Encore une fois cette année, des Québécois auront
visité les coulisses d'un théâtre à Montréal,
investi le studio d'un artiste à Hull, participé à
un atelier de body painting à Matane... On serait tenté
de croire qu'ils auront été moins nombreux que par le passé
à se déplacer, en raison des événements du
11 septembre, mais peut-être que le fait de remplacer le porte-parole
officiel par un chimpanzé dans les publicités des Journées
aura eu un effet compensatoire...
Toujours est-il qu'à voir les quelques dizaines de personnes attroupées
devant le Théâtre Prospero, rue Ontario, on doute que le milieu
culturel soit en train de se développer d'importants nouveaux publics!
Guide officiel en main et look vaguement « Plateau »,
tout ce beau monde est visiblement déjà converti.
Et si les gens ne se bousculent pas aux portes des activités, les
médias non plus – sans doute est-ce parce que peu d'entre eux en
sont les commanditaires! Dans La Presse, un petit exercice de style
attire l'attention. « Que feriez-vous si vous étiez
ministre de la Culture? » demande la journaliste Stéphanie
Bérubé à sept artistes qui ont bien voulu se prêter
au jeu(1).
La comédienne Markita Boies ferait « inscrire
sur le cinquième des murs de tous les édifices gouvernementaux,
autant à l'intérieur qu'à l'extérieur, des
poèmes de poètes québécois. Ensuite, [sa mission]
serait de trouver de l'argent pour que tous les employeurs, et les employés,
avant leur heure de lunch, fassent une demi-heure d'activités artistiques
et culturelles. De la danse, du tissage, du psychodrame, de la musique...
» N'en jetez plus, la cour est pleine!
René-Richard Cyr, le directeur du Théâtre d'aujourd'hui
à Montréal, est un peu plus pragmatique: « Est-ce
que je peux donner une réponse vaguement intéressée?
» demande-t-il. Bien sûr. « Alors
je ferais du Théâtre d'aujourd'hui le théâtre
national du Québec parce que c'est le seul théâtre
voué à la création québécoise. Plus
besoin de courir après les subventions... » C'est
ce qu'on appelle « savoir où sont ses intérêts
».
Pour le jeune cinéaste Ricardo Trogi, « la première
chose que je ferais si j'étais ministre de la Culture, ce serait
de céder mon poste. [...] Parce que je n'ai pas la culture générale
pour ce poste. » Puis, commentant les nominations ministérielles
actuelles, « Je trouve ça étrange de voir
qu'on nomme des ministres de la Culture qui n'ont pas nécessairement
les compétences essentielles pour le poste. »
Et vlan!
Trogi réfère-t-il à l'actuelle ministre de la Culture,
Diane « c'est une bonne piste de réflexion
» Lemieux? La fille de garagiste, comme elle se plaît
à le répéter, n'aurait-elle pas les «
compétences essentielles » pour le poste?
Si elle ne les possède pas, elle a le don en tout cas de s'exprimer...
dans une langue de bois des plus maîtrisées.
À l'occasion des Journées, dans une entrevue publiée
dans un cahier spécial du Devoir, elle y est allée
d'une de ces remises en question politico-culturelles dont sont si friands
les politiciens(2).
Quoi de mieux, pour donner une impression d'action, que de remettre en
question des acquis (pas trop tout de même!), de brasser de la paperasse,
d'étudier la situation...
« Les Québécois sont devenus chiches avec le temps.
À force d'avoir tout gratuit dans le bec, ils en sont venus à
ne plus vouloir débourser un sous pour la culture. "Si c'est québécois,
c'est gratis!" qu'ils se disent. » |
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Cinq ans après la première édition des Journées
de la culture, Diane Lemieux, pour qui voir un sculpteur à l'oeuvre
ou une troupe de danse en répétition a « quelque
chose de magique », estime que le temps est venu d'évaluer
les résultats obtenus – question « d'affiner
le concept pour le rendre encore plus approprié ».
Et pourquoi s'arrêter ici? Revoyons l'ensemble de la politique culturelle
un coup parti!
« La politique culturelle du gouvernement a été
adoptée en 1992. [...] Dix ans plus tard, il est temps de mesurer
ce que l'on a réussi à faire, quels sont les maillons les
plus faibles et ceux que nous avons besoin de renforcer. Il faut donc s'interroger,
non seulement à propos des Journées de la culture, mais plus
largement sur l'industrie culturelle et sur la façon dont nous l'avons
menée depuis dix ans. Que l'on soit créateur, diffuseur ou
ministre, tout le monde doit se questionner. » Questionnons-nous.
