Montréal, 24 novembre 2001  /  No 93  
 
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Hervé Duray est étudiant à l'École Supérieure de Commerce de Grenoble et tient La Page libérale, un site dédié au commentaire des informations sous un angle libéral.
 
LA PAGE LIBÉRALE
 
DEUX SCÉNARIOS POUR LA FRANCE
À L'HORIZON DE 2020
(première partie)
 
par Hervé Duray
  
  
          Je vais vous donner deux scénarios de ma vision toute personnelle de la France à horizon de 20 ou 30 ans. L'un dans lequel rien n'est fait pour mettre fin à la dérive étatiste que nous vivons depuis des décennies et un autre dans lequel la France connaît un tournant libéral. À vous de choisir lequel est préférable et lequel est le plus probable. Et rappelez vous: il y a des élections dans peu de temps!
 
          Dans cette première partie, je vais d'abord m'attacher à décrire un peu la situation actuelle. Une fois posées les bases, il est ainsi facile d'extrapoler, en s'aidant de ce que l'on voit ailleurs et d'un peu de théorie libertarienne. Puis je spéculerai sur la situation en France en 2020 si rien n'est fait. La deuxième partie offrira un scénario plus optimiste. 
  
Le cadre indépassable du socialisme 
  
          Dans les années 1940, dans la droite ligne du gouvernement de « Front populaire », Vichy a étendu ou promulgué tout un ensemble de lois qui aujourd'hui encore constituent le cadre indépassable sur nombre de sujets économiques. On compte notamment la retraite par répartition, des nationalisations, le contrôle du système bancaire... En 1945, le fameux De Gaulle, adulé par certains, a laissé au pouvoir le parti communiste: les lois encerclant la libre entreprise se sont donc faites plus nombreuses, le pouvoir des syndicats a augmenté et la gestion paritaire a été inventée. 
  
          Gestion paritaire? Mais quelle est cette chose étrange? Tout simplement que les syndicats cogèrent avec le patronat, dans la grande tradition de la lutte des classes, les organismes publics de Sécurité Sociale et afférents: retraites, maladies, allocations familiales. Parallèlement, Électricité de France (EDF), la Société nationale des chemins de fer (SNCF) et d'autres grandes entreprises ont été nationalisées: expropriation et contrôle d'État! 
  
          Les années 50 et 60 n'ont rien arrangé: la « modernisation » de la France par De Gaulle a résulté en toujours plus de contrôles sur l'économie, l'invention d'une commission du Plan, qui existe toujours, bref en toujours plus de catastrophes étatistes. La grande prospérité de l'époque tient au fait que la relative liberté économique permettait tout de même aux entrepreneurs de travailler. Cette prospérité s'est concrétisée dans le baby-boom, véritable étalage de la confiance et de la joie de vivre de l'époque, loin des clichés gauchistes sur « la France qui s'ennuyait ». 
  
          Les années 70 et 80 ont vu malheureusement la croissance s'effondrer. Le remède? Plus d'État évidemment! D'où des dépenses de l'État en perpétuelle hausse et des impôts... toujours en hausse! Les années 80 ont vu le summum de la catastrophe avec le grand virage, style « grand bon en avant » maoïste, de Mitterrand. Sous la pression internationale des secteurs ont tout de même été relativement libéralisés (banques et assurances). 
  
          La fin des années 80 et les années 90 ont connu cette évolution ambiguë: la pression internationale accrue ne permet pas au gouvernement de tout régir comme il l'entendrait, et ouvre des brèches dans l'étatisme. Pourtant entre Balladur qui double la dette de l'État en deux ans et Lionel « 35h emplois jeunes » Jospin, la France reste le pays du socialisme appliqué. 
  
