Montréal, 12 mai 2001  /  No 83
 
 
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Yvon Dionne est retraité. Économiste de formation (Université de Montréal), il a travaillé à la Banque du Canada (11 ans) puis pour « notre » État du Québec (beaucoup trop longtemps: 20 ans). On peut lire ses textes sur sa page personnelle.
 
CE QUE J'EN PENSE
  
FICH-I-EZ–NOUS LA PAIX!
 
par Yvon Dionne
  
  
          Parlons concret. Il y a toutes sortes de fichiers. J'en ai deux classeurs 4-tiroirs, plus ce qu'il y a sur le disque dur. Tout ça est personnel ou, quand ce n'est pas le cas, c'est de l'information publique. Mais les gouvernements, et tous ceux avec qui nous faisons affaire, collectent de l'information dite nominative sur chacun d'entre nous. Tous ces fichiers sont rarement étanches, comme le démontrent les fuites à la Société de l'assurance automobile et à Revenu Québec. 
 
Excroissance de l'étatisme 
 
          Des fuites, il y en a partout. Nous ne voyons que la pointe de l'iceberg. Je pourrais connaître ce que vous devez sur telle carte de crédit en connaissant son numéro, votre date de naissance ou votre code postal. Mais quand Bernard Landry, quand il était ministre des Finances, a fait passer une loi permettant l'échange de renseignements entre ministères (c'était dans la foulée d'une paranoïa bien entretenue contre le travail libre, communément appelé le travail au noir) il ne s'agit plus de fuites. La Commission d'accès à l'information aura beau s'objecter, elle n'est elle-même qu'un organisme gouvernemental. 
 
          Avec l'informatique, la manipulation de l'information, pour le meilleur et pour le pire, est rendue plus facile. Mais le problème avec les fichiers gouvernementaux, ce n'est pas l'informatique, c'est qu'ils sont une excroissance de l'étatisme. Ceux qui, parmi les journalistes, se sont réveillés récemment au sujet de la carte à puce n'ont pas réellement décelé le fond du problème. Comme l'État ne vend pas ses services (s'il le faisait il en vendrait sûrement moins) tout ce qu'il produit avec nos impôts ne peut être géré qu'en multipliant les contrôles. Telle est la logique de la production étatique. 
 
          Quand il vend des biens (alcool, électricité) l'État ne peut supporter la concurrence et fixe arbitrairement les prix. Et quand il fournit des services (santé, éducation, etc.), il agit non seulement à titre de monopole mais il doit nécessairement établir des contrôles pour les répartir; si les coûts de ces services étaient visibles pour chaque consommateur, les bureaucrates devraient établir de nouveaux contrôles pour diminuer la surconsommation. Cette surconsommation, dans un régime étatisé, ne peut que diminuer en qualité et/ou en quantité les services demandés par les autres consommateurs. Chaque lacune de l'intervention étatique génère elle-même une nouvelle intervention. Depuis environ cinquante ans la démocratie se bat à reculons. 
 
          La problématique de l'information nominative détenue par les gouvernements (pour utiliser une expression chère aux scribes étatistes qui cherchent des problématiques partout pour justifier de nouvelles interventions), c'est non seulement la protection de la confidentialité (mais qu'en reste-t-il quand vos renseignements personnels peuvent être consultés par des centaines de fonctionnaires?) mais aussi le fait que ces renseignements servent à des fins de contrôle. 
 
Une simple formalité 
 
          Le 15 mai, vous devrez obligatoirement (c'est la... loi qui le dit) remplir votre questionnaire de recensement quinquennal de Statistique Canada. Sinon, vous êtes passible d'une amende. Un recensement, ce n'est pas un simple sondage où vous êtes libres de ne pas répondre. Tant mieux si, comme moi, vous êtes dans le 80% de ceux qui ont reçu le questionnaire court. Statistique Canada a une bonne réputation en matière de confidentialité mais j'ai déjà vu (et entendu) ailleurs des fonctionnaires s'échangeant des renseignements obtenus en vertu de cette même loi pour les aider à vérifier une taxe. Et pourquoi diable a-t-on besoin de votre nom sur ce questionnaire? Il ne fait pas partie des statistiques, il me semble. 
 