Et dans le doute, réinventons la roue!
« Dans une ou deux décennies, nous n'aurons peut-être
plus besoin d'un événement aussi marquant, large et mobilisateur
[que les Journées], parce que le contact entre les Québécois
et la culture sera suffisamment de qualité pour que l'on aborde
les choses autrement. Entre-temps, même si nous avons un niveau de
fréquentation en salle qui est correct, nous avons encore besoin
de ce genre de rendez-vous sans prétention qui vient frapper l'imaginaire
et qui permet de tisser des liens [et blablabla]. »
N'y a-t-il que des maillons faibles ou à renforcer en culture?
Qu'est-ce qu'un contact « suffisamment de qualité
» entre les Québécois et la culture? Quel serait
le niveau « acceptable » de fréquentation
des salles? Les anges ont-ils un sexe? Pourquoi ne pas se pencher sur des
questions pertinentes? Quelque chose du genre: Est-ce que la multiplication
des activités culturelles gratuites est vraiment une bonne chose
pour la culture québécoise?
Prenez le film Maelström (encore lui!) de Denis Villeneuve.
Lors du gala d'ouverture du 25ième Festival des films du monde de
Montréal, entouré des ministres Harel de la Métropole
et Lemieux de la Culture (en tenues de soirée), le président
de l'événement s'enorgueillissait du succès qu'avait
remporté la rétrospective des films marquants du FFM présentée
(gratuitement) plus tôt au cinéma Impérial: «
Le soir de Maelström, il y avait une file... On a dû
refuser 200 personnes à la porte. 200 personnes! »(3)
On comprend pourquoi, malgré sa grande visibilité médiatique,
ses huit prix Jutra et cinq prix Génies, le film n'a récolté
qu'environ 500 000 $ au box office.
Question: Pourquoi ces centaines de personnes ne sont-elles pas allés
voir le film avant? Pourquoi ont-elles attendu qu'il soit présenté
gratuitement pour le voir? Parce que les Québécois sont devenus
chiches avec le temps. À force d'avoir tout gratuit dans le bec,
ils en sont venus à ne plus vouloir débourser un sous pour
la culture. « Si c'est québécois, c'est
gratis! » qu'ils se disent – ou peut-être croient-ils
qu'il s'agit là d'un autre de leurs nombreux « droits
»; le « droit à la culture
», ou quelque chose comme ça.
Si on vous disait: « Dans six mois, vous pourrez voir
X, Y ou Z gratuitement – ou en présentation spéciale à
Télé-Québec. » Ne seriez-vous pas
tenté d'attendre? L'an dernier, le directeur du Musée des
beaux-arts de Montréal avait ceci à dire: « Ici,
la multiplication des festivals et autres événements artistiques
et culturels gratuits a détourné le public des musées.
»(4)
C'est vrai qu'il venait à peine de débarquer de Paris et
qu'il n'était pas tout à fait au fait de nos façons
de faire... n'empêche qu'il avait un bon argument!
Mais, peut-être que la ministre va revoir cet aspect de sa politique?
En attendant, à tous ces artistes qui n'arrivent pas à boucler
leur budget avec leurs maigres salaires de fonctionnaires, elle a ces bons
mots: « [J]e tiens à ce que les Québécois
soient fiers de notre production culturelle, de la richesse de notre culture
et de sa variété. Je tiens aussi à ce que la culture
et tous ceux qui la façonnent soient très proches des Québécois.
Il faut que l'industrie culturelle offre un éventail très
grand d'émotions et de niveaux de complexité pour répondre
à des besoins multiples et des réalités différentes.
» C'est pas beau ça?
1.
Stéphanie Bérubé, « Sept artistes
acceptent de s'asseoir un instant sur la chaise ministérielle...
», La Presse, 29 septembre 2001, p. D3. >> |
2.
Guylaine Boucher, « Démocratiser pour régner:
Le gouvernement doit revoir sa position face à l'industrie culturelle
», Le Devoir, 22 septembre 2001, p. E5. >> |
3.
Stéphanie Bérubé, « Un festival
au sommet: Le FFM s'ouvrait hier sous le regard fier de son président
», La Presse, 24 août 2001, p. C1. >> |
4.
–, « Musées de l'avenir: originalité exigée
», La Presse, 29 janvier 2000, p. B8. >> |
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