Montréal, 17 mars 2001  /  No 79
 
 
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Yvon Dionne est retraité. Économiste de formation (Université de Montréal), il a travaillé à la Banque du Canada (11 ans) puis pour «notre» État du Québec (trop longtemps: 20 ans). On peut lire ses textes sur sa page personnelle.
 
CE QUE J'EN PENSE
  
QUAND L'ÉTAT SE MÊLE D'ASSURANCE
 
par Yvon Dionne
  
  
          Une assurance est quelque peu différente d'un fonds que l'on mettrait en réserve pour nos vieux jours ou pour une éventualité (même s'il s'agissait de la probabilité d'une catastrophe). Elle implique que l'on répartisse, pour en réduire le risque, le coût de la probabilité d'un événement.  
  
          L'idée est simple: il suffit par exemple de répartir dans une population donnée la valeur actualisée des dommages à la propriété dus aux incendies. Le coût de l'assurance peut être plus ou moins fonction du risque associé à un sous-groupe de cette population. Généralement, l'assurance privée est mieux ciblée sur le consommateur-payeur, i.e. celui qui a un mauvais dossier paie plus cher que les autres. En soi, ceci est équitable et responsabilise les individus.
 
          Il y a une différence encore plus fondamentale entre l'assurance privée et l'assurance étatisée, dite publique: celle-ci est motivée par des objectifs politiques de redistribution du revenu; généralement la prime est sous-estimée et est même nulle, pour faire plaisir (comme dans l'assurance médicaments); ou elle est camouflée dans les dépenses générales du gouvernement (que l'on appelle chez nous le « fonds consolidé »), comme l'assurance-maladie (tout ce qui a rapport à la maladie, sauf les médicaments). 
  
          Les « intervenants » sous-estiment toujours les effets sur le comportement de leurs interventions. Il devrait paraître évident que lorsque l'on subventionne la consommation d'un produit (mettons les médicaments, par la gratuité partielle ou totale), il y aura surconsommation de ce produit. Afin de préserver la gratuité pour certains groupes, le gouvernement réagit par des contrôles qu'il applique à toute la population. Toutes les interventions gouvernementales ont un coût qui n'est pas toujours visible en termes monétaires mais qui se traduit par une diminution de la liberté. 
  
          Mais l'État (pas seulement l'État québécois) dans tous ses raffinements et toutes ses contorsions (je dirais même ces temps-ci ses convulsions quand on observe le parti au pouvoir) n'est bien sûr pas toujours logique avec lui-même. 
  
          Ainsi, les accidents du travail (la chasse gardée de la CSST) ne sont pas fonction du revenu des travailleurs puisque les cotisations proviennent uniquement des employeurs; l'assurance automobile, plus précisément l'assurance étatisée des personnes suite à un accident d'automobile (qui prend la forme au Québec du « no fault »), n'a rien à voir avec la « redistribution des revenus », chère à tous ceux qui veulent faire payer par les autres ce qu'ils devraient payer eux-mêmes. Dans ces deux cas, et il y en a d'autres, l'État s'est ingéré dans un domaine d'assurance qui aurait pu être comblé facilement par le secteur privé. 
  
Un monde à l'envers 
  
          À la fin février, notre ministre québécois des nids de poule a lancé une campagne de propagande au coût de 1 M$ pour justifier le régime d'assurance automobile sans égard à la responsabilité introduit en 1978 (le « no fault »). Comme le dit un des principaux critiques de ce régime, Me Marc Bellemare, avant 1978 les victimes de la route devaient poursuivre les conducteurs fautifs, aujourd'hui ils poursuivent la SAAQ. Selon le ministre, dire entre autres une telle chose c'est faire preuve de « désinformation systématique » – j'ai connu les deux régimes et celui qui prévalait en Ontario à l'époque, ainsi que le nombre élevé de décès sur nos routes; l'introduction du « no fault » n'explique sûrement pas la baisse du nombre des décès! 
  
          Au lieu d'améliorer le régime, le gouvernement ne s'est pas gêné de confisquer des milliards de dollars à la SAAQ, dont les fonds (7,4 milliards $ à la fin de 1999) sont investis à la Caisse de dépôt (le principal déposant à la Caisse de dépôt n'est pas la Régie des rentes mais plutôt la Commission qui administre les régimes de retraite des employés du gouvernement, la CARRA: 17,5 MM $ contre 34,6 MM $!). Pour distraire un peu le ministre, il y a les motoneigistes (la majorité ne s'assurent pas) qui se plaignent de ne pas être compensés par la SAAQ lorsqu'ils frappent un arbre... Nul doute que le ministre trouvera le temps de se porter à la rescousse des irresponsables. C'est dans la logique de la pensée fossilisée des étatistes. 
  
