent travaille dans l'informatique et vit à Paris. On peut lire ses textes sur Le champ libre
 
CONTE LIBERTARIEN
  
LIONEL JOSPIN ET LE BON ROI DAGOBERT
 
par Christophe Vincent
  
 
          Il y a bien longtemps, en 635, à l'aube du deuxième millénaire, le roi Dagobert régnait sur un peuple de paysans. 
  
          Ce roi n'était pas méchant. Il était au contraire fort soucieux du sort de ses sujets.
 
          Le problème c'est que pour n'avoir jamais travaillé lui-même, pour avoir passé toute sa vie au sein de l'Etat, d'abord dans les écoles puis dans l'administration, il ne savait rien de la vie, il n'avait pas la moindre idée de comment se créaient les richesses. Bref, il était plein de bonne volonté, plein de bonnes intentions mais il n'était pas très éclairé, pas très au fait des réalités. 
  
          Un jour qu'il se promenait dans les champs, le roi s'aperçut que le travail de ses paysans était extrêmement dur, extrêmement pénible, extrêmement fatiguant. 
  
          De retour dans son château, il se mit à réfléchir. Que pouvait t-il faire pour soulager son peuple? 
  
          Après une nuit blanche, il crut avoir trouvé une solution. Le roi décida qu'il y aurait désormais 40 jours fériés dans l'année et non plus seulement 35. Le peuple pourrait ainsi se reposer davantage de ses peines. 
  
          Le roi fit rassembler ses paysans dans la cour de son château et il leur annonça cette mesure depuis le balcon de ses appartements. 
 
Le peuple est content 
 
          Dans un premier temps, le peuple, habitué à un autre genre de traitement de la part du pouvoir, exulta et remercia le ciel de lui avoir donné un si bon roi. 40 jours fériés au lieu de 35, cela semblait être une bonne affaire. 
  
          Mais après un court laps de temps, certains paysans s'élevèrent contre cette mesure. Ils dirent au roi: « Ce n'est pas une bonne chose de nous empêcher de travailler. Nous travaillons pour avoir de quoi vivre. L'inactivité que vous voulez nous imposer ne nous amènera pas des loisirs mais la misère. Si vous voulez vraiment notre bonheur, laissez-nous libres de travailler autant que nous le souhaitons, autant que nous le jugeons nécessaire. Et si vous voulez absolument faire quelque chose pour nous, diminuez plutôt les impôts qui nous étouffent en rendant votre administration moins dispendieuse et plus efficace. »  
 
          Le roi fut très surpris. Lui qui ne voulait que le bien de son peuple, lui qui leur proposait de travailler moins, il ne s'attendait pas à une quelconque opposition de leur part. 
  
          De retour dans ses appartements, il consulta ses conseillers. Était-ce vraiment une mauvaise mesure de donner des loisirs à son peuple? Fallait-il vraiment réduire les dépenses de l'État? 
  
  
     « Quoi! Réduire les dépenses publiques, priver les serviteurs de l'État (eux-mêmes) de leurs copieuses rémunérations, c'était impensable, impossible! L'insolence de ces paysans devait être châtiée. » 
 
  
          Ses conseillers lui répondirent que c'était lui qui avait raison, que les paysans en question étaient des fauteurs de troubles, des émeutiers, des fortes têtes. Quoi! Réduire les dépenses publiques, priver les serviteurs de l'État (eux-mêmes) de leurs copieuses rémunérations, c'était impensable, impossible! L'insolence de ces paysans devait être châtiée. Ils proposèrent au roi de les faire arrêter le soir même et de les faire pendre dès le lendemain. 
  
          Mais le roi était bon et de telles mesures lui répugnaient. Il décida donc de laisser la vie sauve à ces paysans et d'appliquer les mesures qu'il avait décidées malgré leur l'opposition. Par ordonnance royale les jours fériés passèrent donc de 35 à 40. 
  
          Les quatre années qui suivirent furent prospères. La mesure du roi n'y fut absolument pour rien bien entendu. La raison en fut qu'un paysan ingénieux avait inventé la charrue. La pratique du labour s'était rapidement répandue dans tout le royaume et ce progrès considérable avait permis d'accroître de manière importante le volume des récoltes. Grâce à cette invention, chacun dans le royaume mangeait enfin à sa faim. 
  
Les voeux du millénaire 
 
          Pourtant, lors de ses vœux à l'occasion du passage dans le deuxième millénaire, le bon roi Dagobert qui n'avait toujours rien compris au fonctionnement de l'économie dit à son peuple: « Alors, vous voyez que j'ai eu raison de vous empêcher de travailler! Cette prospérité, cet accroissement de richesse, cette croissance, c'est grâce à moi! » 
  
          Mille ans plus tard, de nombreux progrès techniques ont suivi celui de la charrue. Le dernier en date est celui des nouvelles technologies de l'information. Ce sont elles qui sont à l'origine de la croissance que nous connaissons actuellement.  
  
          Pourtant, lors de ses voeux à l'occasion du passage dans le troisième millénaire, le premier ministre français Lionel Jospin a prétendu que c'était lui et sa politique de réduction du temps de travail qui étaient responsables de cette croissance.  
  
          Il aura au moins eu le mérite de nous faire rire et de nous montrer qu'en mille ans, l'État n'a en revanche pas fait beaucoup de progrès. 
  
  
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