Montréal, 17 mars 2001  /  No 79
 
 
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LE
DÉFERLEMENT
DE L'ÉTAT
  
Les dépenses publiques au Canada, en pourcentage du PIB:
   
1926           15%  
   
1948           21%  
   
1966          30%  
   
1996         46%  
   
(Source: Statistique Canada) 
 
 
 
 
MOT POUR MOT
  
LES CAUSES DE LA RÉCESSION - 1
 
 
          L'Amérique du Nord est entrée à la fin de 2000 dans une période de ralentissement économique qui devrait conduire à une récession dans les mois qui viennent. 
  
          Pourquoi donc les récessions économiques surviennent-elles? Les théories les plus farfelues et incohérentes circulent sur le sujet, aussi bien chez les profanes que chez les économistes. Pour certains, ce sont les chutes de la bourse qui provoquent la récession; pour d'autres, une baisse de confiance de la part des consommateurs ou des salaires trop bas; pour d'autres encore, la spéculation ou les changements technologiques trop rapides – ou trop lents! Aucune de ces théories ne tient la rampe. 
  
          Côté solution, le remède keynésien qui a longtemps été prescrit – et qui est malheureusement encore mis en oeuvre au Japon avec des résultats désastreux (voir CRISE AU JAPON: AU SECOURS KEYNES!) – est de tenter de relancer l'économie avec des programmes de dépenses et une politique monétaire laxiste. Le keynésianisme est moins à la mode aujourd'hui, mais la théorie monétariste qui domine maintenant prescrit toujours la méthode d'une relance par l'inflation (voir LET THE RECESSION RUN ITS COURSE). 
  
          La seule explication économique qui se démarque nettement de toutes ces formules d'alchimie est la théorie des cycles de l'École d'économie autrichienne. Cette théorie, développée il y a 80 ans par l'économiste le plus brillant du 20e siècle, Ludwig von Mises, s'appuie sur un constat: toutes les récessions sont précédées d'un boom qui découle d'un gonflement artificiel du crédit et de la masse monétaire. Pendant le boom, les investissements irréalistes se multiplient et mènent à une distorsion générale des prix et de l'activité économique. La récession survient parce que ces investissements non rentables doivent nécessairement être liquidés. 
  
          Selon la théorie autrichienne, la récession est une phase inévitable de rééquilibrage avant que la croissance puisse reprendre. Tenter de l'empêcher par des programmes de dépenses ou une baisse des taux d'intérêt, comme le proposent keynésiens et monétaristes, ne peut que la prolonger en ralentissant le processus nécessaire de liquidation, tout en créant de nouveaux malinvestissements. La solution, cohérente avec l'approche libertarienne en général, est simplement de ne pas intervenir et de laisser le marché retrouver son équilibre. À plus long terme, la meilleure façon d'éviter les récessions est d'abolir les créatures étatiques que sont les banques centrales et de privatiser la monnaie en l'ancrant dans un étalon comme l'or, ce qui rendra toute manipulation impossible. 
  
          Dans son livre America's Great Depression, l'économiste Murray Rothbard applique la théorie des cycles autrichienne à la fameuse crise des années 1930. Dans cet extrait et d'autres qui suivront dans les prochains numéros, il explique de façon claire et relativement simple la logique de l'approche développée par Mises.
 
 
LES CYCLES ET LES FLUCTUATIONS 
DE L'ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE
 
 
          Il est d'abord important de distinguer entre les cycles de l'activité économique et les fluctuations de l'activité économique. Nous vivons nécessairement dans un monde de changement continu et perpétuel, un changement dont le parcours ne peut être établi à l'avance. Les gens essaient de prédire et d'anticiper ces changements autant qu'ils le peuvent, mais de telles prédictions n'atteignent jamais le niveau d'une science exacte. Le rôle des entrepreneurs est justement de prédire les changements qui se produisent sur le marché, dans les conditions de la demande comme dans celles de l'offre. Ceux qui y réussissent le mieux font des profits qui correspondent à la justesse de leur jugement, alors que les mauvais prévisionnistes échouent et doivent céder leur place. Ainsi, les entrepreneurs qui ont du succès dans un libre marché seront ceux qui seront les plus habiles à anticiper les conditions futures de l'activité économique. On ne peut cependant jamais prévoir parfaitement l'avenir, et les entrepreneurs continueront toujours à différer d'opinion quant à la justesse de leur jugement. Si ce n'était pas le cas, faire des affaires n'entraînerait jamais de profits ni de pertes. 
  
