Montréal, 10 novembre 2001  /  No 92  
 
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Cette recension du dernier livre de Pierre Lemieux est faite par un autre coureur des bois hors-la-loi. Yvon Dionne est retraité. Économiste de formation (Université de Montréal), il a travaillé à la Banque du Canada (11 ans) puis pour « notre » État du Québec (beaucoup trop longtemps: 20 ans). On peut lire ses textes sur sa page personnelle.
 
 
 
 
 
 
 
Confessions d'un coureur des bois hors-la-loi, Pierre Lemieux, Montréal, Éditions Varia,  2001, 156 p. 
 
 
 
CE QUE J'EN PENSE
 
LA DÉSOBÉISSANCE CIVILE, YES SIR!
 
par Yvon Dionne
 
  
          À la lecture de cette parution récente de Pierre Lemieux, j'ai constaté que nous avions beaucoup en commun. Bien sûr nous avons tous les deux une Remington 30-06 et une arme qui a été prohibée par diktat des statocrates(1) mais il y a plus. Lemieux a été hors-la-loi; je dis « a été » car le « permis de merde », comme il dit, il l'a reçu le 13 août soit six semaines après avoir expédié les formulaires requis (un exercice humiliant à répéter à tous les cinq ans auquel nous nous soumettons tous les deux depuis 1977); moi j'attends toujours, après sept mois. Je suis hors-la-loi depuis le 30 mai, n'ayant aucun papier pour démontrer que j'ai le droit, selon leur loi, de circuler en forêt avec une arme de chasse(2). Nous serions une centaine de milliers au Québec, sans compter les vrais criminels qui eux, bien sûr, ne commettront jamais un crime avec une arme enregistrée en leur nom. 
   
          Pourtant Pierre a contesté, s'est opposé ouvertement à certaines questions, alors que moi j'ai été docile, me disant qu'il vaut peut-être mieux m'écraser... pour éviter les emmerdements, ayant l'habitude de me comporter comme un citoyen respectueux des lois même quand ces lois sont stupides (j'aurais même un « beau dossier » selon un porte-parole de la Sûreté du Québec que j'ai rejoint au Centre canadien des armes à feu). Pierre écrit pourtant dans son livre: « Comme tout le monde s'écrase, la violence de l'État passe inaperçue. » Il dit même que la loi n'est pas le droit et il qualifie les policiers de « flics »! Il dit aussi que nous faisons le jeu des statocrates en ne résistant pas à leurs lois liberticides. En lisant son livre il me semblait comparaître devant saint Pierre ... Lemieux qui me demandait, d'un ton accusateur: « As-tu résisté? » (Il y a d'ailleurs un chapitre sur le passage d'un criminel au paradis.)  
  
          « On exagère à peine en disant que le Québécois a conservé du Canadien français tout ce qu'il eût fallu rejeter et qu'il en a rejeté tout ce qui valait la peine d'être conservé. »  
  
          Ce livre est celui d'un coureur des bois. L'expression nous vient du régime français. Elle prend aujourd'hui une signification élargie à tous ceux qui aiment, écrit Lemieux, « les grands espaces, l'aventure, l'individualisme sauvage et la liberté ». Lemieux a choisi de vivre en milieu forestier, au nord d'une réserve faunique où j'allais souvent à la pêche et à la chasse quand j'étais à Ottawa. « Bien que l'État est maintenant partout, j'ai voulu un endroit où on le voit le moins possible, où on ne me rappelle pas sans cesse ma servitude. »
 
          On se plaît à dénoncer, dans certains milieux, le cléricalisme et la « grande noirceur » d'il y a quarante ans. Effectivement, l'Église a longtemps contrôlé la pensée et s'opposait au libéralisme sous toutes ses formes; son contrôle s'étendait à toutes les sphères de la société, principalement à l'éducation, le moyen privilégié de conditionnement (je conserve néanmoins un bon souvenir des religieux qui m'ont enseigné). Dans les autres domaines, nous étions plus libres qu'aujourd'hui. En tout cas il n'y avait pas de loi pour nous envoyer en enfer. Par contre la Révolution tranquille, que Lemieux appelle la tyrannie tranquille, a fait le mauvais choix, comme d'ailleurs toutes les sociétés occidentales (ce n'est donc pas un particularisme du soi-disant modèle québécois), d'un État qui conditionne la population à dépendre de lui, qui réglemente de plus en plus les comportements et qui limite les possibilités de choix dans tous les domaines qu'il contrôle en éliminant la concurrence.
 
