Montréal, 12 mai 2001  /  No 83
 
 
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François Tremblay étudie en programmation à l'UQAM. 
 
LE CRIMEPENSEUR
  
LES PAUVRES SONT-ILS 
LES ENNEMIS DES LIBERTARIENS?
  
 par François Tremblay
  
 
          Pour une idéologie ou position philosophique, la présence d'ennemis – réels ou imaginaires – est intéressante pour deux raisons. La première est que cette présence crée une cohésion et un sentiment commun qui peut être étudié d'un point de vue psychologique. La deuxième est que l'identité des ennemis, et leurs supposés attributs, en dit beaucoup sur les propositions centrales de l'idéologie qui les attaque, en bien ou en mal.
 
          Un exemple de ce phénomène est la haine communiste envers la « classe bourgeoise » et, par extension, envers les riches (même si dans la réalité les premières victimes des systèmes communistes sont les paysans). Cette haine démontre clairement la perspective anti-prospérité et anti-liberté des communistes, avec une bizarre logique de « classes » justifiant leur préjugé. Dans la réalité, nous sommes tous des consommateurs autant que des investisseurs et des producteurs – la notion de classes économiques distinctes est aussi attardée que celle de races pures, et toute aussi offensante. 
  
          Quel est donc l'ennemi des libertariens? S'agit-il de l'inverse des bourgeois, c'est-à-dire les pauvres, ou peut-être, comme se plaignait un lecteur dans un récent courriel, « l'individu qui ne produit rien qui soit quantifiable ou monnayable »? 
  
Les pauvres, les plus grandes victimes 
  
          Selon la théorie marxiste, un système basé sur les échanges libres doit en être un dans lequel la plupart des gens sont pauvres et désespérés, à peine au-dessus du niveau de subsistance. Ceci n'est évidemment pas ce que nous observons aujourd'hui. Même si nous vivons dans des économies mixtes, nous observons que les pays les plus libres sont aussi les pays qui jouissent du plus haut niveau de vie.  
  
          Les pauvres ne sont pas les victimes de la liberté économique et du libre-échange, nonobstant les complaintes contradictoires des anarchistes et des marxistes. En fait le contraire est vrai – le socialisme nuit principalement aux pauvres. 
  
          Le but du communisme est d'abord et avant tout d'abolir le droit de propriété, et donc de fusionner le pouvoir politique et le pouvoir économique. Dans un système mixte, cette fusion est reflétée dans ses deux principales caractéristiques, les groupes de pression et le processus démocratique. Ces deux mécanismes s'appuient sur le pouvoir des politiciens de changer les lois, tout en maintenant la pression de se faire élire. Il devient donc dans leur intérêt d'échanger des faveurs pour des votes et du financement, ce qui se traduit en lois favorisant les plus nantis et les plus représentatifs.  
  
          Le résultat final d'un tel système est le culte du compromis, dans lequel la plupart des politiciens attirent les électeurs en faisant campagne pour une réduction du poids du gouvernement, tout en donnant généreusement des fonds publics et en élaborant des lois tordues après s'être fait élire. 
  
          En revanche, le but du libertarianisme est la séparation de ces deux sphères, si ce n'est pas carrément l'élimination du pouvoir politique. Puisque les pauvres sont ceux qui manquent de pouvoir économique, il est raisonnable de penser qu'une société libre serait plus à leur avantage qu'une société dans laquelle les gens plus fortunés ou plus populaires ont un pouvoir indu. 
  
          Évidemment une personne mieux nantie peut influencer le cours de la société plus profondément qu'une personne moins bien nantie. Ceci est vrai dans n'importe quelle société: cependant, dans une société libre, la vie et le bien-être des individus ne dépend que d'eux-mêmes et de leurs relations avec les autres. La logique libertarienne n'est pas d'avoir à choisir entre Bill Gates et Bill Clinton comme dictateur, mais plutôt de profiter de l'absence de dictateur, et de laisser les gens les plus productifs comme Bill Gates opérer en dehors des contraintes dégradantes des économies mixtes. 
  
La guerre contre les pauvres 
  
          Concrètement, nous observons que dans nos sociétés mixtes, la pauvreté est la condition qui porte le plus lourdement le fardeau des mesures socialistes. Les désavantages qui affligent les personnes pauvres peuvent être divisés en trois catégories: la taxation, la diminution du niveau de vie, et les mesures contre l'emploi. 
  
          Les taxes sur les biens et services affectent les pauvres plus durement parce que leur pouvoir d'achat est surtout concentré sur les biens essentiels comme le logement et la nourriture, qui sont beaucoup plus inélastiques. Les taxes sur les salaires, les lois sur les produits, sur la sécurité, et autres attaques contre le libre marché poussent artificiellement les prix à la hausse. De plus, les barrières artificielles à l'entrée dans les marchés de l'agriculture, des banques, des produits culturels, et autres marchés importants, ont le même effet.  
 
