Montréal, 5 janvier 2002  /  No 95  
 
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Gilles Guénette est diplômé en communications et éditeur du QL.
 
LIBRE EXPRESSION
 
MONDIALISATION + CAPITALISME =
DIVERSITÉ CULTURELLE
 
par Gilles Guénette
 
 
Globalisation and greater exchange result, not in all the different countries choosing the same thing but in all options suddenly finding room in one country.
 
Johan Norberg, In Defence of Global Capitalism
 
 
          Pour plusieurs, les mots « mondialisation » et « capitalisme » riment avec « américanisation » et « uniformisation » lorsqu'il est question de culture. Pour les défenseurs d'exception ou de diversité culturelle, « mondial » et « capital » se traduisent immanquablement par « domination » – celle de l'Oncle Sam, bien entendu. Pourtant ces deux phénomènes tant décriés par les illettrés économiques créent de la richesse partout où on les laisse s'épanouir et favorisent bien plus qu'ils n'empêchent une plus grande diversité dans l'offre culturelle. Et cela, pas seulement pour les Américains.
 
Calcutta, Texas 
  
          De tous les temps, des échanges entre les peuples ou les individus ont eu lieu. De tous les temps, des « rencontres » ont engendré la création de produits (culturels ou autres) qui à leur tour ont engendré la création de toujours plus de produits (culturels ou autres). La mondialisation est la libre circulation de produits, d'idées, d'informations, ou de citoyens entre les pays. Ce phénomène n'est pas nouveau. Ce qui l'est, c'est la vitesse et la facilité avec lesquelles ces échanges et rencontres se produisent à travers le globe – grâce, entre autre, aux avancées technologiques. Salil Singh est un bon exemple de « produit » engendré par cette mondialisation. 
  
          Indien d'origine, Salil est auteur, metteur en scène, comédien, professeur, documentariste, et grand défenseur du libre marché et du capitalisme – une sorte d'« anomalie » pour nous Canadiens habitués d'entendre parler que d'artistes subventionnés. En plus d'oeuvrer dans le domaine du théâtre de la marionnette géante dans son Texas d'adoption, il a réalisé Borrowed Fire, un documentaire qui brosse le portrait du dernier grand maître du Tolpava Koothu, une tradition théâtrale du sud de l'Inde vieille de plus de mille ans. 
  
          Ce documentaire n'aurait probablement jamais vu le jour, si Salil était demeuré dans son pays natal – c'est ce qu'il me confiait lorsque je l'ai rencontré lors d'un séminaire de l'Institute for Humane Studies, en juillet 2000 à Philadelphie. En Inde, il aurait été trop occupé à gagner sa vie pour s'adonner à une quelconque forme d'art. Mais grâce à la liberté économique trouvée en Amérique, et le support d'une importante communauté artistique, les cultures américaine, indienne (beaucoup de jeunes Indiens ne connaissent même pas cette tradition) et mondiale s'en trouvent dorénavant enrichies. 
  
          Salil est en fait une sorte de courroie de transmission qui permet à une culture ou une tradition culturelle de ne pas sombrer dans l'oubli et d'être partagée par un plus grand nombre de personnes. Et la Terre regorge de ces Salil Singh qui ne demandent pas mieux que de partager leurs expériences culturelles ou leurs points de vue avec le reste du monde. N'en déplaise aux inconditionnels d'un plus grand « partage » des richesses, l'économie de marché et la mondialisation sont les deux plus puissants agents « facilitateurs » de ces échanges. 
  
De Salil à Apu 
  
          Si Salil Singh est un produit de la mondialisation, Apu Nahasapeemapetilon l'est tout autant. Apu est un des personnages de la très populaire télésérie animée américaine The Simpsons. Immigrant indien, il est propriétaire du Kwik-E-Mart, une sorte de magasin général situé à Springfield, là où habite la petite famille de Bart Simpsons. Ce commerce, selon Paul A. Cantor, auteur de Gilligan Unbound: Pop culture in the age of globalization (Rowman & Littlefield, 2001), représenterait un des principaux points de rencontre du « local » et du « global » dans la série. 
  
          Si les naufragés de Gilligan's Island étaient auto-suffisants et produisaient tout ce dont ils avaient besoin pour survivre sur leur île, Homer Simpsons, son épouse et leurs rejetons, eux, doivent se tourner de plus en plus vers des immigrants tels Apu pour se ravitailler en victuailles de toutes sortes et en provenance de partout dans le monde. Ces détails de fictions, transposés aux réalités dans lesquelles ils prenaient ou prennent forme – la guerre froide et l'après-guerre froide – en disent beaucoup sur l'évolution de nos habitudes de vie au cours des 50 dernières années. 
 
     « Les contrées que visitent les Simpsons ressemblent peut être de plus en plus à leur Amérique natale, mais ils n'y voient pas là les effets d'une uniformisation. Plutôt ceux d'une multiplication généralisée dans l'offre. »
 
          Ce pluralisme dans l'offre est l'un des éléments qui frappent le plus lorsqu'on regarde The Simpsons. Même si les Simpsons habitent dans une petite ville américaine (d'on ne sait trop quel État), ils ont accès à tous les services qu'offrent les grands centres urbains et pensent comme n'importe quel habitant de ces grands centres. Ce monde est des plus crédibles puisqu'il dépeint la réalité (voir: MICKEY, RAMBO ET LEURS AMIS, le QL, no 23). Une réalité qui fait de plus en plus son chemin d'un côté comme de l'autre de l'Atlantique. 
  