          Avec le mouvement continu de restriction des libertés économiques, la mainmise sur l'école a aussi permis aux socialistes de gagner idéologiquement: non seulement les crimes communistes sont passés sous silence, en tout cas sont bien moins étudiés que ceux du national-socialisme, mais l'école sert de relais pour inculquer des valeurs de « solidarité », de « tolérance », tout ce qui compose le vague concept de « citoyenneté républicaine ». D'autre part, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), les législations sur les quotas d'oeuvres françaises, sur la durée des publicités, sur les abattements fiscaux pour les journalistes, les publicités des organismes d'État, permettent de contrôler de façon efficace les médias. Lisez Le Monde et regardez France2: la voix de son maître! 
  
          Un problème nouveau et très inquiétant s'est révélé dans toute son ampleur dans les années 90: les Français ne vivent plus en sécurité. L'explosion de la criminalité dans les banlieues « difficiles » a fini par se répandre partout, faisant de la vie de millions de personnes un calvaire quotidien. Quelques chiffres? Entre 1950 et 2000, pour une population sensiblement égale, il y a eu 8 fois plus de plaintes déposées. 4 millions l'an dernier! Ce chiffre serait à multiplier par deux ou trois, voire quatre, pour avoir une vue réelle de l'insécurité car nombre de plaintes ne sont même pas reçues par les commissariats. L'année dernière, il y aurait eu quelque 400 000 blessures, y compris bénignes, liés à des agressions. 
  
          Cette criminalité à croissance exponentielle utilise aussi de nouveaux moyens: l'AK47 est en train de devenir une arme courante, alors que se multiplient les cas de saisies de lance-roquettes. Dernièrement, ce sont des lunettes de visée, donc pour des armes de tireur d'élite, qui ont été saisies à la Courneuve. La barrière entre criminalité et pseudo-terrorisme ou même guerre urbaine est vite franchie il est vrai... 
  
          Le paysage politique français n'a globalement pas changé en 20 ans, et les élections présidentielles de 2002 devraient encore le démontrer, en se résumant à un duel Jospin/Chirac. 
  
          Un seul candidat sort du lot: Alain Madelin. Je ne voudrais pas faire de propagande politique, mais il a tenu des propos nettement plus acceptables à mes yeux que tout autre homme politique. Il a des valeurs et les assume, comme quand il parle de libéraliser les drogues. Toutefois les hommes de son parti ne sont pas dans la ligne de Madelin: le discours général de Démocratie Libérale m'apparaît assez brouillé, et les déclarations de barons du parti sont souvent très loin du libéralisme. On ne peut donc espérer de changement de politique en France dans les 5 ou 10 prochaines années. 
  
          Le bilan est bien sombre, je vous l'accorde. Il faudrait le nuancer par la modernisation économique de la France qui continue, par la force des entreprises, mais au prix d'un chômage élevé étant donné les coûts salariaux astronomiques. Il faudrait aussi ajouter une semi-prise de conscience dans la population, car l'insécurité touche tout le monde, sauf quelques politiciens de toute façon surprotégés par leurs gardes du corps et voitures blindées. 
  
  
  
  
          Nous sommes donc en 2020 et la France a continué sur cet élan socialiste. Qu'est-il arrivé? Faisons un peu de politique-fiction. 
  
Les retraites 
  
          À chaque échéance électorale, le problème des retraites a été soigneusement évité par les camps en présence, trop soucieux d'ouvrir un dossier que chacun sait explosif. Tout au plus un rapport vient souligner l'urgence de la réforme de temps à autre, mais aucun gouvernement n'a eu le courage politique de dire la vérité: les retraites ne pourront être versées intégralement. Le système par répartition repose uniquement sur le renouvellement des générations; dès lors qu'il n'est plus assuré, il s'écroule. Et depuis 1970 les naissances se sont effondrées. 
  
     « La loi de 2012 sur le service économique oblige pourtant quiconque ayant reçu une instruction publique gratuite à travailler 10 ans en France pour rembourser sa "dette" envers l'État. Bien sûr, la dette peut être "rachetée", au prix de l'année scolaire. »
 
          Les solutions: couper les retraites ou augmenter considérablement les impôts sur les actifs. La France étant une démocratie, c'est la loi du plus nombreux qui prévaut. Et justement, la démographie ne favorise pas les actifs: la population vieillit très vite, même si une partie du vieillissement est compensé par la vigoureuse natalité des populations immigrées. Le rapport de force politique s'inverse donc très vite et si dans les années 1990 à 2010 les retraites ont été rognées, maintenant ce sont les actifs qui supportent la charge fiscale. Les impôts sur le travail augmentent: de 7 actifs par retraité, le ratio passe à 2 pour 1. Les cotisations retraites représentent 35% du salaire brut. 
  
