Montréal, 7 juillet 2001  /  No 85  
 
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Yvon Dionne est retraité. Économiste de formation (Université de Montréal), il a travaillé à la Banque du Canada (11 ans) puis pour « notre » État du Québec (beaucoup trop longtemps: 20 ans). On peut lire ses textes sur sa page personnelle.
 
CE QUE J'EN PENSE
 
SERVITUDES RÉGIONALES
 
par Yvon Dionne
  
  
          Le ministre David Cliche se trompait de cible quand il déclarait à Laval le 22 juin qu'il n'y aurait pas de problème d'emploi en Gaspésie si les Gaspésiens étaient remplacés « par magie » par des Lavallois (soit dit en passant, c'est la région Chaudière-Appalaches, comprenant la Beauce, qui a le taux de chômage le moins élevé au Québec). Il s'est trompé de cible car le principal obstacle à l'esprit d'initiative dans les régions rurales, c'est l'intervention étatique. 
  
          Depuis une vingtaine d'années ces interventions se sont multipliées en prenant la forme d'une pyramide inversée: de nombreuses structures, où se casent de nombreux bureaucrates nommés par le gouvernement ou qui gravitent dans son giron, des législations qui restreignent la sous-traitance ou qui limitent la liberté de travail (dans la construction par exemple), une « économie sociale » subventionnée qui sert réellement à collecter des cotisations et des impôts à des travailleurs payés un peu au-dessus du salaire minimum, voilà des facteurs qui affectent négativement toutes les régions du Québec, y compris Laval et la Gaspésie.
 
Le prix à payer 
 
          La réponse du chef de L'Action des patriotes gaspésiens à David Cliche démontre à quel point les mentalités au Québec sont conditionnées par la dépendance envers l'État. Si ça va mal en Gaspésie, a-t-il dit en substance, c'est parce que les deux niveaux de gouvernement (fédéral et provincial) ont donné plus à Laval qu'à la Gaspésie. 
  
          Pour paraphraser l'économiste Frédéric Bastiat dont c'est le 200e anniversaire de naissance cette année et indépendamment du bilan des transferts gouvernementaux à Laval ou à la Gaspésie (un exercice que l'on pourrait confier à Yves Séguin), ce qu'on voit, ce sont des ministres qui annoncent avec tambours et trompettes toutes les subventions qu'ils accordent et les emplois qu'ils disent créer avec l'argent qu'ils ont pris aux contribuables, mais ce qu'on ne voit pas, ce sont les emplois qui n'ont pas été créés par les contribuables avec l'argent qui leur a été pris par le gouvernement. 
  
          Qui plus est, non seulement le gouvernement se paie-t-il en tant qu'intermédiaire de ces transferts, l'impact négatif de ceux-ci est amplifié par le fait que les capitaux et le travail vont où c'est le plus avantageux. Tous les transferts (péréquation, subventions, etc.) sont financés par des impôts qui seraient autrement moins élevés et qui ont un impact négatif sur l'investissement et l'emploi. Ces transferts retardent aussi les ajustements nécessaires à un point tel que l'assistance est non plus temporaire, mais permanente. On ne peut pas fausser les règles du marché sans en payer le prix. C'est la règle d'or du développement économique. 
  
          Grâce à Bernard Landry, Jacques Parizeau, et al, le Québec vit de stimulants depuis une trentaine d'années. Nous sommes parvenus depuis longtemps à l'étape de... l'épuisement dû aux stimulants. Il est faux de prétendre qu'en dépensant des sommes considérables en stimulants fiscaux et en subventions le gouvernement crée plus d'emplois qu'en ne dépensant pas, car ce serait faire l'hypothèse absurde que l'argent des contribuables a une moindre valeur et que l'État fait de meilleurs choix (alors que toute les observations démontrent le contraire). 
  
          Le président de Solidarité rurale du Québec et ex-président de l'Union des producteurs agricoles (un syndicat qui défend le protectionnisme, comme tous les syndicats), Jacques Proulx, abonde aussi dans le même esprit de dépendance: « J'espère que la politique de développement rural du gouvernement du Québec soit celle qui planifie sérieusement l'intervention de l'État en milieu rural afin de favoriser l'épanouissement des campagnes québécoises et de ses habitants. » 
  
          Cette citation a été prise sur le site internet du ministère des Régions, dont le ministre est Gilles Baril. Solidarité rurale, qui dit représenter la ruralité et fait l'apologie du terroir, regroupe surtout des syndicats; l'organisme est subventionné par le gouvernement et a été reconnu en 1997 comme « instance conseil du gouvernement du Québec » (Source: Ministère des régions). Solidarité rurale se porte à la défense des petites communautés locales et s'oppose à la volonté centralisatrice des planificateurs gouvernementaux. Cependant, quand Solidarité rurale prend parti pour la décentralisation ce n'est nullement pour affaiblir globalement le pouvoir étatique; c'est dit textuellement dans un « avis » remis au gouvernement en janvier 1999. Cet avis comprend d'ailleurs une litanie de demandes à divers ministères. Comme quoi des gens, avec toutes les bonnes intentions du monde, n'arrivent pas à exorciser leur esprit de dépendance. 
  