          Les deux régimes, dit Lemieux, se caractérisent par une grande frayeur: dans un cas c'est la peur du diable (même si l'Église se chargeait souvent de nous faire payer ici-bas), dans l'autre c'est celle de la loi (nombreux permis, amendes, et la prison si vous résistez jusqu'au bout). L'un ou l'autre, ce n'est pas marrant. Les policiers en soutane, au moins on pouvait en rire. On nous enseignait que l'autorité venait de Dieu, de rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. Si on est athée, on n'a rien à rendre à Dieu, même pas la dîme; quant à César, ce qu'il a vient de nous et il le prend de force; il était moins sangsue il y a quarante ans. 
  
La montée de la réglementation de la vie 
  
           Il était révélateur (quand on comprend la novlangue) d'entendre la ministre fédérale de la Justice Anne McLellan se portant à la défense de sa loi antiterroriste parler d'un « équilibre entre la sécurité et la liberté » et tricoter des arguties sur le sujet. En réalité, le gouvernement a profité des événements du 11 septembre pour nous taper encore sur la tête et plusieurs dispositions de cette loi avaient été préparées longtemps à l'avance (comme la surveillance d'internet). 
  
          Elle administre aussi la loi sur les armes à feu, l'ayant héritée de son auteur Allan Heil! Rock. Cette loi n'est qu'un des nombreux champs où l'État intervient au nom d'une mission sanitaire afin de réduire les risques, qu'il souhaite à zéro, sans égards aux coûts, de tout ce qui comporte un danger réel ou présumé pour la santé et la sécurité. « Nous sommes entrés dans l'ère de l'État sanitaire, qui guérit mais, surtout, qui prévient le mal et redresse les idées. » C'est le « grand lavage étatiste de cerveau ». 
  
          Armes à feu, alcool, tabac, internet, aux douanes où l'on vous demande où vous êtes allés à votre retour au Canada, casques à vélo, embarcations de plaisance, médicaments, dossiers médicaux, tout y passe. Dès le bas âge, les enfants sont placés en garderie. Il n'y manque qu'un tamisage de ceux qui seraient appelés à procréer, via un permis de parent. C'est une renaissance de l'eugénisme qui, ayant cours au début du XXe siècle dans plusieurs pays, avait inspiré le régime nazi. 
  
          Nous avons été conditionnés à obéir aux décisions qui viennent de haut. La publicité gouvernementale claironne à tous vents que l'État veut notre bien et que les législateurs travaillent pour le bien commun. Les lois jouissent donc au départ d'un préjugé favorable que l'État exploite à fond. Les individus étant habitués à saliver aux solutions collectives, l'esprit critique est neutralisé. Pour vaincre l'opposition le conditionnement se fait souvent par étapes. Par exemple, la carte d'identité n'est pas encore obligatoire mais le directeur de l'état civil (celui qui a émis de faux actes de naissance à des terroristes) l'émet déjà sur une base volontaire. De plus, comme les lois ne donnent jamais les résultats attendus par les statocrates, elles sont continuellement amendées et généralement les contrôles sont resserrés. C'est ce qui s'est produit avec le contrôle des armes à feu. 
  
          Nous pouvons bien sûr protester, résister, mais les moyens à notre disposition sont disproportionnés par rapport à ceux des statocrates qui puisent à volonté dans l'argent des contribuables. « On sera en principe protégé contre tout, sauf contre la tyrannie administrative », et les criminels. 
  
Une loi scélérate  
  
          Les lois prohibitionnistes produisent toujours l'effet contraire qu'elles recherchent. Elles augmentent la criminalité au lieu de la réduire. Elles font souvent de citoyens honnêtes des hors-la-loi en les assommant d'interdictions. C'est le cas de la loi sur les armes à feu. 
  
          La loi de 1995 sur les armes à feu élargit l'ancienne autorisation d'acquisition (AAAF) de 1977 à tous les propriétaires d'armes à feu (même au vieux fusil du grand-père) et impose l'enregistrement de toutes les armes, enregistrement qui ne s'appliquait qu'aux armes de poing (revolvers, pistolets) et en général à toutes les armes dites à autorisation restreinte. Toutes les dispositions de contrôle des armes de poing s'appliquent désormais aux armes de chasse, sauf que les premières ne peuvent être utilisées que pour se rendre à un club de tir approuvé par la police. 
  
