Un
mal nécessaire
Hayek pensait qu'avant de voir s'imposer une idée il fallait que
celle-ci se diffuse à partir des élites intellectuelles jusqu'à
l'opinion publique en passant par les divers médias. Quant aux hommes
politiques, en démocratie, ils ne font que recueillir les idées
majoritaires pour les traduire en actions politiques (et d'un point de
vue subjectif, pour être élus, évidemment!). Ce processus
de diffusion est lent, Hayek comptait en décennies. Et Pascal Salin
ajoute une pierre angulaire à l'édifice intellectuel susceptible
de permettre un jour aux idées libérales de s'imposer en
France. Son livre est strictement sans équivalent en France, tant
par sa qualité que par son contenu, que l'on peut qualifier de libertarien
dans la mesure où Pascal Salin ne considère plus l'État
comme un « mal nécessaire »
mais comme un mal dont on peut raisonnablement concevoir la disparition.
Malgré l'aspect utopique que revêt cette idée, le livre
de Pascal Salin peut aussi être lu comme un guide pratique pour un
politicien subitement saisi par l'hérésie libérale
tant il rentre finement dans les détails techniques de la logique
d'une société de marché. J'oserai même dire
que tant par sa structure argumentative que par son contenu à la
fois conceptuel et pratique, cet ouvrage pourrait se sous-titrer ainsi:
La Constitution de la liberté 40 ans après.
Le livre de Pascal Salin(2)
se décompose en cinq parties. La première partie est principalement
théorique, quoique toujours agrémentée d'exemples
et de références historiques. Au terme de cette partie s'impose
l'idée d'un libéralisme éthique ou humaniste fondé
sur les trois piliers suivants: liberté, propriété
et responsabilité, dont l'analyse fait l'objet de la partie suivante.
La troisième partie, « coopération et
conflit », démontre la supériorité
d'une économie de marché libre c'est-à-dire de la
coopération volontaire par rapport à la contrainte étatique.
« Désétatiser » l'économie
par des privatisations bien conduites s'inscrit donc en premier point de
l'agenda libéral. Salin, qui est économiste, applique constamment
la théorie économique pour analyser des problèmes
précis, qu'il s'agisse de questions sociales ou de questions strictement
économiques. Mais là encore il faut insister sur le fait
– et cela vaut pour l'ensemble du livre – qu'il ne nous accable pas de
considérations techniques fondées sur des agrégations
de données statistiques (PIB, PNB, etc.) mais propose à notre
intelligence un raisonnement logique, déductif, bâti sur des
concepts simples déduits d'une analyse réaliste de l'action
humaine, compréhensible par tous. Cette démarche conceptuelle
et « individualiste » est la forme permanente
de toutes les démonstrations, nombreuses, qui donnent à cet
ouvrage une consistance sans égale et une grande accessibilité
à tout lecteur disposé à exploiter au maximum ses
ressources intellectuelles naturelles.
Cette troisième partie est donc un véritable agenda libéral
à l'usage des politiciens qui auraient la sagesse d'accepter de
devenir inutiles après avoir dépolitisé la société
(comptons bien sûr plutôt sur leur sens avéré
de l'intérêt personnel, le jour où les électeurs
en auront assez de payer des impôts pour obtenir des services plus
chers et moins bons que ceux que pourrait fournir le marché!). Le
principe de cet agenda réside dans la « désétatisation
» de l'ensemble de la société, afin de «
rendre pouvoirs et responsabilité aux individus ».
Pascal Salin rentre dans le détail du processus de privatisation
qui est nécessaire et a été entrepris par divers pays
qu'il cite en exemple (les réformes réussies du système
de retraites au Chili, la libéralisation de l'économie en
Nouvelle-Zélande débouchant sur un redressement social et
économique fulgurant).
Dans la quatrième partie, Salin élargit le domaine d'application
du principe de la responsabilité individuelle aux questions sociales
les plus urgentes: l'immigration, la sécurité sociale ou
la défense de l'environnement. Il est ainsi montré que le
libéralisme utilitariste (la liberté est bonne parce qu'elle
est socialement utile) et le libéralisme éthique (la liberté
qui découle de la propriété de soi est une valeur
en soi, sans considération des conséquences) se réconcilient
dans la pratique. Ce qui n'est rien d'autre que logique dans la mesure
où la liberté, la propriété et la responsabilité
individuelles découlent des nécessités inhérentes
à la nature humaine. Or celle-ci ne saurait se mettre en contradiction
avec elle-même, c'est-à-dire avec ses propres fins, sans conduire
l'humanité à sa perte (et c'est bien le sort de tout collectivisme
pur). S'agissant de la question de l'immigration, Salin critique l'étatisation
de la nation. La nation résulte d'un sentiment d'appartenance à
une communauté et ne s'identifie pas à l'État. Mais
l'usage d'abstraction pour désigner les nations (la France, etc.)
conduit à l'idée que la nation appartient à l'État.
L'utopie libertarienne est dès lors une référence
indispensable, comme cadre de pensée où l'espace serait «
structuré en un nombre immense de copropriétés
que l'on peut appeler nations ».
La cinquième partie (« Les États, pourquoi?
») termine le livre en apothéose libérale, libertarienne
devrais-je dire puisque l'État est clairement désigné
comme un « ennemi ». Salin réaffirme et
démontre l'inanité de toute politique économique et
l'incompatibilité de l'impôt et de la société
de liberté. Tout cela n'est évidemment pas nouveau mais la
clarté et la cohérence de l'argumentation nous font redécouvrir
ces vérités, et les révèlent aux Français.