          Les changements se produisent donc continuellement dans tous les secteurs de l'économie. Les goûts des consommateurs se transforment; leurs préférences temporelles, et conséquemment la proportion des revenus consacrés à l'épargne et à la consommation immédiate, évoluent; la main-d'oeuvre change en quantité, qualité et sur le plan de sa répartition géographique; des ressources naturelles sont découvertes et d'autres s'épuisent; les changements technologiques altèrent le potentiel productif; les variations climatiques affectent les récoltes, etc. Tous ces changements caractérisent chaque système économique. En fait, il serait impossible de concevoir une société sans changement, où tout le monde ferait la même chose jour après jour, et où aucune donnée économique ne varierait jamais. Même si l'on pouvait imaginer une telle société, il est peu probable que beaucoup de gens souhaiteraient en faire une réalité. 
  
          Ainsi, il est absurde de s'attendre à ce que chaque secteur d'activité économique soit « stabilisé » comme si ces changements n'avaient pas lieu. Stabiliser et « aplanir » ces fluctuations aurait pour conséquence de mettre fin à toute activité productive rationnelle. Prenons à titre d'exemple le cas relativement simple d'une communauté qui est envahie tous les sept ans par une nuée de sauterelles. Tous les sept ans, donc, de nombreux résidants enclenchent les préparatifs pour faire face à l'arrivée des sauterelles: produire de l'équipement antisauterelles, engager des spécialistes des sauterelles, etc. De toute évidence, tous les sept ans il y a un « boom » dans l'industrie de la lutte contre les sauterelles, une industrie qui est heureusement « déprimée » durant les six autres années.  

          Est-ce que ça arrangerait ou empirerait les choses si tout le monde décidait de « stabiliser » l'industrie de la lutte contre les sauterelles en demandant que la machinerie soit produite également chaque année, avec pour résultat qu'elle rouillerait et deviendrait obsolète avant d'être utilisée? Les gens devraient-ils être forcés de construire des machines avant qu'elles ne soient utiles? Ou d'engager de la main-d'oeuvre avant d'en avoir besoin? Ou encore de différer la construction de machines dont ils ont besoin maintenant – tout cela au nom de la « stabilité »? Si les gens veulent plus de voitures et moins de maisons qu'auparavant, devraient-on les forcer à continuer d'acheter autant de maisons et pas plus de voitures au nom de la stabilité? 
   
          Comme l'a exprimé le Dr F.A. Harper: 

          Ce genre de fluctuation dans l'activité économique touche tous les aspects de notre vie quotidienne. Il existe par exemple une violente fluctuation dans la récolte des fraises à divers moments de l'année. Devrait-on cultiver suffisamment de fraises en serres de façon à stabiliser ce secteur de notre économie tout au long de l'année?
          On peut ainsi s'attendre à ce qu'il y ait tout le temps des fluctuations spécifiques dans l'activité économique. Il n'est nullement nécessaire d'avoir une théorie spéciale des cycles pour les expliquer. Elles sont simplement le résultat de changements dans les conditions économiques et la théorie conventionnelle les explique parfaitement bien. Plusieurs économistes attribuent cependant les dépressions généralisées aux « faiblesses » provoquées par une « dépression dans la construction » ou une « dépression dans l'agriculture ». Mais ces déclins dans des industries spécifiques ne peuvent jamais enclencher une dépression généralisée. Une altération dans les conditions économiques peut provoquer une hausse de l'activité dans un domaine, une baisse dans un autre. Il n'y a rien dans cela qui puisse rendre compte d'une dépression généralisée dans l'activité économique – un phénomène qui s'apparente à un « cycle » de l'activité économique. 
  
  
     « Si un prix augmente et qu'un autre diminue, on peut conclure que la demande s'est déplacée d'une industrie à une autre; mais si tous les prix augmentent ou diminuent en même temps, alors un changement doit être survenu dans la sphère monétaire. » 
 
 
          Supposons par exemple que l'évolution dans les goûts des consommateurs et dans les méthodes de production provoque un déplacement de la demande des produits agricoles vers d'autres types d'aliments. Il est incorrect d'affirmer, comme le font plusieurs, qu'une dépression dans l'agriculture provoquera une dépression généralisée, selon une logique qui veut que les producteurs agricoles vont acheter moins de produits manufacturés, les employés dans les industries qui fournissent de la machinerie agricole vont acheter moins, etc. Cette logique ne tient pas compte du fait que les travailleurs qui produisent les autres types d'aliments qui ont maintenant la faveur des consommateurs vont, eux, prospérer et augmenter leur demande. 
  