          Conséquence: les Français entre 20 et 50 ans voient leur niveau de vie baisser d'année en année, et à mesure que la retraite s'approche, les plus de 50 ans voient bien qu'elles ne pourront être versées par l'État. Mais ils ne peuvent pas non plus épargner car les salaires ne le permettent plus! 
  
          Le taux de chômage n'a globalement pas augmenté malgré cela: toujours proche des 10%, avec des pointes à 12 et des creux à 9. Il faut dire qu'avec l'exemple venu d'en haut, il n'est pas rare que les boulangeries soient « municipales » ou qu'un magasin fasse partie de la « coopérative du conseil régional ». L'agriculture aussi a emboîté le pas: après les demandes de subventions répétées, comme le secteur de la santé, ils ont fini par se dire qu'un revenu fixe valait mieux que tant de travail pour si peu de résultats: ils ont donc décidé de devenir fonctionnaires salariés. Ils sont responsables du cadre de vie environnemental, aménageurs du territoire ou régulateurs de la faune (la chasse a été interdite). Le pourcentage de fonctionnaires dans la population frise les 40% en 2020, mais officieusement il serait déjà proche de 50% en comptant les activités « semi-publiques ». 
  
Une minorité d'actifs nourrit la population 
  
          Les actifs productifs, créateurs de richesses sont donc confrontés à d'énormes problèmes: l'État leur fait très souvent une concurrence déloyale, bien que de mauvaise qualité, leurs bénéfices sont saisis pour combler les trous des « concurrents », alors que leurs maigres salaires partent payer les salaires des fonctionnaires et des retraités. En 2020, il y a en France 1 actif productif pour 5 (1 actif doit faire vivre 5 personnes), contre 1 pour 4 en l'an 2000. Au même moment, le taux est de 1 pour 2 aux États-Unis, stable sur la période. On comprend dans ce cas que les créations d'entreprises se font de plus en rares... d'autant plus que le financement est difficile à assurer.  
  
          Les perspectives économiques étant mauvaises en France même, les personnes de moins de 35 ans cherchent désespérément à partir à l'étranger. La loi de 2012 sur le service économique oblige pourtant quiconque ayant reçu une instruction publique gratuite à travailler 10 ans en France pour rembourser sa « dette » envers l'État. Bien sûr, la dette peut être « rachetée », au prix de l'année scolaire. 
  
          Les écoles privées n'existent d'ailleurs plus suite à la loi About-Picard de 2001 sur les sectes, et surtout après qu'un incendie ait tué 10 élèves dans une école catholique en 2009. Puisque les écoles privées font passer le profit avant même la sécurité des élèves, l'État devait forcément reprendre en main la situation, ce qui fut immédiatement fait. 
  
Les élites s'en vont 
  
          Les plus instruits partent donc, sans espoir de retour, car rentrer signifie devoir faire face à la dette. Ils préfèrent partir et aider leurs parents dans le besoin en France, voire même les faire partir aussi... Ceux qui restent trouvent bien évidemment des postes très élevés dans l'administration ou les entreprises. Malgré cela, les salaires réels n'augmentent pas car la progressivité des impôts a été accentuée. 
  
          Les difficultés d'embauche dans les entreprises relancent aussi l'immigration, mais le niveau de l'encadrement baisse constamment. Les entreprises voient de nombreux problèmes s'accumuler pour les cadres restant, surchargés de travail. Pour eux, les 35 heures ressemblent à une douce rigolade, et les 30 heures dans l'administration leur donnent des nausées de dégoût. 
  
