Montréal, 27 octobre 2001  /  No 91  
 
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Hervé Duray est étudiant à l'École Supérieure de Commerce de Grenoble et tient La Page libérale, un site dédié au commentaire des informations sous un angle libéral.
 
LA PAGE LIBÉRALE
 
UN SOCIOLOGUE DÉFEND 
LES FONCTIONNAIRES 
 
par Hervé Duray
  
  
          En 1999, une tempête ravage la France, d'abord au nord, le 26 décembre, puis au sud le jour suivant. Bilan: une dizaine de morts, et des dizaines de milliards de francs emportés par le vent. Deux polémiques naissent tout de suite: pourquoi la météo a-t-elle été incapable d'émettre un avis de tempête à temps? Ensuite, les services de l'État débordés ont mis un temps long ou cours (tout est relatif) pour remettre l'électricité en route, le téléphone, etc. Un haut fonctionnaire s'est alors épanché dans une interview sur l'inefficacité de l'État, et par là même a provoqué la colère de Pierre Bitoun, un sociologue désormais résolu à nous prouver que les fonctionnaires sont des héros.
Tous des héros 
 
          Et il n'y va pas par quatre chemins dans ce livre (Eloge des fonctionnaires, Editions Calmann-Lévy), qui « décrypte un à un les moyens par lesquels les néo-libéraux organisent le grand matraquage de la fonction publique » (dixit tf1.fr). Ah ces néo-libéraux, entristés partout(1), noyautant les journaux, les télévisions, quel cauchemar! Ils nous abreuvent de « slogans anti-fonctionnaires ». Libération, Le Monde, Télérama, L'Humanité, tous pourris! Bon, peut-être parfois Le Figaro et Valeurs Actuelles s'essayent à casser du fonctionnaire, mais tout de même, on est loin, très loin du « matraquage ». 
  
          Sept affirmations clés sont ainsi démenties: « Trop nombreux, trop gourmands, privilégiés, protégés, paresseux, peureux, toujours en grève ». 
 
          Trop nombreux? Quand environ 25% (et même plus (2)) de la population française travaille pour l'État, avec les résultats misérables que l'on voit en termes de pauvreté (toujours 13% de « pauvres »), d'illettrisme (20% ne savent pas lire à 11ans, 40% pas compter), de criminalité (+28% pour les 9 premiers mois de 2001 dans le métro de Paris), de prisons pourries (dixit tous les rapports sur le sujet), alors on peut se poser la question: leur nombre est-il proportionnel à leur efficacité? Dans ce cas, comme une entreprise en surnombre, n'est-ce pas la cause d'une dilution de la motivation, des responsabilités? 
  
          Pourtant Pierre Bitoun l'affirme, ils ne sont pas trop nombreux. Étant donné le bilan dressé, c'est qu'ils ne sont pas encore assez nombreux donc. Mais habilement, sa contre-argumentation consiste simplement à dire que « 75% des actifs travaillent dans le privé ». Moitié vide, moitié plein... Il ne pose pas les vraies questions: remplissent-ils leurs missions? Sont-ils efficaces? Sont-ils tous nécessaires (à supposer qu'un seul le soit)? Il n'a pas non plus constaté qu'en Allemagne seuls 17% des actifs sont fonctionnaires, et la moyenne des pays de l'OCDE est de 15%(2). Pourtant l'Allemagne n'est pas « ultralibérale » à ce que je sache! 
  
          Et s'il reste encore 75% de privé en France, combien en restera-t-il dans 20 ans? Car l'État a créé 800 000 postes en 20 ans: 40 000 par an! Et le rythme n'a pas baissé, avec les 300 000 emplois jeunes et les 40 000 infirmières (pour l'an prochain), et bientôt les pharmaciens (voir LES PHARMACIENS FRANÇAIS BIENTÔT FONCTIONNARISÉS, le QL, no 90)!! Ces emplois ont échappé à notre sociologue qui déclare: « Depuis un ou deux ans, il y a une levée timide du gel des emplois publics. S'il ne faut pas négliger cette avancée. » Une levée timide = 300 000 fonctionnaires. Dans le même temps l'emploi privé a quasiment stagné et la proportion de fonctionnaires a donc augmenté. 
  
     « Les footballeurs ou les stars de la chanson sont rétribués par un marché, parce qu'ils ont des talents reconnus par un grand nombre de gens. Le marché les rétribue, pas les impôts, ce qui signifie qu'ils ne décident pas eux-mêmes de leurs salaires, contrairement aux hauts fonctionnaires. »
 
          Toujours sur ce sujet, Pierre Bitoun note que « les fonctionnaires coûtent 20% de moins à l'État, proportionnellement à sa richesse totale ». Évidemment, puisque dans le même temps les prélèvements ont augmenté, et que la croissance a généré des recettes plus grandes! Si réellement, et j'en doute, les traitements des fonctionnaires ont baissé en proportion, ce n'est donc que par l'effet de l'inflation constate des prélèvements. Les traitements des fonctionnaires représentent toujours 43.6% du budget de l'État actuellement d'ailleurs(3). 
 