L'interventionnite aiguë 
  
          Les travaux du BAEQ (Bureau d'aménagement de l'Est du Québec) il y a 40 ans sont sans doute le plus bel exemple de pataugeage gouvernemental en matière de développement économique de la Gaspésie; mais il n'est pas nécessaire de reculer si loin dans le temps puisqu'il semble que nous en sommes encore au point de départ. Le dernier budget du Québec présenté le 29 mars offrait toute une série de bonbons (au coût de 800 M$ étalés sur trois ans) qui, bien sûr, vont être appréciés par ceux qui les reçoivent mais qui sont un gaspillage éhonté pour l'économie du Québec dans son ensemble. Dans un document intitulé La force des régions, le gouvernement plonge dans l'interventionnite aiguë. (Eh les gens de la santé publique, vite, un vaccin!) 
 
     « Il est faux de prétendre qu'en dépensant des sommes considérables en stimulants fiscaux et en subventions le gouvernement crée plus d'emplois qu'en ne dépensant pas, car ce serait faire l'hypothèse absurde que l'argent des contribuables a une moindre valeur et que l'État fait de meilleurs choix. »
  
          Le gouvernement cible son intervention sur sept régions où l'exploitation des ressources naturelles joue un rôle important. Un argument justifiant cette intervention est la baisse des prix des matières premières. Or en subventionnant le secteur primaire (au moins le tiers du 800 M$ va au primaire, dont 124 M$ aux forêts et 138 M$ aux mines), le gouvernement ne fait que subventionner pour une large part les consommateurs des pays importateurs; il stimule un niveau de production au-delà de ce que justifient les coûts réels et il retarde les ajustements nécessaires. 
  
          Les régions ou pays à base de ressources naturelles (renouvelables ou non) sont en quelque sorte les victimes de leurs richesses. Ils privilégient instinctivement – cela étant la solution de facilité – l'exploitation des ressources aux dépens des autres secteurs. S'il s'agit de ressources renouvelables, comme la forêt (on ne peut pas couper plus de bois annuellement qu'il en pousse, sinon les stocks sont en péril), le problème avec les terres publiques est que le gouvernement doit y stimuler et contrôler la reforestation. Pour ce qui est des mines, il y a des villes qui ont poussé grâce aux mines. Mais que doit-on faire quand les gisements sont épuisés? Poser la question c'est y répondre. 
  
          Les autres bonbons sont pigés dans le catalogue interminable des moyens dont le « modèle québécois » se sert pour intervenir dans l'économie: congé fiscal pour les PME manufacturières, crédit d'impôt remboursable (l'équivalent fiscal d'une subvention), un crédit d'impôt aux particuliers sur des parts d'une nouvelle société créée par Desjardins (« Capital régional et coopératif Desjardins »), subventions sur 40% des salaires, etc. À chaque année, le gouvernement doit ajouter quelque chose à la panoplie de mesures qu'il a déjà, de sorte qu'il faut bien conclure que toutes ces mesures sont inefficaces et que l'État est devenu impuissant. 
  
Quand l'argent devient gratuit 
  
          Le gouvernement actuel continue dans la lignée de son gourou Jacques Parizeau qui a déjà dit que des taux d'impôt élevés sont nécessaires afin que le gouvernement puisse intervenir dans les secteurs qu'il juge appropriés. Les agents économiques modifieront alors les choix qu'ils auraient faits sans impôts en fonction des choix du gouvernement. Ceci fait que des sommes considérables ont été canalisées vers de prétendus investissements où l'argent devient à peu près gratuit (comme les parts du Fonds de solidarité); toutefois, quand les coûts sont visibles le gouvernement se sert maintenant de programmes qui ne paraissent pas coûter trop cher; ce que nous savons moins, c'est le coût des programmes fiscaux comme les divers crédits remboursables, remboursables tantôt sur certains investissements tantôt sur certaines dépenses comme les salaires. De ces « dépenses fiscales », le gouvernement est peu loquace. 
  
          Dans un tel système, ce sont les individus qui paient des impôts et les entreprises qui réalisent des profits qui sont pénalisés, en somme qui deviennent les dindons de la farce des « choix » que le gouvernement fait à leur place, mais qu'eux ne peuvent pas faire puisque cet argent, ils ne l'ont plus! 
  
          Comme à l'habitude, le gouvernement a conclu que s'il n'y avait pas suffisamment d'investissements dans les « régions ressources », c'est parce qu'il y a pénurie de capital de risque. Les étatistes ne peuvent absolument rien conclure de la sorte puisqu'ils n'ont jamais laissé les capitaux s'orienter selon les règles du marché, là où le risque est justifié par le rendement. La Caisse de dépôt, par exemple, a mis des sommes importantes dans un projet de cimenterie à Port-Daniel en Gaspésie; les cimentiers actuels n'en voulaient pas malgré la présence là-bas de la principale matière première et d'un port de mer. Nous saurons éventuellement qui avait raison mais il semble d'ores et déjà que ce projet ne peut se réaliser qu'à coups de subventions. 
  
          La liste des organismes de financement créés par le gouvernement est longue. Résumons. Il y a 111 CLD, de qui relèvent les CLI et qui agissent conjointement avec les CLE; les CLD (généralement un par MRC) sont chapeautés par les CRD qui ont à leur disposition un FDR et aussi à un FCD; chaque région ressource aura aussi droit à une CAR; le tout est couronné par le COMART. Enfin, il ne faudrait pas oublier des organismes parallèles comme les SOLIDE, les CDTI, les CNE et la plus grosse bébelle de toutes qui est sans contredit le FSTQ avec ses 16 FRI. Pour se rencontrer encore plus, ces gens-là ont une TQR et une ARQ. Le ministre Jean-Pierre Jolivet, avant d'être remplacé par Gilles Baril, a aussi créé une SDÉR. 
  
          Si vous n'avez pas compris, c'est pas grave. Nous sommes tous dans le même merdier. 
 
 
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