Les sections suivantes sont consacrées à quelques thèmes
qui permettent de donner un aperçu partiel mais précis du
contenu du livre et de restituer l'argumentation de Pascal Salin.
L'humanisme
libéral
La thèse soutenue par Pascal Salin est annoncée sans détour:
le libéralisme n'est pas « un » humanisme
mais L'humanisme. Encore une fois, il s'agit de simple logique. Une chose
et son contraire ne peuvent pas être identiques. À ce théorème
de logique s'ajoute celui-ci qu'une chose ne peut pas être à
moitié identique à une autre. Si le libéralisme est
un humanisme alors il est l'humanisme et rien d'autre de différent
ne peut l'être. Toute la question réside alors dans la définition
de l'humanisme mais aussi dans l'enjeu de cette identité de l'humanisme
et du libéralisme. L'enjeu est évident. Il s'agit de retourner
l'accusation contre le socialisme: ce n'est pas le libéralisme qui
est « inhumain » ou « sauvage »
mais le socialisme et son corollaire, la contrainte étatique, qui
le sont. Quant à l'humanisme, sa définition repose sur la
distinction entre une société où le collectif est
sacralisé, l'individu étant réduit à «
zéro » et une société où l'individu
est l'« infini », souverain, l'humanisme correspondant
évidemment au deuxième type de société.
Ainsi, le libéralisme, qui sacralise l'individu, « est
inspiré par une métaphysique et une éthique,
comme on peut facilement s'en convaincre par la lecture de nombreux auteurs
libéraux ou libertariens (Murray Rothbard, Frédéric
Bastiat, Ayn Rand, ou même Friedrich Hayek) ».
(p.23) Pour caractériser l'anti-humanisme collectiviste Salin expose
le concept hayékien de « constructivisme ».
On doit être redevable à Pascal Salin de l'introduire avec
insistance dans la pensée politique française. Le constructivisme
réside dans cette attitude intellectuelle qui consiste à
concevoir une société humaine comme s'il s'agissait d'une
mécanique que l'on peut fabriquer à partir d'un plan. Il
constitue l'essence même de l'étatisme qui est, en France,
la grande tradition de pratique politique du XXe siècle.
« À l'aube du XXIe siècle, le seul vrai et grand débat
est celui qui doit opposer les défenseurs d'une vision humaniste
du libéralisme aux constructivistes de tous partis et de toutes
origines intellectuelles. » |
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Cette ambition de modifier l'état de la société en
agissant par la contrainte, en imposant à tous les individus des
objectifs qui seraient ceux de « la société
» (la croissance, la santé, la sécurité
sociale etc.) relève finalement d'une prétention à
l'omniscience. « C'est la présence de cette prétention
inouïe qui permet de comprendre cette combinaison a priori étrange
de deux traits de mentalité que l'on rencontre chez les constructivistes,
en particulier socialistes. Ils cultivent en effet à la fois l'illusion
lyrique, celle de la société libre et solidaire, celle de
l'homme nouveau et de la fraternité – et la sécheresse technocratique,
celle du Plan, des actions concertées, des ZAC, des ZUP et autres
ZAP. C'est la recherche d'une société idéale, mais
conçue par des esprits qui se croient supérieurs et parés
de cette vertu suprême d'avoir été élus démocratiquement
ou, tout au moins, d'avoir été nommés par des élus.
C'est en France la symbiose parfaite des énarques et des politiciens,
les uns choisis pour leur capacité à défendre la caste
dirigeante, à assimiler son langage et ses codes, les autres élus
pour leur capacité à promettre un monde meilleur. »
(p.28) On comprend aussi que c'est cette illusion constructiviste qui conduit
à accuser le marché d'être « myope »
et à lui préférer les « hommes
d'État », censés voir au loin le Bien
de la Nation, et les experts censés être « désintéressés
».
Une fois le constructivisme dénoncé comme anti-humaniste
c'est-à-dire réduisant finalement l'individu au statut d'«
homme-boulon », Pascal Salin s'emploie à ressusciter
la tradition libérale française, celle des grands économistes
de Turgot à Say et Bastiat. Or le positivisme inductiviste a ruiné
cette tradition en imposant une méthodologie calquée sur
celles des sciences physiques(3)
et a condamné le libéralisme « scientifique »
à s'enfermer dans une logique utilitariste. C'est donc ainsi que
« d'un libéralisme humaniste, fondé sur
des principes, on est passé à un libéralisme purement
instrumental, fait de morceaux juxtaposés ». (p.45)
Le plus éminent représentant français de ce libéralisme
utilitariste et mathématisé est Maurice Allais que Salin
oppose à Bastiat, qui conciliait l'utilitarisme – la liberté
des échanges satisfait mieux les besoins que la contrainte étatique
– et l'humanisme libéral selon lequel « la liberté
des échanges est un aspect de la liberté individuelle. La
protection est donc une spoliation. » (p.49) Salin consacre
plusieurs pages à Bastiat, dont les oeuvres sont quasiment introuvables
dans les librairies françaises, alors qu'elles ont toujours été
des classiques chez les anglo-américains.
Le positivisme ayant fait son oeuvre, c'est à l'école autrichienne
d'économie que revient le mérite d'avoir su proposer une
méthodologie concurrente faisant des interactions individuelles
et des valeurs subjectives des individus le point de départ de toute
explication des phénomènes humains. Alors que les libéraux
utilitaristes(4)
ont déserté le terrain éthique et philosophique, les
libéraux de l'école autrichienne vont le reconquérir
progressivement avec Mises, Hayek et Rothbard(5).