          Ce ne sont pas les occasions « d'affaires » (lire: d'intervention) qui manquent du côté gouvernemental. Ces gens-là savent se placer les pieds sans prendre trop de risques et en se servant de sommes prélevées obligatoirement. Ainsi, la proposition d'assurance vieillesse au rapport de la Commission Clair venait de la Régie des rentes. Il ne s'agissait pas réellement d'une assurance mais de la création d'un fonds pour financer l'hébergement des personnes âgées et les soins à domicile. Si l'expérience se répète, d'autres besoins s'ajouteront.  
  
          Que vous mourriez avant, peu importe; l'État, par une de ses voix influentes, a suggéré que vous devriez contribuer 150 $ par année pour tous ceux qui iront s'enfermer dans un centre d'hébergement peu importe si vous rester à domicile. Évidemment, Mme Marois, alors ministre de la Santé, ne pouvait qu'être favorable... Cette confrérie sait s'entraider. En janvier 2000, dans une envolée oratoire étatiste elle disait d'ailleurs: « L'État sera toujours le mieux placé pour représenter l'intérêt public ». C'est le monde à l'envers; pas surprenants les résultats que ça donne en santé! 
  
  
     « Les "intervenants" sous-estiment toujours les effets sur le comportement de leurs interventions. Il devrait paraître évident que lorsque l'on subventionne la consommation d'un produit, il y aura surconsommation de ce produit. » 
 
  
          Mais le gros morceau de l'embonpoint gouvernemental en assurance est sans contredit l'assurance maladie (pour ce qui est de l'assurance santé, c'est vous-même qui devez la fournir...), à laquelle le gouvernement, dans sa volonté et ses largesses incommensurables, a joint l'assurance médicaments en 1997. La Régie de l'assurance-maladie (RAMQ) gère cette grosse « business » pour 7,2 millions de personnes inscrites (données de 1999), les vivants et les morts, à un coût de 4 milliards $ (seulement pour les programmes de la RAMQ, comme la rémunération à l'acte, etc.). Le budget du ministère de la Santé (MSSS) est quant à lui de 14,5 milliards $, soit environ 40% des dépenses de programmes du gouvernement. La RAMQ administre aussi l'assurance médicaments.  
  
L'assurance médicaments 
  
          Or le 20 février dernier, la ministre de la Santé a nommé l'économiste Claude Montmarquette pour, dit la nouvelle, « présider un comité chargé d'examiner la faisabilité d'un régime universel d'assurance-médicaments ». Les coûts du régime actuel sont bien sûr fonction de la demande, du type de clientèle et des coûts (en hausse) des médicaments. Pas besoin de gros dessins pour comprendre ça. Mais plusieurs groupes disposant d'une écoute attentive de la part du gouvernement veulent étatiser totalement l'assurance médicaments afin, fantasment-ils, de réduire les coûts du régime. Autrement dit, le gouvernement, pour régler ses problèmes, veut les étendre à tout le monde. Le raisonnement est simple: éliminer la preuve que ça peut mieux fonctionner à l'extérieur du gouvernement en étatisant tout, en éliminant la concurrence. 
  
          Belle illusion, qui ressemble d'ailleurs à toutes les illusions ayant motivé des interventions gouvernementales. Quand le gouvernement a des problèmes, vous avez sans doute remarqué qu'ils sont toujours dus à des facteurs externes; dans ce cas, c'est la hausse du coût des médicaments, un phénomène universel, que le gouvernement entend régler en instaurant plus de contrôles: resserrement des critères d'inscription d'un médicament sur la liste approuvée par les deux comités qui décident pour nous (prochainement formé d'un seul: le Conseil du médicament), directives aux médecins, etc. sans oublier la constitution d'un mégafichier sur la consommation de médicaments, qui est déjà en partie constitué par les 3,1 millions d'adhérents au régime public, et sans compter le mégafichier des dossiers médicaux présumément confidentiels!  
  
          Big Brother (je lui souhaite un Big Bang!) en saura donc beaucoup sur vous et vous ne saurez même pas s'il a inscrit des faussetés à votre sujet. Vous en aurez peut-être sur la carte à puces que vous porterez sur vous! B.B. veut que tout soit accessible sur vous du coup d'un click alors que les hôpitaux n'arrivent même pas à communiquer entre eux! Pas nécessaire de construire un mégafichier sur les intentions thérapeutiques pour savoir ce qui se passe – plusieurs personnes âgées ne sont même pas en état de suivre les prescriptions des médecins; ils ont besoin d'un suivi, qu'ils n'ont pas; d'autres, la majorité, accumulent les prescriptions et ne savent même pas pourquoi ils prennent tel ou tel médicament; c'est donc un manque au niveau culturel, que l'on retrouve dans d'autres domaines.  
  