          Évidemment, des statistiques c'est essentiel pour savoir où on s'en va. Le nouveau ministre québécois des files d'attente, de la méningite, etc., (Rémy Trudel) pense aussi la même chose... Mais lui, il veut influer sur votre consommation de services dits gratuits. Ayant une formation en éducation (non pas en santé) il s'y connaît en ingénierie sociale. Certes, nous pouvons tous nous influencer réciproquement via nos actions quotidiennes (c'est comme ça que les comportements se socialisent) mais l'État, ses technocrates et politiciens, pensent mieux faire que nous tous et nous imposent leurs normes. 
 
          Des fichiers, en avez-vous assez? D'abord, votre permis de conduire. Pour l'obtenir, vous devez répondre à des questions sur votre état de santé. Je vous gage que la plupart des gens ne disent pas la vérité. La raison est bien simple. C'est que si vous répondez par exemple que vous prenez des somnifères (qui sont des tranquillisants) avant le coucher (mais la question ne le dit pas), ils vont penser que c'est avant... de conduire. C'est pas tellement marrant en fait de manque de jugement. J'ai déjà fait l'expérience pour tester le système. Malgré mes explications auprès de la responsable de la SAAQ, rien n'y fit. Je devais, selon le règlement (le leur bien sûr), demander à mon médecin de leur produire un rapport. 
 
  
     « Si votre médecin vous questionne beaucoup sur votre vie privée et qu'il prend constamment des notes, vous risquez d'avoir un dossier médical qui ressemble à un feuilleton. Mieux vaut changer de médecin. » 
 
  
          Les deux ministères du Revenu (Québec et Ottawa) en savent plus long sur vous que Statistique Canada. Ces deux ministères s'échangent d'ailleurs des renseignements. Les fonctionnaires le savent: le fait de détenir autant de renseignements leur donne un pouvoir considérable. Eux sont au pouvoir et vous devez faire ce qu'ils vous disent. Ils appliquent la loi, donc vous devez obéir. Évidemment, tous ne sont pas pareils mais les meilleurs sont condamnés à louvoyer dans une organisation égalitariste qui récompense la docilité et la médiocrité bureaucratique. 
 
          Il y a aussi la nouvelle loi (celle de 1995) sur les armes à feu qui permet à la police d'effectuer des enquêtes approfondies si vous avez des antécédents personnels (comme par exemple le fait d'avoir perdu votre emploi au cours des 2 dernières années). Tous ces gens sont bien sûr pressés d'encaisser votre chèque même si vous n'aurez pas de réponse avant un an! 
 
          Le gouvernement du Québec a aussi donné pour « mission » (les mandats de tous les ministères, organismes et sociétés d'État regorgent de missions) au directeur de l'état civil d'instaurer une « carte nationale d'identité ». Pour l'instant, cette carte est volontaire et neutre, dit-on, c'est-à-dire qu'elle ne servirait pas de lien avec d'autres banques de données. Ce n'est toutefois là qu'une première étape permettant de la généraliser en catimini. 
 
Médecine à la soviétique 
 
          Après les taxes et les divers permis (je n'en ai nommé que deux), il y a votre santé. Les principales banques de données nominatives du gouvernement sont celles détenues par Revenu Québec et la Régie de l'assurance maladie (RAMQ). Même si les bureaucrates derrière ce qu'ils appellent l'État s'intéressent d'abord aux loteries, aux casinos, aux machines à boules, à l'alcool et aux diverses taxes qui rapportent, votre santé les préoccupe aussi. Big Brother a besoin de soldats en santé et il a entre les mains un système de provision de services qui ne peut que générer de plus en plus de contrôles. 
  