Et il n'est pas étonnant que ce soit un Français, Pascal
Salin, se rattachant explicitement à cette tradition intellectuelle,
qui invite les lecteurs français, et les autres, à abandonner
une conception sèche et pragmatique du libéralisme pour renouer
avec un humanisme libéral fondé sur une vision à la
fois politique, économique et éthique, tous ces aspects étant
en même temps indissociables et irréductibles. Cette renaissance
du libéralisme authentique, humaniste, est élevée
à la dimension d'un enjeu historique particulièrement dramatique.
« À l'aube du XXIe siècle, le seul vrai
et grand débat, affirme Pascal Salin, est celui qui doit opposer
les défenseurs d'une vision humaniste du libéralisme aux
constructivistes de tous partis et de toutes origines intellectuelles.
» (p.60)
Les trois valeurs cardinales de ce libéralisme éthique, la
liberté, la propriété et la responsabilité
individuelles, sont elles-mêmes indissociables et irréductibles.
Nul bonheur individuel durable ne saurait se construire par la coopération
humaine si les individus eux-mêmes, ou ceux qui prétendent
les servir, ne s'y réfèrent pas sans cesse. La suite de l'ouvrage
de Salin consiste à montrer comment ces valeurs, prises à
part, se déduisent mutuellement l'une de l'autre.
La
démocratie, l'espace public et l'espace privé
Sans propriété individuelle il ne saurait y avoir de liberté
individuelle. Or, comme le rappelle Salin dans la lignée de Locke,
« si l'on admet qu'un individu est propriétaire
de lui-même, c'est-à-dire qu'il n'est pas esclave d'autrui,
on doit bien admettre qu'il est propriétaire des fruits de son activité,
c'est-à-dire de ce qu'il a créé par l'exercice de
sa raison (…) La reconnaissance de la nature humaine d'un individu implique
la reconnaissance de ses droits de propriété sur ce qu'il
a créé. » (p.66) Le capitalisme n'est
pas autre chose que le régime économique où les droits
de propriété légitimes sont respectés. C'est
donc aussi le régime de liberté totale, c'est-à-dire
où l'absence d'agression des droits de propriété est
totale(6).
Toute appropriation par la contrainte, illégale (le vol) ou légale
(la spoliation étatique), est dès lors illégitime.
Se pose alors crûment le problème de la démocratie
car l'État démocratique exerce (comme tout État) un
pouvoir de contrainte fondé sur le principe de la majorité.
La démocratie est sacralisée, avec de bonnes raisons historiques
dans la mesure où elle a été la seule alternative
aux dictatures et aux totalitarismes qui ont ensanglanté le XXe
siècle. Mais depuis le temps où Karl Popper ne reconnaissait
comme seul mérite à la démocratie que celui d'éviter
la tyrannie et le bain de sang, la démocratie sociale s'est développée
à un point tel que la liberté est désormais menacée
par la démocratie elle-même. De plus, les sociaux-démocrates,
plus attachés à l'égalité qu'à la liberté,
ont bien compris tout l'intérêt qu'il y a à promouvoir
le terrorisme intellectuel du « tout démocratique
». Car s'il « n'y a pas de relation automatique
entre démocratie et liberté », la démocratie
peut bel et bien devenir le cheval de Troie du socialisme en réalisant
la socialisation progressive de la propriété privée,
et la dissolution consécutive de la liberté et de la responsabilité
individuelle. Et c'est évidemment ce qui est entrain de se produire.
Le principe de la démocratie réelle réside dans un
système représentatif où « les
citoyens élisent à la majorité des voix des représentants
qui décident eux-mêmes à la majorité des voix
» selon l'équation un homme/une voix. Pascal Salin
démontre sans difficulté que la loi de la majorité
n'a aucune raison logique de produire un état de Droit et même
qu'il est dans la logique de l'État démocratique d'étendre
le champ de son pouvoir sous l'effet du marchandage perpétuel auquel
se livrent les politiciens pour être élus. Or pour paraphraser
Karl Popper, ce qui est vrai en logique, est vrai dans la réalité.
Ainsi, « un pays comme la France peut être défini
comme un pays démocratique dans lequel il n'existe qu'un degré
limité de liberté individuelle. » (p.103)
L'État démocratique n'engendre pas naturellement un état
de Droit et ne peut pas non plus trouver sa légitimité dans
la fiction d'un « contrat social ». Celui-ci,
pour être valide, devrait être renégocié
à chaque instant, chaque fois, en fait, qu'un nouveau titulaire
des Droits entre dans la juridiction de l'État, parce qu'«
aucun de nous ne peut se satisfaire d'un contrat implicite qui aurait
été signé par de lointains ancêtres et que personne
n'a jamais vu. » (p.105) Si donc, poursuit Salin, l'État
ne peut pas fonder sa légitimité sur un acte de volonté
libre, il est illégitime. Pour redevenir légitime (et par
conséquent une sorte d'association par consentement unanime) il
doit accepter « le droit d'ignorer l'État
» (Spencer). « Si n'importe qui pouvait
se retirer de l'État sans demander la permission des autres
– puisque personne n'est l'esclave de personne dans une société
libre – les procédures effectives de décision publique –
par exemple le fait que le système soit démocratique ou non
– seraient relativement sans importance: la sélection naturelle
par la concurrence, chère à Friedrich Hayek, assurerait
que les mauvaises organisations ne pourraient pas durer longtemps. Mais
il n'en n'est pas ainsi, de telle sorte que le contrat initial comporte
un élément d'esclavagisme. L'État reste une organisation
fondée sur la contrainte et aucun système démocratique
ne peut donc respecter les droits individuels, c'est-à-dire le droit
de tout individu à utiliser sa propre raison dans la poursuite de
ses propres intérêts. » (p.106) Cet argument
de la contrainte étatique est l'argument fatal de Pascal Salin.