          L'autre problème (au gouvernement, on aime bien voir des « problématiques » un peu partout) c'est que l'État (vous avez sans doute remarqué que les étatistes font souvent parler... l'État en leur nom, comme s'il s'agissait d'un être vivant) trouve que sa clientèle lui coûte cher. Mais il ne peut en être autrement. Le régime public compte toutes les personnes âgées de 65 ans et plus à qui le gouvernement fournissait « gratuitement » tous les médicaments avant 1997 – il y avait bien le petit 2 $ par prescription mais il coûtait plus cher à administrer que ce qu'il rapportait! 
  
          Rappelons que les médicaments sont toujours fournis gratuitement dans les établissements de santé (ou de maladie...) mais avec le « virage ambulatoire » (pour les malades bien sûr) les hôpitaux et les CLSC économisent à ce chapitre; rappelons qu'avant 1997 les personnes âgées et celles sur le b.s. n'avaient rien à payer, ou à peu près. En 1997, le gouvernement décide d'éliminer partiellement la gratuité pour les personnes âgées et d'étendre la couverture d'assurance à toutes les personnes non couvertes par un régime privé – moi, même retraité, je cotise encore à un régime privé; d'ailleurs, je n'ai pas le choix: c'est obligatoire. Je n'ai même pas un mot à dire, sauf pour protester, sur ma couverture d'assurance qui ne couvre pas que les médicaments (mais généralement, je suis satisfait). C'est que le gouvernement a étendu aux régimes privés des normes du régime public; c'est ce qu'il appelle la collaboration privé-public... 
  
          Ceci dit, le régime pour ces nouveaux adhérents (1,5 millions, à peu près le même nombre que ceux sur le b.s. et les personnes âgées) doit s'autofinancer; les dépenses moyennes en médicaments de cette clientèle sont d'ailleurs à peu près égales à celles du secteur privé, soit d'environ 320 $ par adulte. Donc, si cette clientèle est en mesure de financer son régime d'assurance, pourquoi l'a-t-on étatisée? 
  
          Dans tout ce processus, les pharmaciens deviennent de plus en plus des agents du gouvernement (les médecins le sont déjà) et veulent se faire payer. Les dépanneurs du coin remplissent aussi des fonctions pour le gouvernement; faudra-t-il les payer? 
  
Duperie gouvernementale 
  
          La première duperie gouvernementale a été, en 1997, malgré de nombreux avis contraires, de sous-estimer non seulement la prime (fixée à un maximum ridicule de 175$) mais aussi le nombre d'adhérents. On était en période pré-électorale. Donc, ça s'explique. En décembre 1999 le ministère de la Santé, dans un rapport d'évaluation du programme, examine surtout des moyens de contrôle des coûts des médicaments.  
  
          L'année suivante, ce même ministère produit un document intitulé Les pistes de révision du régime général d'assurance médicaments (notez bien que le régime est déjà... général). Il y présente sept scénarios dont celui d'un « régime universel public » intégrant les 4,1 millions d'adhérents des régimes privés. Même si ce scénario n'a pas été retenu officiellement (la prime a plutôt été haussée à 385 $ mais le plafond annuel sur la part de 25% assumée par le client a été laissé à 750 $; le calcul de la prime se fait à l'annexe K de la déclaration d'impôts qui est un autre bel exemple de simplicité gouvernementale), le ballon est lancé et l'équipe des étatistes est en train de maquiller sa marchandise pour une prochaine offensive. 
  
          Sauf que... et ce sera la prochaine duperie gouvernementale, c'est qu'il est totalement faux de prétendre que le coût sera moindre. La dépense moyenne des personnes âgées est d'environ 900 $, celle des prestataires d'assistance-emploi (l'ex-b.s.) de 400 $ par adulte (ces deux groupes sont financés en grande partie par le fonds consolidé, i.e. nous tous), alors comment peut-on miraculeusement produire un régime unique et étatisé où le coût moyen pour les adhérents du secteur privé ne dépassera pas le coût actuel de quelque 320 $? Par des économies sur la gestion? Allons donc, la meilleure gestion s'obtient par la vérité des coûts et des prix. Par l'élimination de la concurrence? J'ai lu dans un rapport que la concurrence dans l'industrie serait une des causes de la hausse des coûts des médicaments; coudonc, qu'enseigne-t-on ces jours-ci dans les cours d'économie 101 donnés dans nos cégeps? 
 
 
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