  
     « Puisque les pauvres sont ceux qui manquent de pouvoir économique, il est raisonnable de penser qu'une société libre serait plus à leur avantage qu'une société dans laquelle les gens plus fortunés ou plus populaires ont un pouvoir indu. » 
 
  
          Les tarifs, par exemple, sont une taxe indirecte qui permet aux producteurs locaux de compétitionner tout en maintenant un prix plus élevé, parce que l'offre qui vient de l'extérieur a une courbe de prix artificiellement élevée. 

          La diminution du niveau de vie est un phénomène qui n'est pas directement observable, mais tout aussi puissant. La constatation que le niveau de vie des pauvres suit celui de la société en général est prouvée empiriquement. Nous trouvons en effet que le revenu des 40% de la population les moins bien nantis suit la croissance du revenu général dans une proportion égale, et que cette proportion est presque complètement maintenue pour les 20% les moins bien nantis (Michael Roemer et Mary Kay Gugerty, Harvard Institute for International Development). 

          Ceci ne tient toutefois pas compte d'autres désavantages moins tangibles. Pour comprendre comment l'effet général est encore une fois de laisser les pauvres en arrière, on n'a qu'à regarder l'éternel exemple du système de santé. Tous peuvent fuir le système de santé honteux du Canada s'ils possèdent les moyens financiers pour aller se faire traiter aux États-Unis, par exemple. Mais les pauvres sont embrigadés dans une assurance-santé dont le seul but est d'attirer des votes, au lieu de prendre soin des contribuables. 
  
          Enfin, les effets nuisibles des lois de salaire minimum, du racisme institutionalisé, et des taxes sur les salaires sur les emplois des pauvres est évidente et bien documentée (voir IL FAUT ABOLIR LE SALAIRE MINIMUM, le QL, no 50).  
  
          C'est une impossibilité logique de prétendre attaquer un attribut sans attaquer les entités qui le possèdent: c'est le genre d'absurdité dont font preuve les chrétiens qui proclament la haine contre l'homosexualité tout en prétendant nourrir de bonnes intentions envers les homosexuels. La « guerre contre la pauvreté » ne peut en fait être qu'une guerre contre les pauvres. 
  
Le parasite public 
  
          Le but avoué du communisme est d'éliminer la pauvreté. Mais ceci peut porter à confusion, car il y a deux types de pauvreté: la pauvreté relative et la pauvreté absolue. 
  
          La pauvreté relative est ce qui, en théorie, peut est éliminé par le processus de redistribution des ressources: l'inégalité entre les individus. Un joueur étoile de baseball gagne dix millions $ par année, le salaire du président des États-Unis est de 390 000 $ américains par année, et celui d'un concierge est d'environ 15 000 $ américains par année. 
  
          Est-il raisonnable de décrier l'inégalité inhérente à tout système capitaliste? Sûrement que non. Tous les hommes ne sont pas égaux, et tous ne pratiquent pas un métier également productif. Un joueur de baseball gagne dix millions $ par années parce qu'il attire les foules et les caméras de télévision partout où il va. Le produit du joueur de baseball est le divertissement, et il en produit une quantité énorme, de par le nombre de personnes qui le regardent jouer, l'adulent et achètent des produits portant son nom. Le produit du président est l'administration d'un pays et celui du concierge est la propreté et l'entretien d'un bâtiment. Tous ces produits ont une valeur pour leurs clients (ou dans le cas du président, une valeur fixée par la loi, ce qui est certainement problématique) et cette valeur est subjective. 
  
          La pauvreté absolue est ce que nous pourrions appeler le niveau de vie des moins nantis. Plus une société est riche, plus l'inégalité est évidente, parce qu'il y a plus de place pour des salaires disproportionnés, comme ceux des joueurs de baseball. Cette richesse est le fruit de la productivité qui augmente rapidement avec la technologie et le commerce dans une économie capitaliste. Mais, parce que le niveau de vie des pauvres augmente proportionnellement à celui des riches, moins on y retrouve de pauvreté absolue.  
  
          C'est pour cette raison que la pauvreté absolue et la pauvreté relative sont des mesures inverses. Le choix auquel nous sommes confrontés n'est pas entre l'égalité et l'inégalité, mais bien entre la pauvreté absolue et le progrès pour tous. 
  
          La réponse à notre question de départ est donc que chaque système a son ennemi. L'ennemi du communiste est le bourgeois et son idéologie. L'ennemi du démocrate est le dictateur et sa cour. Mais l'ennemi du libertarien n'est certainement pas le moins nanti, qui souffre plus sous un régime socialiste que dans un système de libre marché. C'est plutôt le politicien et ceux dont il garnit les poches. Il est un parasite, un vampire qui détourne la noble cause de la politique – permettre à la société de se développer en harmonie avec la réalité – pour sucer le sang des intérêts humains au lieu de les protéger. Le but du libertarianisme n'est pas de détruire le tissu social, mais de le libérer du poids de l'État. 
  
 
 

 
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