          Il n'y a pas une semaine qui passe sans entendre une quelconque intervention de quelque chemise noire de la santé dite publique. Et les médias de ronronner sur le même thème: « la santé publique l'exige », ou quelque chose du genre. Ce système (évidemment, nous avons toujours les meilleurs systèmes au monde) n'est ni plus ni moins qu'une médecine à la soviétique. La principale nuance à apporter, c'est que nous élisons ceux qui la dirigent tous les quatre ou cinq ans. Ceci leur permet de dire que nous acceptons tous les sapins qu'ils nous passent. 
 
          Parlons donc de santé. D'abord, un mot sur le premier pas qui vous fait entrer dans le système: une visite à votre médecin. Les médecins sont devenus de plus en plus des agents du gouvernement et de la santé publique. Leur autonomie en tant que professionnels n'est plus ce qu'elle était et ils sont en partie responsables de cette situation. Grands défenseurs, en apparence, de la confidentialité des dossiers médicaux, leur code de déontologie leur alloue une grande souplesse s'ils jugent que vous représentez un danger pour la santé publique. Celle-ci a les bras longs et elle touche à tout.  
  
          Quand vous amenez votre automobile chez un garagiste, celui-ci vous présente sur une facture les détails des réparations. Mais pas un médecin. Votre dossier médical vous ne le verrez que si vous le demandez et ce n'est pas votre médecin qui va le faire. Votre médecin va plutôt juger que votre action est un manque de confiance. Si votre médecin vous questionne beaucoup sur votre vie privée et qu'il prend constamment des notes, vous risquez d'avoir un dossier médical qui ressemble à un feuilleton. Mieux vaut changer de médecin. Nous avons encore ce choix. Inutile ici d'élaborer sur les procédures interminables que vous pourriez prendre si vous n'êtes pas d'accord avec votre dossier médical ou celles relatives à une erreur médicale. C'est David contre Goliath. 
 
          Au cours des dernières années, les établissements de santé (hôpitaux, CLSC) ont transférés sur support informatique des sommaires des dossiers médicaux, sommaires que la majorité des gens n'ont pas vu et encore moins acceptés (la transparence, c'est bon pour la propagande). Des erreurs de transcription sont inévitables. Ce dossier vous suit donc d'un établissement à l'autre, si besoin est. La RAMQ connaît par ailleurs votre consommation de médicaments, si vous avez adhéré au régime public d'assurance médicaments. 
 
          Apparemment que le principal objectif du gouvernement – avec la carte avec ou sans puce... – serait de rendre plus visibles les coûts des services de santé aux consommateurs de ces services. En somme, une sorte de carte de paiement où toutes les transactions seraient centralisées à la RAMQ. Belle affaire que tout ça, dont le coût pourrait atteindre 500M $. 
 
          La logique d'un système étatisé est toujours de centraliser afin de mieux contrôler. Les lacunes du système seraient toujours dues, selon le diagnostic de tous les téteux d'interventions, à un manque de contrôles. Faire la preuve par l'absurde serait un euphémisme. Nous y sommes déjà. Ce n'est qu'en éliminant la production étatique de services qui ne sont pas des biens publics que l'on pourra obtenir une saine concurrence dans le secteur, entre autres, de la santé et une meilleure gestion des coûts.  
  
          C'est quand même curieux que le ministre Trudel, soutenu sans doute par une pléiade de fonctionnaires qui l'ont conseillé et qui ont fait de même avec ses prédécesseurs, parle de visibilité des coûts alors que les établissements publics n'ont encore qu'une comptabilité rudimentaire et exploratoire en cette matière... Quand les économistes soviétiques, du temps de Khrouchtchev, parlaient de visibilité des coûts, c'était réellement pour donner un dernier souffle, une sorte de transfusion sanguine, à un système qui était en phase terminale. 
 
 
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