          La brochure de Guy Chevrette sur les règlements de la chasse pour 2001/2002 contient un résumé de la législation fédérale sur les armes de chasse. Cette loi fédérale a été appuyée par le Parti québécois et le Bloc québécois (par Pierrette Venne en particulier). Après vérification auprès d'un agent de la faune, ceux-ci n'auraient pas le mandat, pour l'instant du moins, (au gouvernement il faut un mandat pour faire quelque chose) d'appliquer la loi fédérale. C'est la Sûreté du Québec qui l'a. Qu'ils chassent ou non sur un terrain privé, les chasseurs doivent avoir en leur possession leur permis d'armes à feu et le certificat d'enregistrement des armes qu'ils transportent, en plus bien sûr de leur certificat de chasseur, du permis de chasse et de leur permis de conduire... 
 
     « Nous avons été conditionnés à obéir aux décisions qui viennent de haut. Les lois jouissent au départ d'un préjugé favorable que l'État exploite à fond. Les individus étant habitués à saliver aux solutions collectives, l'esprit critique est neutralisé. »
  
          J'ai trouvé dans mes filières un article de Pierre publié dans Le Devoir le 2 septembre 1992: « Le port d'armes, un droit fondamental » (on peut le lire sur son site). Le Devoir a fait paraître le 16 du même mois une pleine page de textes qu'il a intitulés « Le port d'armes, droit ou nuisance ». Il y avait entre autres cet article de Mme Heidi Rathjen, de la Coalition (subventionnée) pour le contrôle des armes, où elle dit que, contrairement aux armes à feu, « le domaine de l'automobile est très sévèrement légiféré ». Rien de plus inexact. Notons que cet argument a souvent été utilisé pour justifier la loi de 1995 et son passage en douce. 
  
          1) Outre que les cours de conduite automobile ne sont même plus obligatoires au Québec, le renouvellement du permis de conduire est presque automatique. Vous n'avez pas à remplir à tous les cinq ans un long questionnaire qui vous demande, par exemple, si vous avez perdu votre emploi et qui exige que deux personnes attestent que vous dites la vérité; 
  
          2) L'immatriculation d'une automobile (achat, vente ou renouvellement) est relativement aisée et rapide. En fait, l'immatriculation et le permis servent principalement à lever des taxes; 
  
          3) Vous n'êtes pas passible d'emprisonnement si une automobile est garée dans votre cour pour « remisage » (ce qui implique que vous pouvez la déplacer sur un terrain privé). Par contre la possession d'une arme non enregistrée exclut le droit l'usage à son domicile à des fins de protection personnelle ou pour la chasse sur votre terrain et est passible de dix ans. 
  
          4) Sauf pour les automobiles ayant servi à perpétrer des actes criminels il n'y a pas de confiscation sans compensation. Les armes à feu peuvent être confisquées, et tous les permis avec, si la police croit qu'il y a des motifs raisonnables de croire que vous êtes coupable d'un délit (si vous avez un visiteur qui vous dénonce parce qu'il a vu une arme qui n'était pas entreposée ou rendue inopérante, c'est un délit!). 
  
          5) Au contraire d'une arme à feu, ce n'est pas un crime passible d'emprisonnement si vous ne rangez pas votre automobile dans un garage où tous les accès sont verrouillés. Deux ans selon l'article 86 du Code criminel! 
  
          6) La police ne téléphone pas à vos voisins pour savoir si vous prenez de l'alcool au volant même si Guy Chevrette encourage la délation. Etc. Etc. 
  
          Mon expérience des contrôles relatifs aux armes de poing m'oblige à conclure, à l'instar de Pierre Lemieux, qu'il y aura une diminution significative du nombre de chasseurs sans que cela affecte les criminels. De plus, le braconnage pourrait s'accroître. Comme la faune n'appartient à personne, puisqu'elle appartient à tous, le chasseur qui n'aura pas obtenu du souverain – l'État – le privilège de chasser n'aura d'autre voie que de braconner. 
  
          Ces restrictions, écrit Lemieux, « donneront le coup de grâce à ce qui restait de l'esprit de coureur des bois du Canadien français ». 
   