La coercition décrédibilise l'État du point de vue
d'une éthique de la liberté et de celui du bon fonctionnement
de la société. Salin n'aura de cesse, dans la plus pure veine
hayékienne, de démontrer la supériorité de
l'ordre spontané sur l'ordre social décrété.
Malgré toutes ces critiques, Pascal Salin n'est pas un abolitionniste
forcené. Il reste convaincu que si le dépérissement
de l'État est hautement souhaitable, il faut, dans l'immédiat,
viser à limiter la démocratie, entendue comme un processus
décisionnel fondé sur le principe majoritaire et s'exerçant
sur l'espace public. En effet, si celle-ci « constitue
un progrès important par rapport au système autocratique
» elle n'en représente pas moins « une
régression formidable de la liberté lorsqu'elle réduit
le marché libre ».
Comment limiter le pouvoir démocratique? En contrôlant davantage
le gouvernement, en limitant son champ de compétence et son pouvoir
d'édicter des règles. Le contrôle démocratique
(l'élection) n'est pas suffisant car ce contrôle «
externe » ne s'exerce que de manière discontinue. Il
est insuffisant à engendrer la « discipline de
la responsabilité » que produit la concurrence
dans le cas du marché libre. La concurrence, définie comme
liberté d'entrer sur le marché, exerce une pression permanente
sur les producteurs. Ce n'est pas le cas de l'élection. «
Il faudrait donc poser en principe que la démocratie n'est
pas le seul système de contrôle du gouvernement et rechercher
dans quelle mesure le système de contrôle par la concurrence
pourrait être substitué au système de contrôle
par la démocratie. On pourrait atteindre un résultat de ce
type si tout citoyen qui y aurait intérêt pouvait en appeler
aux tribunaux pour démontrer que le monopole public dans telle ou
telle activité n'a pas de justification et que lui, ou un autre,
peut faire mieux. Si un tel principe constitutionnel existait, il serait
difficile pour un gouvernement de maintenir son monopole (...) »
(pp.110-111). Mais cela suppose la redéfinition de «
quelques grands principes indiscutables » du
Droit et l'abandon du positivisme juridique qui a engendré «
un ensemble législatif totalement arbitraire »
et « une guerre juridique de chacun contre chacun, le
juge quittant nécessairement son rôle traditionnel consistant
à dire le Droit, pour devenir partie prenante dans les rapports
de force. » (p.117)
C'est donc la voie hayékienne qui est revisitée par Pascal
Salin. Un constitutionalisme fort, reposant sur quelques principes fondamentaux,
doit pouvoir produire un état de Droit et limiter ainsi l'intervention
arbitraire du gouvernement. La conjonction de trois types de contrôle
indépendants garantira ainsi le droit de tous les citoyens d'agir
comme bon leur semble tant qu'ils n'agressent pas les Droits d'autrui.
« Le système de contrôle démocratique
du gouvernement, le système de contrôle non démocratique
des tribunaux, le système non démocratique de la concurrence
coopéreraient mieux ainsi en vue d'un même objectif, l'instauration
d'une société libre. » (p.111) À
cela s'ajoute toutefois une condition supplémentaire, du moins en
France, à savoir mettre fin à « l'irresponsabilité
institutionnelle » due à l'indépendance
des institutions vis-à-vis de tout type de contrôles.
On se rengorge volontiers en France de l'indépendance des juges.
Mais on confond indépendance et irresponsabilité. Il en va
exactement de même s'agissant des institutions chargées dépolitiser
certaines décisions dans le domaine monétaire (indépendance
des banques centrales) ou audiovisuel (indépendance du CSA). «
Être indépendant, explique Salin, c'est n'avoir de
compte à rendre à personne. Être responsable c'est
supporter soi-même les conséquences de ses actes. »
(p.114) Or les juges peuvent donner libre cours à leurs préjugés
sans rendre de comptes, particulièrement lorsqu'ils commettent des
erreurs ou des abus de pouvoir. « Protégé
de manière absolue par le monopole étatique de la justice,
protégé de la critique par l'interdiction de contester une
décision de justice, le juge peut suivre son humeur et prendre des
décisions arbitraires. » (p.117)
Une
discipline de la responsabilité
Rétablir une discipline de la responsabilité pour chaque
institution et, de manière générale, restaurer la
responsabilité, tel est l'objet de la quatrième partie du
livre dans laquelle on retrouve le thème de la démocratie.
La responsabilité naît de la propriété. Salin
compare le système de la propriété collectivisée
et celui de la copropriété. La collectivisation de la propriété
non seulement n'est pas légitime car elle résulte de la contrainte
directe (expropriation) ou indirecte (impôts) mais elle engendre
une indéfinissable responsabilité collective. Quant à
« l'intérêt général
» au nom duquel on fait prévaloir les «
droits » du groupe sur les Droits de l'individu, «
il n'existe pas et ne constitue rien d'autre qu'un alibi pour satisfaire
les uns aux dépens des autres ». Dans le cas
de la copropriété, la responsabilité est individuelle
et la liberté de « sortie » existe alors
que dans le cas de la propriété collectivisée la liberté
de sortie n'existe pas et « ceux qui décident
ne supportent que partiellement les conséquences de leurs décisions,
dans la mesure où ils ne sont pas nécessairement propriétaires.
