Montréal, 27 octobre 2001  /  No 91  
 
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Brigitte Pellerin est l'auteur de l'Épître aux tartempions: Petit pied de nez aux révolutionnaires de salon et travaille comme journaliste indépendante. Elle est responsable de la revue de presse francophone dans The Gazette du dimanche. Elle partage son temps entre Montréal et Ottawa. 
 
BILLET
 
UNE VICTOIRE, OÙ ÇA?
 
par Brigitte Pellerin
  
  
          « Mission accomplie, » s’exclamait l’Association pour le droit au travail (ADAT) après avoir pris connaissance de la décision de la Cour suprême du Canada dans la cause Advance Cutting & Coring Ltd. rendue vendredi de la semaine dernière (voir le texte de la décision ainsi que mon article décrivant cette cause, LIBERTÉ D'ASSOCIATION... OU PRESQUE, le QL, no 59). 
  
          Les Canadiens, dit l’Association, ont dorénavant le choix d’appartenir ou non à un syndicat. La seule exception, et elle est de taille, sont les travailleurs de la construction au Québec. « Nous avons peut-être perdu la bataille pour libérer l’industrie de la construction du joug syndical mais nous pouvons dire que nous avons gagné la guerre contre le syndicat obligatoire, sous toutes ses formes, au Canada. » 
  
          J’aime bien les gens de l’ADAT, alors ça me fait plaisir de voir qu’ils sont contents. Mais je ne peux malheureusement partager leur enthousiasme.
 
Démêlons quelques cartes…  
  
          Il faut d’abord distinguer entre 1) le précompte syndical obligatoire, mieux connu sous le nom de formule Rand, sans obligation d’appartenir au syndicat; 2) l’atelier syndical assorti du précompte; et 3) l’atelier syndical fermé.  
  
          Dans le premier cas, les salariés dont le poste de travail est couvert par l’unité d’accréditation syndicale sont tenus de payer la cotisation syndicale obligatoire, mais ne sont pas obligés de devenir membres en règle du syndicat. Dans la pratique, comme vous vous en doutez, il ne sert pas à grand chose de ne pas devenir membre du syndicat puisqu’on doit tout de même payer la cotisation et « accepter d’être couvert par la convention collective ». Mais bon, il y a des gens qui préfèrent payer sans devenir membre, et ils sont en droit de le faire.  
  
          Dans le second cas, les employés sont tenus non seulement de payer la cotisation, mais de devenir membres du syndicat comme condition de maintien d’emploi. Et dans le dernier cas, celui de l’atelier syndical fermé, un travailleur doit d’abord être membre d’un syndicat (et payer sa cotisation) avant même de postuler pour un emploi – son statut de membre du syndicat est une condition pour l’obtention de son emploi 
  
          Au risque de peiner mes amis de l’ADAT, je me vois obligée de leur dire qu’ils n’ont rien gagné. Le droit pour les travailleurs de ne pas devenir membres d’un syndicat (en autant qu’ils paient la cotisation) est reconnu depuis des lunes au Canada – et plus particulièrement depuis l’affaire Lavigne que la Cour suprême a jugée en 1991. Si la Cour avait jugé, la semaine dernière, que l’appartenance obligatoire à un syndicat viole le droit des individus de ne pas s’associer à d’autres, j’aurais probablement sablé le champagne. Mais elle ne l’a pas fait. En réalité, la Cour n’a rien changé pantoute au statu quo 
  
     « Peu importe par quel bout vous prenez l'affaire, le résultat est clair et net: le droit de ne pas appartenir à un syndicat, tout simplement parce qu'on ne souhaite pas y appartenir, n'existe pas au Canada. »
 
          Pour simplifier les choses et faire une histoire courte, voici comment ça s’est passé: la majorité des juges a décidé que même si la liberté d’association garantie par la Charte inclut (à des degrés variables) une liberté théorique de ne pas s’associer, la syndicalisation obligatoire des travailleurs de la construction au Québec est justifiable dans les circonstances.  
  
          Peu importe par quel bout vous prenez l’affaire, le résultat est clair et net: le droit de ne pas appartenir à un syndicat, tout simplement parce qu’on ne souhaite pas y appartenir, n’existe pas au Canada. Pourquoi? Deux raisons principales. D’abord, les syndicats n’imposent pas la cohésion idéologique, comme le Juge LeBel, s’exprimant au nom de la majorité, l’a écrit au paragraphe 223: « On n’a présenté aucune preuve des pratiques syndicales imposant des valeurs ou des opinions aux membres. [...] La nature d’un régime législatif ou réglementaire particulier régissant une partie importante de l’économie comme l’industrie de la construction peut certainement faire l’objet de critiques et de débats politiques. Toutefois, les désaccords personnels quant à la portée d’un régime réglementaire strict ne suffisent pas pour qu’une contestation fondée sur la Charte soit couronnée de succès. Il devrait maintenant être clair que la simple association forcée ne constitue pas en soi une violation de la Charte. »  
  
          Ensuite, sachez que la Charte vise primordialement à protéger et promouvoir les droits collectifs – et ce, même aux dépens des droits individuels(1). Comme l’écrit le juge LeBel au paragraphe 210: « [...] l’association revêt un caractère unique pour l’accomplissement personnel. En effet, elle confère aux personnes s’associant, "les associés", une force commune qui leur permet de réaliser des objectifs et aspirations individuels qu’elles ne pourraient accomplir si elles agissaient seules. [...] On ne peut présumer que la Charte vise uniquement les rapports entre les individus pris isolément et l’État. Elle porte également sur l’interaction des groupes et des "mini" sociétés dans la société canadienne dans son ensemble. » 
  
          Eh ben dis donc, c’est que ça sonne orwellien, leur affaire…  
  
          Bref, les préférences de certains individus qui ne veulent rien savoir d’être représentés par un syndicat ne comptent pour rien dans la balance. La liberté d’association, au Canada et plus encore au Québec (notez au passage que les trois juges québécois font partie de la majorité), n’a en pratique qu’une seule signification: Vous n’avez que le droit d’appartenir à un syndicat. Ceux qui ne sont pas d’accord sont toujours libres d’aller voir ailleurs s’ils y sont (voir LA LIBERTÉ SYNDICALE AU SERVICE DU NATIONAL-SYNDICALISME, p. 15) 
  
          Il y a encore beaucoup de chemin à faire avant de pouvoir dire « Mission accomplie ». 
  
  
1. À ce sujet, j’aime bien ce commentaire d’Andrew Coyne: « Where a case pits the individual against the state at large, especially regarding the rights of the accused at trial, the Court’s record is not so bad. But ask it to overturn a law that tramples over individual rights in the name of one social group or another, and it gets lost in a blizzard of sociological ‘contextualizing.’ » Andrew Coyne, « The closed shop is constitutional? », National Post, 22 octobre 2001, p. A-11.  >>
 
 
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