Tous
des héros
Et il n'y va pas par quatre chemins dans ce livre (Eloge des fonctionnaires,
Editions Calmann-Lévy), qui « décrypte
un à un les moyens par lesquels les néo-libéraux organisent
le grand matraquage de la fonction publique » (dixit
tf1.fr).
Ah ces néo-libéraux, entristés partout(1),
noyautant les journaux, les télévisions, quel cauchemar!
Ils nous abreuvent de « slogans anti-fonctionnaires
». Libération, Le Monde, Télérama,
L'Humanité, tous pourris! Bon, peut-être parfois Le
Figaro et Valeurs Actuelles s'essayent à casser du fonctionnaire,
mais tout de même, on est loin, très loin du «
matraquage ».
Sept affirmations clés sont ainsi démenties: «
Trop nombreux, trop gourmands, privilégiés, protégés,
paresseux, peureux, toujours en grève ».
Trop nombreux? Quand environ 25% (et même plus (2))
de la population française travaille pour l'État, avec les
résultats misérables que l'on voit en termes de pauvreté
(toujours 13% de « pauvres »), d'illettrisme (20%
ne savent pas lire à 11ans, 40% pas compter), de criminalité
(+28% pour les 9 premiers mois de 2001 dans le métro de Paris),
de prisons pourries (dixit tous les rapports sur le sujet), alors
on peut se poser la question: leur nombre est-il proportionnel à
leur efficacité? Dans ce cas, comme une entreprise en surnombre,
n'est-ce pas la cause d'une dilution de la motivation, des responsabilités?
Pourtant Pierre Bitoun l'affirme, ils ne sont pas trop nombreux. Étant
donné le bilan dressé, c'est qu'ils ne sont pas encore assez
nombreux donc. Mais habilement, sa contre-argumentation consiste simplement
à dire que « 75% des actifs travaillent dans
le privé ». Moitié vide, moitié
plein... Il ne pose pas les vraies questions: remplissent-ils leurs missions?
Sont-ils efficaces? Sont-ils tous nécessaires (à supposer
qu'un seul le soit)? Il n'a pas non plus constaté qu'en Allemagne
seuls 17% des actifs sont fonctionnaires, et la moyenne des pays de l'OCDE
est de 15%(2).
Pourtant l'Allemagne n'est pas « ultralibérale »
à ce que je sache!
Et s'il reste encore 75% de privé en France, combien en restera-t-il
dans 20 ans? Car l'État a créé 800 000
postes en 20 ans: 40 000 par an! Et le rythme n'a pas baissé,
avec les 300 000 emplois jeunes et les 40 000
infirmières (pour l'an prochain), et bientôt les pharmaciens
(voir LES PHARMACIENS
FRANÇAIS BIENTÔT FONCTIONNARISÉS,
le QL, no 90)!! Ces emplois ont échappé
à notre sociologue qui déclare: « Depuis
un ou deux ans, il y a une levée timide du gel des emplois publics.
S'il ne faut pas négliger cette avancée. »
Une levée timide = 300 000 fonctionnaires. Dans le
même temps l'emploi privé a quasiment stagné et la
proportion de fonctionnaires a donc augmenté.
« Les footballeurs ou les stars de la chanson sont rétribués
par un marché, parce qu'ils ont des talents reconnus par un grand
nombre de gens. Le marché les rétribue, pas les impôts,
ce qui signifie qu'ils ne décident pas eux-mêmes de leurs
salaires, contrairement aux hauts fonctionnaires. » |
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Toujours sur ce sujet, Pierre Bitoun note que « les
fonctionnaires coûtent 20% de moins à l'État, proportionnellement
à sa richesse totale ». Évidemment, puisque
dans le même temps les prélèvements ont augmenté,
et que la croissance a généré des recettes plus grandes!
Si réellement, et j'en doute, les traitements des fonctionnaires
ont baissé en proportion, ce n'est donc que par l'effet de l'inflation
constate des prélèvements. Les traitements des fonctionnaires
représentent toujours 43.6% du budget de l'État actuellement
d'ailleurs(3).
Tous
des privilégiés
À la question « trop nombreux? »
je vous donne donc ma réponse: OUI. Passons maintenant à
la question des privilèges. Et là, aveu: « Privilégiés,
les fonctionnaires? Oui, mais pas tous et, surtout, pas tous de la même
façon ». Eh oui, même notre sociologue
l'avoue, ils ont des privilèges. Pas tous? Oui car il y a une étrange
propension dans l'administration à se garder une sous main-d'oeuvre
composée de CES (contrats emplois solidarité) d'emplois jeunes
et autres contrats temporaires. Et encore, Pierre Boutin préfère
parler d'« avantages acquis de haute lutte »,
plutôt que de privilèges, car ils seraient limités
à quelques rares hauts fonctionnaires. Pas si rares que ça
les hauts fonctionnaires d'ailleurs, et jamais personne ne les a dénombrés!