Ils sont donc largement irresponsables. » (p.261)
C'est ici que Salin reprend le fil de la démocratie car, pour lui,
« la copropriété repose aussi sur des
règles démocratiques, mais celles-ci sont cohérentes
avec la reconnaissance des droits de propriété »
alors que l'« on considère comme normal à
notre époque d'imposer à tout le monde la version abâtardie
de la démocratie, à savoir la règle un homme, une
voix. » (p.262) Or cette règle
ne respecte pas les droits individuels de propriété. Alors
que le monde est en grande partie divisé en collectivité
publique, où les droits de propriété ne sont pas respectés
et où les décisions ne sont pas prises par ceux qui en subissent
les conséquences, Salin imagine une planète constituée
d'une multitude de copropriétés. « Chacune
d'entre elles déciderait librement de ses propres règles
de décision. Leurs membres y deviendraient propriétaires
librement, passeraient à leur gré de l'une à l'autre
– ce qui, au demeurant, ferait perdre tout sens à la notion d'immigration
– et accepteraient librement de se soumettre aux décisions collectives
prises conformément aux règles communes. »
Ce mode d'organisation collective spontanée, où la règle
générale est le respect de la propriété d'autrui,
correspond à une forme de démocratie vers laquelle on doit
tendre si l'on vise réellement une société pacifiée,
prospère et civilisée. On peut donc dire que Pascal Salin
ne renie pas la démocratie, mais il la reformule de telle manière
qu'elle ne ressemble plus guère à celle que l'on connaît.
Ainsi, la « désétatisation » s'applique-t-elle
aussi à la démocratie et elle conduit à un système
de copropriétés où les décisions collectives
sont prises par des individus responsables et instituant eux-mêmes
un processus de décisions collectives et un système de droit.
La contrainte étatique disparaîtra du fait du caractère
contractuel de la copropriété et du droit de sortie du système
(en vendant sa propriété). Cette conception de l'ordre social
nous amène à une question politique cruciale aujourd'hui.
Faut-il se défendre contre la mondialisation de l'économie
et celle des droits de propriété en fondant des entités
politiques intégrés?
Mondialisation
ou intégration régionale?
Pour les Européens, il s'agit d'une question cruciale au moment
où la construction politique européenne passe par une de
ses phases les plus constructivistes: la monnaie unique(7).
Pascal salin dénonce l'intégration politique européenne
qui est devenu « un tabou indiscutable ».
« Il est mal vu d'être un mondialiste c'est-à-dire
un cosmopolite apatride ». Les hommes politiques rationalisent
leurs motifs personnels (l'accroissement de leur pouvoir) par une argumentation
pseudo-économique selon laquelle un marché régional
organisé est préférable au marché mondial désorganisé.
« Ces arguments sont évidemment faux, écrit
Salin, pour quiconque a compris les bases élémentaires de
la science économique, mais ils sont généralement
admis. En réalité, la véritable opposition n'est pas
celle qui existe entre l'intégration régionale et la mondialisation,
mais entre la liberté et l'interventionnisme. »
(p.450) L'expression même de marché « organisé
» n'est qu'un euphémisme qui signifie la primauté
du « tout-politique », or, comme le dit Salin
en une formule saisissante: « là où la
politique avance, la liberté recule ».
À l'organisation constructiviste d'un marché régional
sous la coupe d'une structure politique très intégrée
s'oppose le principe de l'avantage comparatif que le professeur Salin nous
explique très pédagogiquement en le déduisant tout
simplement de la rationalité humaine. Salin se demande pourquoi
ce principe universellement vrai n'influence guère les politiques
toujours tentés par le protectionnisme. C'est que l'ignorance et
l'analphabétisme économique sont une des données de
la culture politique française et européenne. Mais il y a
aussi tout simplement l'intérêt: le protectionnisme accroît
le pouvoir des hommes de l'État, permet d'octroyer des privilèges
à des clientèles électorales. « En
sens inverse, la libéralisation des échanges se heurte à
l'opposition des intérêts organisés qui bénéficiaient
précédemment d'une protection et c'est pourquoi elle est
difficile à mettre en oeuvre, en particulier si on veut la pratiquer
de manière graduelle. » (p.452)
Commence alors un long plaidoyer pour le libre-échange. En s'appuyant
sur le principe des avantages comparatifs, valable pour toutes les unités
(entreprises) capables de se spécialiser, Salin montre tout l'intérêt
de l'élargissement du marché et de la concurrence. Il insiste
aussi sur le non-sens que représente la notion de compétitivité
globale d'un pays, sans pour autant nier que « les entreprises
qui bénéficiaient du taux de protection le plus élevé
se trouvent dans la situation la plus défavorable au moment où
la libéralisation commerciale se produit ». Mais
comme cette protection se faisait au détriment d'autres producteurs,
la libéralisation correspond en fait à la suppression d'une
spoliation. La critique du libre-échange résulte donc d'une
illusion d'optique: « On voit le gain de ceux qui obtiennent
un privilège de protection et donc leur perte en cas de libéralisation;
mais on ne voit pas la perte de ceux qui supportent le poids effectif de
la protection accordée à certains et donc le gain qu'ils
obtiennent lors de la libéralisation. » (p.454)
Le protectionnisme convient à une vision statique d'un marché
composé essentiellement « d'entreprise-caisse
enregistreuse » dirigées non par des chefs d'entreprise
mais par des « rentiers » qui exploitent un filon
protégé de la concurrence par des taxes ou subventions diverses.
À cette vision, Salin oppose celle d'un marché dynamique
où la concurrence est un « processus de découverte
» (Hayek). Le rentier, « qui aura essentiellement
appris à traîner dans les bureaux de l'administration, ou
à dîner en ville avec des hommes politiques, se trouvera totalement
désarmé lorsqu'il prendra soudain conscience de l'écart
considérable qui existe entre ses produits et ceux de ses concurrents
» il sera trop tard et la faillite sera la sanction de cette
« éducation à l'irresponsabilité
». Le vrai entrepreneur scrute en permanence le marché,
tente de le prévoir et même de le créer.
