Montréal, 1er septembre 2001  /  No 87  
 
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Jean-Luc Migué est senior fellow au Fraser Institute et auteur de Le monopole de la santé au banc des accusés, Montréal, Éditions Varia, 2001. Un extrait de ce livre de même qu'une recension sont parus récemment dans le QL
 
QUESTION & RÉPONSE
 
LES SOINS DE SANTÉ AU CANADA ET AUX ÉTATS-UNIS: QUELLE DIFFÉRENCE?
 
 
Bonjour, 
  
          Je suis un lecteur assidu du QL et j'aimerais avoir quelques informations sur un sujet chaud au Québec, la santé. Il m'arrive régulièrement d'entrer en « confrontation » avec mes amis gauchistes sur les coûts des soins au Canada vs ceux aux États-Unis. Leurs arguments sont que les coûts (opérations et traitements) dans un systeme privé seraient plus élevés que dans un système « nationalisé ». J'aimerais savoir quels sont vraiment les coûts des soins aux États-Unis vs ceux au Québec et si la différence est significative. 
  
          Un autre argument de taille est celui de l'accès aux soins. Qu'arrive-t-il aux États-Unis si on n'a pas d'assurance (par choix ou par manque de $$$). Je sais que tous sont soignés, mais j'aimerais connaître la mécanique derrière la système américain. 
  
          Toujours dans le même ordre d'idée, savez-vous quel est le coût moyen par habitant au Canada pour notre système de santé vs le coût moyen d'une assurance privée aux États-Unis? Est-il vrai de dire qu'aux États-Unis, les assurances ne servent que pour les opérations importantes et que pour une simple visite de routine, nous payons nous-mêmes le médecin? 
    
          Merci de votre aide. 
  
François Morin
Québec
  
  
 
  
Réponse de Jean-Luc Migué: 
 
Monsieur Morin, 
  
Le coût des services de santé est-il plus élevé aux États-Unis qu'au Canada? 
  
          La réponse est oui. Les Américains consacrent près de 15% de leur PIB aux services de santé, les Canadiens, moins de 10%. Ces budgets absorbent plus de 4 000 $ du revenu de l'Américain moyen, un peu plus de 2 000 $ du revenu du Canadien moyen (moins de 2 000 $ au Québec). Mais quel est le sens réel de cette observation? 
  
          La plus large part de cet écart représente autre chose qu'une différence de services réels. Ainsi la population américaine de plus de 64 ans est de 1,2% plus nombreuse et explique ainsi 5,3% de la différence de coûts globaux. Une deuxième tranche s'explique par une déficience américaine, mais qui n'a rien à voir avec le système de santé. Il s'agit de la pratique du recours inconsidéré aux poursuites judiciaires pour malpractice. Un troisième facteur à l'origine de l'écart de budget global est lié à l'importance énorme des budgets américains de recherche et de développement, relativement aux investissements canadiens. Et la disparité n'est pas exclusive à la recherche en matière de médicaments. 
  
          Il faut souligner aussi le fait que les budgets officiels de santé publiés au Canada omettent d'incorporer le coût des immobilisations (et donc de l'amortissement), surtout des hôpitaux, mais également de toutes les installations publiques. Enfin, sans donner trop d'importance à cette dernière variable, rappelons que les Canadiens et les autres étrangers qui vont se faire traiter aux États-Unis, ajoutent au coût global US, tout en allégeant le budget comptabilisé au Canada ou ailleurs. Le reste, qui ne dépasserait pas le quart du budget global selon certains auteurs, constitue un écart réel de quantité et de qualité de service, qui démontre que la demande des services de santé est fortement sensible au revenu. Comme le revenu américain moyen s'inscrit à plus de 25% au dessus du revenu canadien, on ne doit pas s'étonner que nos voisins consacrent une part supérieure de leur richesse supérieure à ces services. 
  
