Ce qu'il y a de plus pernicieux dans l'économisme ne se situe pas
dans le développement de la sphère des échanges; c'est
plutôt l'instrumentalisation et la manipulation de l'économie
par le pouvoir. Les taux de croissance globaux, les indices du coût
de la vie ou autre taux d'inflation, les grands agrégats macro-économiques
sont des créations statistiques au service de l'interventionnisme
économique. Ces données statistiques, qui forment une sorte
de « tableau de bord » au service
de la conduite de la politique économique, contribuent à
donner une image mécanique et inhumaine de l'économie qui
ne reflète que très partiellement la réalité
économique.
Quand le ministre français de l'Économie et des Finances,
M. Laurent Fabius, assure que les « fondamentaux
» de l'économie française sont bons, on ne peut
s'empêcher de se demander de quels fondamentaux il est question à
ses yeux; car les mêmes experts officiels nous prédisaient,
il y a peine un an, une croissance retrouvée pour au moins deux
décennies qui nous conduirait inéluctablement au plein emploi
et permettrait ainsi de maintenir le système de retraite par répartition.
Le
choix humain
Le véritable objet de la connaissance économique n'est pas
dans l'élaboration d'une panoplie de statistiques officielles plus
souvent flatteuses, par construction, qu'objectives; le véritable
objet de la science économique, c'est le choix humain. La science
économique est une science du comportement humain, et du comportement
dans ce qu'il a de typiquement humain: la prise de décision. Or,
nous ne prenons pas de décisions en fonction d'agrégats artificiels
ou en fonction d'injonctions gouvernementales maquillées en «
patriotisme économique »; si nous agissons
rationnellement, nous prenons nos décisions en fonction de nos données
et perceptions individuelles qui sont les préférences et
les contraintes de temps et de revenu.
Ainsi, le coût de la vie est une appréciation subjective liée
à nos choix individuels de consommation et l'estimation du coût
de la vie n'est certainement pas la même pour un grand fumeur et
pour un ascète. Cependant, pour produire une mesure officielle du
taux d'inflation, on retiendra le coût du panier de bien d'un «
ménage représentatif » défini
selon des conventions nécessairement arbitraires. Mais, le ménage
représentatif n'existe pas alors qu'un ménage réel
ne prend pas de décision en fonction du taux d'inflation officiel
mais de son taux d'inflation subjectivement perçu.
« Les hommes ne sont pas des êtres infaillibles et omniscients
mais ils retirent des leçons de l'expérience, à condition
d'être en situation de faire des choix, c'est-à-dire à
condition d'être libres. » |
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La déviation de l'économie en économisme est une manifestation
du constructivisme qui veut que les hommes et femmes politiques aient la
prétention de produire de l'emploi, du social, de la solidarité,
de la culture et, pourquoi pas, du bonheur! Les statistiques officielles
vont alors mesurer cette production, évaluer le moral des Français
et photographier « l'opinion publique ».
Mais, il en est de l'opinion comme de la propriété: seuls
les individus sont de nature à avoir et exprimer une opinion, qui
ne peut qu'être privée. L'opinion publique ainsi fabriquée
devient une sorte de pensée officielle qui se substitue aux consciences
personnelles et libres. Dans cette logique implacable, la responsabilité
collective évince progressivement la responsabilité individuelle.
Or, l'économie ne peut que tomber en panne lorsqu'il y a défaut
de décisions individuelles. L'économie ne peut fonctionner
dans l'indécision généralisée car elle suppose
une prise de risque, donc une prise de responsabilité, et seuls
les individus sont de nature à agir et à assumer les risques.
Le principe de précaution par exemple, lorsqu'il est poussé
à son extrême, cultive l'illusion du « risque
zéro ». Mais, sous le prétexte de protéger
les individus d'eux-mêmes, l'État détruit en même
temps ce qui fait l'identité, la spécificité et la
dignité des personnes: leur aptitude (qui doit être développée
à l'école) à faire des choix et à assumer les
conséquences de leurs propres actes. Le « risque
zéro » entraîne la « responsabilité
zéro »; et l'empire de la responsabilité
collective l'emporte peu à peu sur le domaine de la responsabilité
privée.