Il n'est donc pas pertinent de totaliser la compétitivité
des entreprises et de considérer, de ce point de vue, les nations
en état de « guerre économique ».
Ce serait vrai dans le contexte d'un protectionnisme généralisé.
Mais le libre-échange met les entreprises en compétition
les unes avec les autres sans considération des nationalités.
Par ailleurs, Salin souligne bien cette conséquence du principe
de spécialisation internationale: « plus un pays
est économiquement petit, plus il a intérêt à
la libéralisation des échanges ». (p.456)
Mais plus il est économiquement petit plus il est politiquement
faible alors que les grands pays imposent ce qu'ils croient être
leur intérêt: non pas le libre-échange, qui conduirait
à réduire l'effectif politique mais à l'harmonisation
des taxes, des lois, de tout ce qui peut donner lieu à une concurrence
« déloyale » entre pays membres. C'est
que deux types d'intégration économique s'opposent.
La théorie fausse de la concurrence pure et parfaite, où
tous les producteurs sont censés être nombreux et identiques,
plongés dans un contexte juridique identique, inspire à l'évidence
la construction politique de l'Europe. L'harmonisation des systèmes
juridiques ou la création d'un Droit (positif) européen n'ont
pas d'autre but que de jeter les bases d'un futur État qui instaurera,
pour tous, les mêmes conditions juridiques et sociales. La théorie
vraie de la concurrence définie comme liberté d'entrer sur
le marché, inspire, quant à elle, les institutions du marché
mondial (GATT puis OMC), c'est-à-dire les institutions de la «
mondialisation ».
« Le mot intégration couvre ainsi deux
réalités différentes, poursuit Salin. Dans un cas,
il implique une augmentation de la concurrence – c'est l'intégration
des marchés – dans l'autre cas, il implique au contraire une
diminution de la concurrence – c'est l'intégration des producteurs,
sous le contrôle des pouvoirs publics. Dans le premier cas, on se
contente à juste titre de libéraliser les échanges,
comme cherche à le faire l'OMC. Dans le deuxième cas, on
essaie d'organiser la concurrence, c'est-à-dire en réalité
qu'on la détruit en essayant de supprimer les différences
entre les producteurs. » (p.461) C'est ce dernier choix
qui a été fait par l'Europe.
Même le concept de « marché unique
» est ambigu. Car le marché commun des marchandises
et des services implique la diversité – et « si la concurrence
est souhaitable dans ces domaines, pourquoi ne le serait-elle pas dans
d'autres domaines? Pourquoi ne créerait-on pas un marché
commun des monnaies (…) ou un marché commun des règles de
Droit? » – alors que l'unicité introduit l'idée
d'« harmonisation » c'est-à-dire de standardisation
organisée par un pouvoir central. Ainsi Salin met-il les hommes
politiques devant ce choix crucial: l'intégration par la concurrence
ou l'intégration par la centralisation.
« La nation a un sens comme sentiment d'appartenance forgé
par l'histoire et la culture mais elle ne saurait avoir de volonté
ou d'objectifs. La mondialisation, si elle contribuait effectivement à
la destruction des États-nations, serait un bienfait pour l'humanité.
» |
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La mondialisation du marché telle qu'elle se réalise aujourd'hui
correspond davantage à une intégration économique
par la concurrence qu'à une intégration centralisée
et standardisée telle qu'elle tend à se réaliser en
Europe. Salin montre combien il serait plus avantageux pour les Européens
de renoncer au désir mal fondé d'« organiser
la concurrence », d'harmoniser la fiscalité ou
(cela viendra) de centraliser les décisions économiques.
« Le libre-échange mondial est préférable
pour les consommateurs comme pour les entrepreneurs ».
Pascal Salin détruit au passage quelques mythes à la mode.
La concurrence des pays à bas salaires, le « dumping
social » nécessiteraient des règles «
de bonne conduite internationale ». Que nenni!
Et Salin le démontre comme un théorème de logique,
tout en le vérifiant dans la réalité (p.463-p.474).
D'ailleurs, « les causes du chômage sont purement
intérieures », « les producteurs
européens, en particulier français, sont paralysés
par le poids excessif de la réglementation et de la fiscalité.
Ce n'est pas en paralysant les producteurs des autres pays qu'on améliorera
leurs propres performances et c'est pourquoi on doit considérer
comme dangereuses les propositions consistant à faire dépendre
la libéralisation commerciale de l'acceptation par les autres pays
de la législation sociale française ou européenne.
» (p.473)
Enfin, Pascal Salin critique la création d'une monnaie unique qu'il
considère comme un projet typiquement constructiviste et anti-libéral.