Tous des privilégiés 
  
          À la question « trop nombreux? » je vous donne donc ma réponse: OUI. Passons maintenant à la question des privilèges. Et là, aveu: « Privilégiés, les fonctionnaires? Oui, mais pas tous et, surtout, pas tous de la même façon ». Eh oui, même notre sociologue l'avoue, ils ont des privilèges. Pas tous? Oui car il y a une étrange propension dans l'administration à se garder une sous main-d'oeuvre composée de CES (contrats emplois solidarité) d'emplois jeunes et autres contrats temporaires. Et encore, Pierre Boutin préfère parler d'« avantages acquis de haute lutte », plutôt que de privilèges, car ils seraient limités à quelques rares hauts fonctionnaires. Pas si rares que ça les hauts fonctionnaires d'ailleurs, et jamais personne ne les a dénombrés! Finalement, comme il n'existe rien pour justifier les privilèges, le sociologue en appelle à la comparaison public/privé, mais il se trompe puisque les footballeurs ou les stars de la chanson sont rétribués par un marché, parce qu'ils ont des talents reconnus par un grand nombre de gens. Le marché les rétribue, pas les impôts, ce qui signifie qu'ils ne décident pas eux-mêmes de leurs salaires, contrairement aux hauts fonctionnaires. 
  
          Heureusement, nos gentils fonctionnaires ont le sens du devoir: « sens du devoir [qui] pousse de nombreux fonctionnaires, enseignants, chercheurs, juges, etc., à travailler plus qu'ils ne le doivent pour assurer la qualité du service public ». Et on peut le constater tous les jours n'est-ce-pas? 
  
          Pour la fin, le plus croustillant: peureux et grévistes nos fonctionnaires? Certainement pas les forces de l'ordre ni l'armée, encore moins les pompiers qui eux agissent le plus souvent sous la protection de la police (hélas), j'en conviens volontiers. Ah j'oubliais, le calvaire des médecins « issu de la violence sociale, qu'endurent enseignants et médecins urgentistes ». Violence sociale... violence issue de la non-application de la Loi par la Police, la Justice, qui doivent passer leurs heures sup' à poursuivre les automobilistes en excès de vitesse, ou les dangereux fraudeurs au diesel domestique!  
  
          Et puis quid de l'initiative? « Il existe quantité d'agents qui entreprennent, parfois contre leur hiérarchie, parfois sans moyens. » Peut-être, il doit y en avoir tout de même. Comme cela doit être exaltant d'innover dans des structures sclérosées, sans rétribution pour l'initiative, quand ce n'est pas mal vu carrément. Améliorer un processus peut signifier qu'on se rendra compte que les emplois en trop sont... en trop! Ce qui est sûr, c'est que dans une entreprise privée l'initiative est une part essentielle du travail, l'innovation doit être constante pour les avantages qu'elle procure à une entreprise qui cherche le profit (honni). 
  
          Dernier grief des néo-libéraux: la grève. Les fonctionnaires font bien plus souvent la grève que les « privés », c'est un fait. D'ailleurs Pierre Bitoun donne même les chiffres: « Entre 1995 et 1998, un tiers de des jours de grève était le fait de la… SNCF ». Heureusement les grèves ont baissé de 3,5 millions par an à seulement 700 000. Mais s'ils font la grève, c'est « parce que la crise est plus grave dans l'administration ». Et puis si on privatise, ça va faire comme en Angleterre, les trains rouleront à l'envers et il y aura tout plein d'accidents partout. Ridicule, car il y a des accidents partout, pas seulement en Angleterre. Et ce ne sont pas des accidents socialistes quand ils arrivent en France ou en Allemagne, non? Et n'allez pas parler de service minimum: c'est une atteinte au droit de grève! Et moi qui pensait que ne pas venir au travail constituait plutôt une rupture de contrat. En tout cas, cela devrait être le cas. 
  
          Maintenant, petit exercice: imaginez donc la SNCF, France Telecom, EDF, les hôpitaux, la police (aussi), tout cela privatisé. Pensez-vous que les policiers pourraient encore sortir de leurs locaux sans gilets pare-balles? Imaginez-vous qu'un hôpital n'aie pas de scanner(4)? Que la Compagnie de chemin de fer Rhônes Alpes n'entretienne pas les voies? Impossible! Quand une entreprise a des clients, elle sait s'adapter, ses effectifs, ses méthodes, ses offres. C'est le jeu du marché que de faire émerger les structures efficientes. Un État avec des recettes garanties, que ce soit au travers de dettes ou des impôts, ne peut être efficace par nature: il n'y a aucune motivation pour les dirigeants. Les élections? elles n'y ont rien changé jusqu'à aujourd'hui, et pire encore, elles encouragent les comportements prédateurs et la constitution de clientèle. 
  
          Pour mettre fin aux privilèges, mettons fin au statut de fonctionnaires! 
  
  
1. entristés, qui pratiquent l'entrisme ou le noyautage.  >>
2. IFRAP, Institut français pour la recherche sur les administrations publiques (http://www.ifrap.org/).  >>
3. Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie (http://www.gouv.finances.fr).  >>
4. Manque criant d'IRM (imagerie par résonance magnétique) (http://www.liberation.fr/quotidien/semaine/20011017mers.html>>
  
  
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