          Les Simpsons sont des citoyens du monde; ils ont visité la France, l'Australie, le Japon, le Canada... ils sont très ouverts sur le monde et sont au fait des cultures et traditions de ce monde. Les contrées qu'ils visitent ressemblent peut être de plus en plus à leur Amérique natale, mais ils n'y voient pas là les effets d'une uniformisation. Plutôt ceux d'une multiplication généralisée dans l'offre. 
  
C'est arrivé près de chez vous 
  
          Plusieurs craignent en fait que la mondialisation n'entraîne une « McDonalisation » du monde. Dans ce scénario des plus sombres, un monde uniformisé dans lequel nous porterons les mêmes vêtements (Gap), mangerons les mêmes mets (McDo), et verrons les mêmes films (Jurassic Park XIII) est inévitable. Mais comme le souligne Johan Norberg dans son essai In Defence of Global Capitalism (Timbro, 2001), la situation est et continuera d'être toute autre: 
          Anyone going out in Stockholm today will of course have no trouble finding hamburgers and Coca-Cola, but just as easily we find kebab, sushi, Tex-Mex, Peking Duck, Thai, French cheeses or cappuccino. [...] Arriving in Rome and finding Hollywood films, Chinese food, Japanese Pokemon games and Swedish Volvo cars, we miss the local colour. And national specialities like pizza, pasta and espresso are already familiar to us, from our own locality. [But] what we gain by being free to choose "everything" at home is that this makes it hard to find any place that feels genuine, at least on the main tourist routes.
          À titre d'exemple, dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, supposée capitale canadienne de la pauvreté et quartier général du QL, on retrouve à l'épicerie du coin des fromages importés de France, de la bière de Belgique, des pâtes d'Italie, des vins de Californie... Au club vidéo d'en face, on peut louer les classiques du cinéma américain, français, ou québécois, des films d'auteur en provenance d'Australie, du Danemark ou du Mexique... Imaginez au centre-ville de Montréal maintenant! 
  
          Étrangement, cette généralisation du choix fait dire aux détracteurs de la mondialisation que nous assistons à un recul de la diversité partout dans le monde. « [W]hen [they] travel abroad, écrit Norberg, things look almost the same as in their own countries: they too have goods and chains from different parts of the globe. But this is not due to uniformity and the elimination of differences but on the contrary, to a growth of pluralism everywhere. » 
  
          Les anti-mondialisation qui s'élèvent contre la présence à l'étranger de restaurants McDonald's, de parcs thématiques « à la Disney » ou de cinémas consacrés aux blockbusters américains voudraient en fait vivre l'équivalent du « Musée Prague » à Prague, du « Musée Paris » à Paris ou du « Musée Rome » à Rome lorsqu'ils voyagent. Sauf que les musées sont des endroits biens plaisants à visiter, pas à habiter! 
  
          Les gens qui vivent dans ces grandes villes veulent eux aussi avoir le choix de consommer autres choses que les vêtements, les mets, ou les films locaux. Ils veulent eux aussi avoir accès à la télévision par satellite, aux téléphones cellulaires et aux réseaux internet à large bande. La mondialisation fait en sorte qu'ils ont, tout comme nous avons, de plus en plus – et à un meilleur prix – accès à tout ce que le monde a à offrir. 
  
          Personne ne veut se retrouver prisonnier de son folklore ou de ses traditions. Tout le monde veut être confronté à de nouvelles réalités et de nouvelles visions de ces réalités. Ce qui ne peut que rendre la vie des artistes plus facile en bout de ligne. Car un des grands « + » de la mondialisation, c'est le vaste marché qui vient avec. 

De local à global 
  
          Les politiciens et les pros de la revendication parlent toujours de la concurrence internationale grandissante à laquelle font face les artistes lorsqu'ils abordent le sujet. Rarement – en fait, jamais –, ils ne parlent de l'immense marché qui s'ouvre à eux dans un monde ouvert. Pourtant, une artiste moins mainstream peut avoir de la difficulté à vivre de son art dans un marché local et restreint. Mais lorsque son public potentiel devient le monde entier, son art plus « spécialisé » se trouve soudainement beaucoup plus « rentable ». Comme le souligne Norberg dans son essai: 

          Perhaps not all that many Swedes are in the market for experimental electronic music or film versions of novels by Dostoevsky, and so the musicians and film makers concerned could never produce anything if they had only a Swedish audience to rely on. But even very narrow customer segments acquire purchasing power when combined with similar tastes in other countries. Globalisation can increase our chances of gaining access to exactly what we want, no matter how isolated we may feel in our liking for it.
          Contrairement à se qu'on serait tenté de croire, ce ne sont pas seulement les artistes qui oeuvrent dans des domaines « grand public » (cinéma, musique pop, roman à succès) qui réussissent à tirer leur épingle du jeu d'une planète mondialisée. Les artistes qui oeuvrent dans des domaines plus « spécialisés », qui ciblent des publics plus restreints (danse, poésie, musique électro-acoustique) en sortent aussi gagnants. 
  
          Pourquoi craindre la mondialisation alors? Paul Cantor avance une hypothèse dans son Gilligan Unbound: les préoccupations des personnages de téléséries comme The Simpsons sont soit locales, soit globales. Elles sont de moins en moins nationales – la politique nationale ayant à toute fin pratique été évacuée de leur vie de tous les jours. Ainsi, la mondialisation entraînerait le déclin de l'État-nation. C'est peut-être cela que craignent par dessus tout ses opposants! 
 
 
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