« L'approche de l'harmonisation a prévalu sur
l'approche de la concurrence ». Bien que présenté
comme un projet libéral, la création de l'Euro «
est acceptée par tous ceux pour qui l'objectif ultime de
l'intégration européenne consiste à substituer une
super-nation aux nations existantes. » Alors que l'étalon-or
(dont Salin ne prône pas le retour) était apparu spontanément
au point qu'il est impossible d'en dater le lancement et répondait
parfaitement aux besoins, « l'euro, pour sa part, est
un reflet typique des conceptions dominantes de notre époque. Il
est marqué à la fois par l'interventionnisme public et par
le nationalisme. Il est une construction technique et non le résultat
d'un processus institutionnel. Il repose sur des dispositions légales
centralisées et non sur une base contractuelle permettant de faire
jouer la responsabilité personnelle. » (p.476)
En fait, malgré la théorie de Mundell et toute la littérature
y afférente fortement imprégnée de concepts keynésiens,
« on ne peut pas décider à l'avance que
l'Europe est une zone monétaire optimale. Nous ne savons pas
s'il est optimal d'avoir une seule monnaie en Europe et le seul moyen
de le savoir consiste à expérimenter, c'est-à-dire
à introduire la concurrence monétaire, comme l'avait suggéré
Friedrich Hayek dès 1976. » Et Salin de proposer
d'instaurer la concurrence monétaire en supprimant le contrôle
des changes et le cours forcé des monnaies ainsi que l'obligation
de payer ses impôts en monnaie nationale. Car la construction de
l'euro et l'institution d'une Banque centrale c'est tout simplement répéter
les erreurs du passé. Le XXe siècle a démontré
à quel point les monnaies nationales étaient mal gérées
par les banques centrales indépendantes et soustraites à
la discipline de la responsabilité du marché.
«
L'euro apparaîtra rétrospectivement comme une tentative
pathétique pour essayer de reconstituer les modes de fonctionnement
de l'Union soviétique à l'époque d'internet.
»
Pascal Salin termine son analyse générale de la mondialisation
et de l'intégration européenne par de belles et originales
considérations sur la nation. La nation ayant été
étatisée, il est devenu courant non seulement d'imputer à
la « nation » des objectifs – comme si un groupe
pouvait avoir des objectifs indépendamment des individus qui le
composent – mais également d'attribuer à ces objectifs «
nationaux » une valeur supérieure. Le nationalisme
est incompréhensible au libéral pour qui « il
n'y a pas de différence de nature entre l'échange intra-national
et l'échange inter-national ». (p.489) La nation
a un sens comme sentiment d'appartenance forgé par l'histoire et
la culture mais elle ne saurait avoir de volonté ou d'objectifs,
sauf à être illégitimement « nationalisée
» par l'État. « C'est pour cette
raison profonde que la mondialisation, si elle contribuait effectivement
à la destruction des États-nations, serait un bienfait pour
l'humanité », à l'inverse de ce que réalise
l'intégration politique régionale.
Vers
une société libre
« La confusion des concepts » peut
nous conduire à donner foi à la possibilité d'une
troisième voie qui serait la synthèse entre capitalisme et
socialisme. Et bien des politiciens qui se disent libéraux cèdent
en fait au « terrorisme intellectuel »
qui leur interdit de se soucier exclusivement « des
seules choses dont un libéral devrait parler: la liberté,
la propriété et la responsabilité ».
(p.492) Pascal Salin se réfère à Hayek pour désigner
l'ordre social vers lequel il faut tendre. Il s'agit d'un «
ordre spontané » qui est «
le résultat de l'action humaine et non d'une construction
humaine » (Hayek). Il s'agit d'« ordre »
car il est structuré par des règles abstraites et universelles,
et il est « spontané » car ces règles
ne sont pas des « réglementations » décrétées
par une autorité. La voie est donc celle de la déréglementation.
Malheureusement, comme Pascal Salin le souligne, on confond bien souvent
règle et règlement. Déréglementer ne conduit
pas au désordre mais à l'ordre par des règles que
les individus respectent par la nécessité inhérente
à la situation dans laquelle ils se trouvent et qu'aucune autorité
centrale ne peut prévoir. « Un petit nombre de
règles universelles sont nécessaires et suffisantes pour
qu'une société soit une société libre: la reconnaissance
des droits de propriété, la liberté contractuelle
(qui en est une conséquence naturelle) et l'exercice de la responsabilité
qui est rendu possible par la détermination antérieure des
droits de propriété. » (p.495) À
côté de ces règles générales et permanentes,
des règles spécifiques spontanées s'ajoutent par la
nécessité de résoudre les conflits de manière
fine et adaptée alors qu'« une démarche
centralisée et autoritaire, c'est-à-dire la production de
réglementation, empêche cette adaptation fine »,
comme on en a l'exemple avec l'harmonisation des règles spécifiques
par l'autorité européenne, règles devenant alors règlements.
Et comme c'est L'État qui produit par la contrainte ces règlements
et qu'il dispose même d'un monopole pour cela, Pascal Salin n'hésite
pas à le désigner comme un ennemi. Comment alors se débarrasser
de cette étreinte indésirable? Il serait, reconnaît
Salin, utopique de vouloir vivre immédiatement dans un monde où
toute la réglementation aurait disparu, mais « c'est
cependant un devoir pour nous que d'essayer d'imaginer comment fonctionnerait
une société dans une telle situation ».
Toutefois, en se référant aux « pays en
transition », Salin nous prévient que la transition
a un coût, car « l'émergence d'un ordre
spontané demande du temps » et un certain désordre
est inévitable.
Alors « faut-il admettre que le désordre initial
doit être accepté comme une sorte d'investissement dont le
coût doit être supporté pour obtenir un ordre meilleur
dans le futur? »
1.
Pascal Salin est professeur d'économie à l'université
de Paris-Dauphine. Il est membre de la Société du Mont Pèlerin
qu'il a présidée pendant deux ans. On peut le considérer
comme un libre disciple de Hayek. Son goût pour le raisonnement logique
et conceptuel le pousse du côté rationaliste de Rothbard ou
Ayn Rand. L'ouvrage dont je rends compte ici a tous les aspects d'une élégante
synthèse entre les deux courants hayékien et rothbardien.