          En un mot, les Américains consacrent plus de leur revenu aux services de santé parce qu'ils sont plus riches que nous. Cette dernière affirmation répond en même temps à la critique facile que le débat populaire adresse régulièrement au « modèle » américain: ce dernier absorberait une part honteuse du revenu. Bref, « il coûterait scandaleusement cher ». Ce jugement relève du préjugé. Les budgets de l'éducation, de services récréatifs, du tourisme, de l'électronique et de l'informatique augmentent à toute vitesse depuis 25 ans; ils sont aussi sensiblement supérieurs aux É.-U. Et ils absorbent une part grandissante de nos ressources. Doit-on le déplorer ou nous en réjouir? La Toyota coûte plus cher que la Lada; doit-on regretter que la population choisisse de préférence la première? Sont-ce les Américains qui dépensent trop ou les Canadiens qui ne dépensent pas assez?  
  
Qu'arrive-t-il aux États-Unis si on n'a pas d'assurance? 
  
          Même pris au pied de la lettre, le chiffre de 40 millions de non assurés confirme que 85% des Américains jouissent d'assurance, privée ou publique, au sein de l'entreprise où ils travaillent ou individuellement. On notera aussi que les non assurés ne se recrutent pas parmi les indigents qui, en vertu de Medicaid sont automatiquement assurés en tant que bénéficiaires de l'assistance sociale. Ni parmi les gens âgés de plus de 64 ans, qui sont automatiquement assurés en vertu de Medicare. Il s'avère aussi que moins de 48% des non assurés le sont depuis plus de 28 mois, ce qui confirme que la composition de ce groupe est changeante. Il ne s'agit donc pas de victimes perpétuelles du manque de moyens. 
  
     « Le fait est qu'aucun Américain, pas plus ceux d'entre eux qui n'ont pas d'assurance, n'est privé des soins de santé nécessaires. Quatre-vingt-un pour cent des non assurés ont vu un médecin dans les trois dernières années. »
  
          Le fait est qu'aucun Américain, pas plus ceux d'entre eux qui n'ont pas d'assurance, n'est privé des soins de santé nécessaires. Quatre-vingt-un pour cent des non assurés ont vu un médecin dans les trois dernières années. Les sondages révèlent que la moitié des non assurés jugent les soins reçus bons à excellents. La réglementation des États interdit à quelque offreur de services que ce soit de refuser le traitement nécessaire pour des raisons financières. Il appert aussi que 60% des non assurés sont des jeunes de moins de 35 ans, qui jugent rentable de ne pas s'assurer compte tenu de deux règles du jeu du système: La première règle est que le besoin de services à cet âge est faible. Et deuxièmement, dans l'hypothèse où la malchance impose le recours aux services, le consommateur obtient en général une formule de remboursement qui s'avère grandement avantageuse à ceux qui ont « pris leur chance ». 
  
Quel est le coût moyen par habitant au Canada vs le coût moyen aux États-Unis? 
  
          La réponse est contenue au premier paragraphe ci-dessus. Quelques précisions supplémentaires: Tous les régimes d'assurance privée comportent, par choix du consommateur, une franchise pour éviter la surconsommation (et le « moral hazard »). Le préjugé répandu postule que le régime américain repose exclusivement sur le principe du marché privé et libre, que les gouvernements en sont absents. 
  
          La réalité est que les administrations publiques d'État et fédérale y assument directement près de 46% des dépenses de santé, 56% lorsqu'on incorpore les « dépenses fiscales », c'est-à-dire les frais de santé assumés par les familles, mais déductibles du revenu imposable. On sait que le chiffre correspondant au Canada s'établit à un peu plus de 69%. La différence est réelle, mais pas radicale. Ce qui signifie que les Américains assument individuellement environ 1 760 $ (44% de 4 000 $) par année par habitant, tandis que les Canadiens en assument 620 $ (31% de 2 000 $). 
  
          La distinction s'estomperait encore plus si on incorporait au tableau l'étendue de la régulation d'État qui encadre les régimes d'assurance santé privés. L'imposition de « couvertures » non volontaires aux polices d'assurances explique partiellement le coût élevé de ces assurances et le choix que font quelque 40 millions d'Américains de ne pas s'en prévaloir. Certaines estimations fixent à 42% la hausse des primes imputables aux exigences excessives imposées aux couvertures par les lois, dont par exemple la chirurgie cosmétique, la chiropraxie, et le traitement de « maladies mentales ». 
    
          Bien à vous, 
 
J.-L. M. 
 
 
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