« Il faut empêcher que ce pays ne poursuive sa dérive vers un monde comme celui du Prisonnier. »(3)   
  
          Pour ce qui est de l'avenir, Pierre écrit que le scénario le plus probable « est la continuation de ce qui se passe présentement ». Il est probable aussi que les contrôles deviendront encore plus restrictifs (types d'armes, entreposage). Je me suis fait dire récemment que je pourrais me satisfaire d'un arc, puisque je tire à l'arc, ou à la limite, a ajouté ce correspondant, d'une 303 British (un calibre désuet de la 1ère guerre mondiale).  
  
          Cette loi a été concoctée par de petits groupes (directeurs de police, activistes, politiciens) qui ont exploité la tragédie de l'École polytechnique de décembre 1989. Les coûts d'implantation atteignent déjà 600 millions $ et pourraient doubler avec l'enregistrement des armes de chasse. Selon la théorie économique(4) le coût assumé par tous est minime par rapport aux coûts assumés par la minorité (quoique importante) des propriétaires d'armes à feu et par rapport aux bénéfices reçus par les défenseurs des contrôles (satisfaction idéologique des politiciens et des étatistes, budgets accrus à la GRC et à la SQ). La majorité de la population assiste ainsi béatement aux difficultés imposées à la pratique d'un sport.  
  
          Il est aussi possible qu'il y ait une révolte de quelques individus, révolte qui pourrait se manifester de façon brutale. Peut-on présumer de la réaction docile d'un chasseur à qui un agent de la SQ demande des papiers qu'il n'a pas? S'il a une arme sans permis il pourrait passer dix ans en tôle. Quelle serait la réaction d'un individu révolté de tant de contrôles si des policiers frappaient à sa porte pour fouiller son domicile (le refus de produire les permis implique la saisie immédiate: art. 117.03 du Code criminel)? Imaginons le pire. Et là la chorale des étatistes va réclamer que l'on assaille de nouveau tous les criminels potentiels d'interdits encore plus draconiens. Pourtant, c'est leur loi qui aura incité ces gens à réagir violemment.  
  
          Reste la désobéissance civile de milliers de chasseurs qui mettraient du gravier dans l'engrenage du concasseur des statocrates. Un exemple: nous avons jusqu'au 1er janvier 2003 pour enregistrer toutes les armes de chasse. Il suffit d'attendre à la dernière minute pour engorger leur système. De plus, le marché pour les armes enregistrées risque d'être de plus en plus restreint et il y aura moins d'acheteurs que de vendeurs. Pierre n'en parle pas mais j'estime qu'il pourrait y avoir un marché noir florissant pour les armes de chasse.  
  
          Thomas Paine(5) disait en 1776 que le rôle de l'État, faute de ne pas avoir d'État, est de protéger la liberté des individus; cependant, il ajoutait que l'État « qui par sa forme paraît le plus propre à assurer cette sécurité, avec le moins de dépenses et le plus d'avantages, est préférable à tous les autres. » Force est de constater que nous sommes maintenant loin du compte. Nos Fils de la liberté auraient beaucoup de travail aujourd'hui. Si Paine vivait, il écrirait probablement un autre Common Sense pour dénoncer l'État de Jean Chrétien et de Bernard Landry.   
   
          Le livre de Pierre Lemieux va dans ce sens. « Menons une guérilla philosophique, administrative et électronique incessante. » N'oublions pas que si le régime étatiste dans lequel nous surnageons ne s'effondre pas comme les régimes communistes, c'est qu'ici nous avons au moins une apparence de démocratie et qu'il y a un secteur privé et des individus qui parviennent encore à le faire vivre. 
 
 
1. Le mot statocrate n'est pas encore au dictionnaire mais Bertrand de Jouvenel l'emploie dans Du Pouvoir, écrit en 1945.  >>
2. Pour le principe, j'ai bien l'intention d'exiger un remboursement pour ces sept mois ou plus.  >>
3. C'est l'excellente série télévisée d'il y a plusieurs années The Prisoner de Patrick McGoohan.  >>
4. Pour une étude économique sur le contrôle des armes à feu voir Gary Mauser: Misfire: Firearm Registration in Canada, sur le site de l'Institut Fraser>>
5. Thomas Paine, Common Sense. La version française Le Sens commun a été publiée chez Septentrion en 1995.  >>
 
 
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