Pascal Salin a également publié les ouvrages suivants: |
•L'ordre
monétaire mondial, Paris, PUF, coll. Libre-échange, 1982 |
•L'arbitraire
fiscal, Paris, Robert Laffont, 1985, 2e édition, L'arbitraire
fiscal ou comment sortir de la crise, Genève, éd. Slatkine,
1996. |
•La
vérité sur la monnaie, Paris, Odile Jacob, 1990. |
•Macroéconomie,
Paris, PUF, 1991. |
•Libre-échange
et protectionnisme, Paris, PUF, coll. « que sais-je ? »,
1991. |
•La
concurrence, Paris, PUF, coll. « que sais-je ? », 1995.
>> |
2.
Une remarque est nécessaire à propos de la bibliographie
que nous propose Pascal Salin. Outre des œuvres abondantes de Friedrich
Hayek et Ludwig von Mises, on découvrira en grande partie des auteurs
libertariens: David Friedman, Antony de Jasay, Alain Laurent, Bertrand
Lemennicier, Pierre Lemieux, Murray Rothbard et Ayn Rand souvent présente
dans l'ouvrage de Pascal Salin. Cette bibliographie, à elle seule,
est un pavé dans la mare sociale-démocrate. >> |
3.
Du moins telle que les philosophes des sciences et les épistémologues
l'ont imaginée à la fin du XIXe siècle, où
l'on parlait de sciences « inductives ». Les positiviste
logiques, dont Popper n'était pas, ne considéraient comme
scientifique que ce qui était directement vérifiable par
l'observation et par les perceptions des sens. Toute science devait se
fonder sur une « base empirique »
de laquelle dérivaient par induction les théories qui n'étaient
que des généralisations. Popper a combattu le positivisme
logique en rétablissant la primauté de la théorie,
l'expérience n'ayant plus une valeur démonstrative mais simplement
de réfutation. Popper a donc plaidé pour un apriorisme critique
c'est-à-dire faillible. Pourtant, et Pascal Salin le souligne bien,
le falsificationnisme est inapplicable à l'économie. Principalement
parce que la liberté et la subjectivité des valeurs économiques
résistent à la formulation de « lois »
permettant de prédire des conséquences testables. L'épistémologie
à laquelle Salin se rattache explicitement est celle de Mises qui
consiste à déduire la théorie économique d'une
analyse réaliste de la nature humaine et du concept d'action humaine
qui en découle. La théorie économique est ainsi entièrement
déduite de quelques prémisses réalistes (cf. L'action
humaine, de Ludwig von Mises, PUF libre échange). >> |
4.
Utilitaristes par nécessité méthodologique comme l'indique
cette phrase de Maurice Allais citée par Pascal Salin: «
Il n'y a de science que là où existent des régularités
susceptibles d'être analysées ou prédites ».
Salin critique la prétention au réalisme du modèle
de l'équilibre général et son formalisme mathématique.
Ce modèle a sans aucun doute « un caractère
pédagogique indéniable » mais il ne saurait
contenir tous les faits individuels et subjectifs qui seuls motivent les
comportements humains et permettraient d'expliquer les phénomènes
sociaux avec les prémisses formelles de la logique de l'action humaine,
par une reconstruction déductive des faits observés.
>> |
5.
Rothbard ira jusqu'à dériver le libéralisme d'une
éthique rationnelle (L'éthique de la liberté,
éd. Les Belles Lettres, coll. « laissez-faire »,
Paris). Notons que le débat est encore vif entre les «
anti-rationalistes » hayékiens et les
rationalistes rothbardiens (menés par Hans-Hermann Hoppe), Hayek
étant accusé de sombrer dans le traditionalisme vulgaire
(particulièrement dans La présomption fatale, PUF
libre échange). >> |
6.
Il est inutile d'insister sur la distinction entre le vrai concept de liberté
qui est l'absence de contrainte et le faux concept de liberté identifié
au pouvoir de faire, concept dont les socialistes se servent pour déduire
leur sophisme préféré de l'équivalence entre
la redistribution des richesses, la justice sociale, l'égalité
et la « liberté ». >> |
7.
En outre, l'Europe, qui a accouché du meilleur – la liberté
et la démocratie – qu'elle a exporté, comme du pire – les
deux totalitarismes les plus sanguinaires de l'histoire avec la palme pour
le communisme dont les derniers avatars font encore merveille en Chine,
à Cuba ou en Corée du Nord –, cette Europe risque bien de
produire aujourd'hui le poison autodestructeur qui, dans les habits usés
d'un « humanisme » marxisant et anticapitaliste
ou ceux plus neufs de l'écologisme, risque de contaminer la planète.
Je fais allusion à José Bové, ce grand penseur français,
mais aussi à des associations comme ATTAC qui se servent de la taxe
Tobin comme d'un cheval de Troie pour « humaniser »
le capitalisme c'est-à-dire réaliser en fait ce que Ludwig
von Mises appelait le « destructionisme » (Mises,
Le socialisme). Et bien entendu, on peut compter sur les politiciens
français pour leur emboîter le pas. Quand il y a des voix
à prendre, pourquoi se priver. En créant un groupe informel
« ATTAC » à l'Assemblée Nationale,
les députés français ont démontré combien
ils savaient voir loin, alors que le marché est si «
myope ». |
Il
est vrai que l'on retrouve le même genre de « cinglés
religieux » en Amérique du Nord, mais au moins
là-bas le gauchisme anticapitaliste n'est pas relayé par
des politiciens élus d'extrême-gauche ou par des politiciens
« ouverts d'esprit » c'est-à-dire
n'ayant plus d'autre principe que de répéter de manière
adoucie ce que dit celui qui parle le plus fort…du moment que cela rapporte
des voix sans en perdre. >> |
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