Finalement, comme il n'existe rien pour justifier les privilèges,
le sociologue en appelle à la comparaison public/privé, mais
il se trompe puisque les footballeurs ou les stars de la chanson sont rétribués
par un marché, parce qu'ils ont des talents reconnus par un grand
nombre de gens. Le marché les rétribue, pas les impôts,
ce qui signifie qu'ils ne décident pas eux-mêmes de leurs
salaires, contrairement aux hauts fonctionnaires.
Heureusement, nos gentils fonctionnaires ont le sens du devoir: «
sens du devoir [qui] pousse de nombreux fonctionnaires, enseignants,
chercheurs, juges, etc., à travailler plus qu'ils ne le doivent
pour assurer la qualité du service public ».
Et on peut le constater tous les jours n'est-ce-pas?
Pour la fin, le plus croustillant: peureux et grévistes nos fonctionnaires?
Certainement pas les forces de l'ordre ni l'armée, encore moins
les pompiers qui eux agissent le plus souvent sous la protection de la
police (hélas), j'en conviens volontiers. Ah j'oubliais, le calvaire
des médecins « issu de la violence sociale, qu'endurent
enseignants et médecins urgentistes ». Violence
sociale... violence issue de la non-application de la Loi par la Police,
la Justice, qui doivent passer leurs heures sup' à poursuivre les
automobilistes en excès de vitesse, ou les dangereux fraudeurs au
diesel domestique!
Et puis quid de l'initiative? « Il existe quantité
d'agents qui entreprennent, parfois contre leur hiérarchie, parfois
sans moyens. » Peut-être, il doit y en avoir tout
de même. Comme cela doit être exaltant d'innover dans des structures
sclérosées, sans rétribution pour l'initiative, quand
ce n'est pas mal vu carrément. Améliorer un processus
peut signifier qu'on se rendra compte que les emplois en trop sont...
en trop! Ce qui est sûr, c'est que dans une entreprise privée
l'initiative est une part essentielle du travail, l'innovation doit être
constante pour les avantages qu'elle procure à une entreprise qui
cherche le profit (honni).
Dernier grief des néo-libéraux: la grève. Les fonctionnaires
font bien plus souvent la grève que les « privés
», c'est un fait. D'ailleurs Pierre Bitoun donne même
les chiffres: « Entre 1995 et 1998, un tiers de des
jours de grève était le fait de la… SNCF ».
Heureusement les grèves ont baissé de 3,5 millions par an
à seulement 700 000. Mais s'ils font la grève,
c'est « parce que la crise est plus grave dans l'administration
». Et puis si on privatise, ça va faire comme en Angleterre,
les trains rouleront à l'envers et il y aura tout plein d'accidents
partout. Ridicule, car il y a des accidents partout, pas seulement en Angleterre.
Et ce ne sont pas des accidents socialistes quand ils arrivent en France
ou en Allemagne, non? Et n'allez pas parler de service minimum: c'est une
atteinte au droit de grève! Et moi qui pensait que ne pas venir
au travail constituait plutôt une rupture de contrat. En tout cas,
cela devrait être le cas.
Maintenant, petit exercice: imaginez donc la SNCF, France Telecom, EDF,
les hôpitaux, la police (aussi), tout cela privatisé. Pensez-vous
que les policiers pourraient encore sortir de leurs locaux sans gilets
pare-balles? Imaginez-vous qu'un hôpital n'aie pas de scanner(4)?
Que la Compagnie de chemin de fer Rhônes Alpes n'entretienne pas
les voies? Impossible! Quand une entreprise a des clients, elle sait s'adapter,
ses effectifs, ses méthodes, ses offres. C'est le jeu du marché
que de faire émerger les structures efficientes. Un État
avec des recettes garanties, que ce soit au travers de dettes ou des impôts,
ne peut être efficace par nature: il n'y a aucune motivation pour
les dirigeants. Les élections? elles n'y ont rien changé
jusqu'à aujourd'hui, et pire encore, elles encouragent les comportements
prédateurs et la constitution de clientèle.
Pour mettre fin aux privilèges, mettons fin au statut de fonctionnaires!
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