Processus
d'essais/erreurs
Désormais, les individus attendent non seulement l'autorisation
de l'État et de ses administrations pour nombres d'actes «
économiques »(1),
mais, ils voudraient que l'État décide à leur place
puisqu'il a la prétention de « penser »
à leur place. Ils préfèrent l'assistance administrative
à la trop fameuse « dictature du marché
». Car, le marché existe à partir du moment
où la concurrence existe et lorsque concurrence il y a, le consommateur
se trouve devant la nécessité – l'embarras? – de choisir.
Assurément, le choix entraîne le doute, c'est-à-dire
la crainte de faire le mauvais choix. Avant la libéralisation des
télécommunications, certains experts nous expliquaient que
les gens seraient perdus devant la multiplicité des offres et des
tarifs. Autant de prétextes incongrus pour éviter la libéralisation
et la fin des monopoles qu'elle implique. Cet argument pourrait s'appliquer
dans le domaine éducatif ou de la santé où l'on ne
veut pas rendre la liberté de choisir aux citoyens sous le fallacieux
prétexte de les protéger d'eux-mêmes.
Cependant, les hommes grandissent en faisant des choix. Certes, l'erreur
est humaine comme le choix qui est typiquement humain car la possibilité
d'erreur existe justement du fait de l'existence du choix. C'est justement
pour cette raison que les hommes apprennent et s'adaptent à travers
leurs différents choix qui s'inscrivent dans un processus continuels
d'essais et d'erreurs. Là est le propre de la rationalité
humaine: les hommes ne sont pas des êtres infaillibles et omniscients
mais ils retirent des leçons de l'expérience, à condition
d'être en situation de faire des choix, c'est-à-dire à
condition d'être libres. Cet apprentissage constant est au coeur
du principe de concurrence et est à l'origine de l'amélioration
progressive de la connaissance, des sciences et des techniques et l'affinement
des choix. C'est pourquoi des économistes comme Friedrich Hayek
ou Gary Becker préfèrent définir la concurrence comme
un « processus de découverte
» (Hayek) ou un « principe d'amélioration
» (Becker) plutôt que comme un système de «
lutte pour la survie ».
Si, par un usage abusif du principe de précaution, on en vient à
étendre le domaine de la réglementation et de la bureaucratie,
alors on finira par neutraliser ce processus de découverte et les
hommes n'auront plus l'occasion ni de choisir et ni de prendre des risques.
Ils perdront ainsi la capacité d'apprendre et donc d'évoluer
mais ils prendront, en même temps, le plus grand des risques en s'en
remettant à un État tout-puissant lequel reste géré
et piloté, en dernière instance, par des hommes et des femmes
susceptibles eux aussi de se tromper. Et comme les bureaucrates et les
dirigeants n'assument pas les conséquences de leurs actes, ils sont
susceptibles de se tromper souvent. Or, à la différence des
choix privés qui n'engagent que leurs auteurs, les choix publics
engagent généralement toute la nation(2).
Ce sont toujours les citoyens et les contribuables qui font les frais des
mauvais choix des dirigeants politiques, comme l'a illustré la trop
fameuse affaire du Crédit Lyonnais en France.
1.
Si l'on peut, en théorie pure, définir et isoler un acte
économique, force est de reconnaître que, dans la pratique,
toutes nos décisions ont un caractère économique sans
qu'elles se réduisent dans le même temps à cette seule
dimension. Ainsi, nos décisions en matière alimentaire ont
certainement une dimension économique mais elles reflètent
aussi des choix socioculturels ou autres. >> |
2.
Ainsi, l'État français ne croyait pas, dans les années
1970, au développement de la micro-informatique et n'a pas cru bon
de s'intéresser à ce secteur alors que certaines entreprises
françaises étaient en pointe à l'époque. Certes,
IBM ne croyait pas non plus à l'avenir du micro-ordinateur mais
a été forcé de s'adapter rapidement aux évolutions
du marché informatique sous peine de disparaître. Voir Caccomo
J.L., Les défis économiques de l'information – La numérisation,
L'Harmattan, Paris, 1996. >> |
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