          La question du cycle économique concerne un boom et une dépression généralisés; il ne s'agit donc pas de s'attarder à des industries spécifiques pour se demander quels facteurs ont fait en sorte de rendre chacune prospère ou stagnante. [...] 
   
          Lorsque l'on considère les mouvements généraux dans l'activité économique, il devient immédiatement évident que de tels mouvement ne peuvent être transmis que par le moyen d'échange universel – c'est-à-dire la monnaie. La monnaie sert à forger des liens entre tous les éléments de l'activité économique. Si un prix augmente et qu'un autre diminue, on peut conclure que la demande s'est déplacée d'une industrie à une autre; mais si tous les prix augmentent ou diminuent en même temps, alors un changement doit être survenu dans la sphère monétaire. Seule une modification de la demande et/ou l'offre de monnaie peut causer une variation générale des prix. Si la quantité de monnaie augmente alors que la demande reste stable, il se produira une chute dans le pouvoir d'achat du dollar, c'est-à-dire une hausse générale des prix; réciproquement, une réduction de la quantité de monnaie amènera une baisse générale des prix. D'autre part, une augmentation dans la demande de liquidités, la quantité d'argent restant stable, provoquera une hausse du pouvoir d'achat du dollar (ou une chute générale des prix); alors qu'une baisse de la demande amènera une hausse générale des prix. Les changements généraux dans le niveau des prix sont donc déterminés par les changements dans l'offre et la demande d'argent. [...] 
   
          Toutefois, les fluctuations dans l'activité économique en général, ou dans les conditions monétaires, ne contiennent pas en elles-mêmes la clé du mystérieux cycle économique. Il est vrai que quelque cycle que ce soit dans l'activité économique ne peut se diffuser que par les conditions monétaires, c'est-à-dire la relation entre la quantité et la demande d'argent. Mais ces changements n'expliquent pas grand-chose. Par exemple, si la masse monétaire augmente ou la demande de liquidités diminue, les prix vont augmenter; mais pourquoi cela devrait-il générer un « cycle économique »? Plus spécifiquement, pourquoi cela devrait-il entraîner une dépression? Les premiers théoriciens des cycles ont eu raison de porter leur attention sur le phénomène de la crise et de la dépression, puisque ce sont ces phases qui intriguent et choquent les économistes tout comme les profanes, et ce sont elles qui ont le plus besoin d'être expliquées. 
   
L'accumulation simultanée des erreurs 
   
          Il est donc évident que l'on ne pourra expliquer le phénomène des dépressions sur la base de fluctuations spécifiques ou même générales dans l'activité économique. Le principal problème qu'il faut expliquer dans une théorie des dépressions est: pourquoi y a-t-il une accumulation soudaine et généralisée d'erreurs dans la gestion des affaires? Voilà la première question à résoudre. L'activité économique progresse gentiment, la plupart des compagnies faisant de beaux profits. Puis, sans crier gare, la situation change et la plupart des mêmes compagnies se retrouvent à faire des pertes. On se rend subitement compte qu'elles ont fait de graves erreurs dans leurs prévisions des conditions du marché. 
   
          [...] En principe, seulement quelques hommes d'affaires encourent des pertes à un moment précis; la plupart s'en sortent sans perte ou font des profits. Comment, donc, peut-on expliquer le curieux phénomène de la crise, alors que presque tous les entrepreneurs subissent des pertes subites? En bref, comment tous les hommes d'affaires astucieux du pays peuvent-ils en venir à faire tant d'erreurs en même temps, et pourquoi se révèlent-elles toutes à ce moment bien précis? Voilà la grande énigme de la théorie des cycles qu'il s'agit de résoudre. 
  
  
Extrait de Murray Rothbard, America's Great Depression, 1963, p. 12-16  
(traduit par Martin Masse) 
 
Prochain numéro: Boom et dépression   
  
  
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