          N'ayant plus ni ingénieurs ni financiers, beaucoup d'entreprises font appel à des consultants forcément extrêmement onéreux puisque très recherchés, ce qui dégrade encore un peu plus leurs marges. D'ailleurs, les métiers techniques ne sont plus enseignés dans les universités où une large part est donnée aux fonctions citoyennes hors marché: aide sociale, éducateur, pour ensuite travailler dans les plans « emplois-jeunes » II et III et IVe du nom. 
  
L'immigration comme solution? 
  
          L'autre nouvelle force électorale, avec les retraités, sera bien évidemment les immigrés. Ainsi, la politique française est nettement marquée à gauche. Devant cet afflux pourtant, une partie de la droite se radicalise autour de thèmes anti-immigration, certains faisant remarquer qu'avoir mis l'arabe comme langue officielle aux cotés du français dans certains départements (en plus de Paris, Marseille, Lyon, Lille) ne permet plus aucune assimilation. Heureusement ces dangereux fascistes sont soigneusement muselés par la loi Gayssot 2: elle interdit de parler de l'immigration en politique, car laisser entendre que l'immigration pourrait être liée à des problèmes de sécurité est un catalyseur pour le racisme. 
  
          De toute façon il y a bien longtemps que la citoyenneté a remplacé la nationalité, et désormais les Français « nationaux » sont des « citoyens » au même titre que les Guatémaltèques ou les Hongrois en France. Pour mémoire, les premiers étrangers à avoir le droit de vote furent les résidents parisiens en 2005, lors de la réélection de Delanöé, sur recommandation de sa commission sur la citoyenneté des extra-communautaires (créée fin 2001). Seule l'armée est réservée aux Français nationaux, la Légion étrangère étant chargée fort heureusement d'accueillir les étrangers. 
  
          À la télévision, les économistes officiels s'occupent de faire régner l'ordre intellectuel, au cri de « c'est notre seule chance de payer les retraites ». Avec de tels raisonnements, les étrangers qui étaient environ 10% de la population française en l'an 2000, sont passés à plus de 20% en 2020. 
  
L'insécurité chronique 
  
          Déjà amorcée entre 1980 et 2000, l'explosion du crime se confirme entre 2000 et 2020: 17 millions de plaintes enregistrées pour une population de 62 millions de personnes contre 4 en l'an 2000, et 1 million en 1980. Alors qu'en l'an 2000 les plaintes pour coups et blessures ayant entraîné un constat médical étaient au nombre de 400 000, elles sont maintenant 4 millions par an. 
  
          Le gouvernement a restreint l'usage de tout objet contondant, il est interdit de vendre de l'alcool en bouteille de verre, mais las, les criminels parviennent on ne sait comment à se procurer des AK47, des RPG7, etc. Dès l'an 2000 les premières saisies importantes de matériel militaire avaient eues lieu, et les incidents comme celui dit du « fou de Béziers », où un homme armé d'une Kalashnikov AK47 a parcouru la ville en entonnant des versets du Coran (août 2001) sont devenus monnaie courante. Mais la police a ordre de ne plus poursuivre les criminels, de peur de « provoquer » des bavures, depuis la fin des années 1990. Et de toute façon, après les 4 cars de CRS détruits par des tirs de roquettes dans une banlieue de Lyon, la police refuse d'entrer dans les cités sans soutien militaire, impossible à fournir, puisque la Légion est dans la province orientale de la Grande Albanie (ex-Serbie) pour une mission de maintien de la paix. 
  
          Les « citoyens », y compris les « nationaux », n'osent plus sortir. Les biens et les personnes ne sont plus protégés, la police servant désormais à sécuriser les périmètres autour des ministères et des résidences officielles. Dans ces conditions, on comprend aussi pourquoi tant de gens préfèrent vivre avec le REG (revenu d'existence garanti) plutôt que de s'aventurer dans les transports en commun, de toute façon en grève semi-permanente étant donné les agressions quotidiennes. 
  
Prochain numéro: Comment éviter que ce scénario pessimiste ne se réalise? 
  
  
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