Montréal,
le 24 octobre 1998 |
Numéro
23
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LE QUÉBÉCOIS
LIBRE sollicite des textes
d'opinion qui défendent ou contestent le point de vue libertarien
sur n'importe quel sujet d'actualité. Les textes doivent avoir entre
700 et 1200 mots. Prière d'inclure votre titre ou profession et
le village ou la ville où vous habitez.
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LIBRE EXPRESSION
MICKEY, RAMBO
ET LEURS AMIS
par Gilles Guénette
I more and more feel America as being a thrilling vibrant mediaeval
culture. Mediaeval for me means somewhere where things are being worked
out. Where cultures have crossed and are crashing together and hybrids
are constantly been thrown off. (Brian Eno(*))
Il suffit d'ouvrir un journal ou d'écouter un tant soit peu les
médias électroniques québécois pour se rendre
compte que nos journalistes et commentateurs (toutes disciplines confondues)
sont anti-Américains. Et ils ne ratent jamais une occasion de nous
le faire savoir avec d'innocents commentaires du genre: « Tout
est toujours plus gros aux États-Unis, à commencer par les
Américains. Le cinéma américain ne s'adresse qu'à
un public d'adolescents attardés. Mieux vaut ne pas sortir la nuit
dans les rues des grandes villes; tout le monde est armé. Etc.
» À les entendre, il ne se fait rien de bon aux É.-U.
et les Américains ne sont qu'une bande de barbares.
Et bien si on en croit les résultats d'une étude du National
Endowment for the Arts, publiés dans une récente livraison
du Wall Street Journal, les jours de toutes ces mauvaises langues
sont comptés. Parce que mine de rien, l'Américain moyen est
en train de se transformer. Il est plus éduqués et – oh malheur!
– plus cultivé. |
C'est le début d'un temps nouveau
Les statistiques qui ressortent de l'étude du NEA parlent d'elles-mêmes.
Les Américains lisent plus que jamais, ils assistent à plus
de pièces de théâtre, vont à l'opéra
plus souvent et le bon café n'est plus une denrée rare, réservée
aux résidants des grands centres urbains. Dans les faits, la culture
n'est plus uniquement une affaire de grandes villes, son accessibilité
s'étend aux plus petites villes qui sont maintenant branchées
sur un monde d'information et de culture. L'Américain moyen devient...
sophistiqué.
Dans le domaine des plaisirs de la table, la consommation de vin rouge
a plus que doublé en six ans, passant de 23.2 millions de caisses
en 1991 à 58.2 millions en 1997. Et, tout comme au Québec,
l'industrie de la bière a littéralement explosé. Ainsi,
le nombre de fabricants de bière (incluant les micro-brasseries)
est passé de 221 en 1990 à 1 250 en 1997. Le
pourcentage de restaurants « haut-de-gamme »
en milieu rural est passé de 19% en 1993 à 27% en 1997. Et
un magazine comme Bon Appetit vend près du tiers de son tirage
mensuel de 1.1 million d'exemplaires dans les régions éloignées
des grands centres urbains.
Au plan culturel, le nombre de romans publiés aux États-Unis
est passé de 5 764 en 1990 à 7 605
en 1995 et il s'est vendu plus de 2 milliards de livres en 1995 comparativement
à 1.7 milliard en 1982. En dix ans, le nombre de films indépendants
produits aux É.-U. est passé de 40 à
139 en 1997. Le pourcentage d'Américains ayant visité un
musée au moins une fois durant l'année est passé de
22.1% en 1982 à 35.0% en 1997. Celui des Américains qui écoutent
une station de radio de musique classique a plus que doublé en quinze
ans, passant de 19% en 1982 à 41% en 1997 et plus de 110 orchestres
symphoniques ont vu le jour depuis 1980. 7.5 millions de personnes sont
allés à l'opéra au cours de la saison 1996/97 – c'est
34% de spectateurs de plus qu'en 1980 – et 27 millions de personnes sont
allés au théâtre au cours de la saison 1997/98 (près
de 60% de ces pièces étaient présentées en
dehors de New York) entraînant des ventes de billets de 1.3 milliard
de dollars. Dans le même ordre d'idée, le nombre de troupes
professionnelles de théâtre est passé d'un soixantaine
en 1965 à plus de 800 aujourd`hui.
Cela ne veut pas dire pour autant que tous les Américains s'éveillent
au son d'une douce mélodie classique, une tasse de cappuccino dans
une main et le Wall Street Journal dans l'autre. À preuve,
la popularité des spectacles de courses de voitures et de demolition
derby à atteint des sommets inégalés en 1997 (près
de 17 millions de billets vendus); le Duke of Hazard Reunion Tour
a fait un malheur cet été près de Alpena en Arkansas...
et des émissions du genre PSI Factor: Chronicles of the Paranormal
et Baywatch sont toujours parmi les plus populaires au palmarès
des grandes chaînes de télévision.
Comment expliquer?
Quatre facteurs expliquent en partie une telle mutation. Les Américains
sont plus éduqués, ils ont un plus grand pouvoir d'achat,
un plus grand accès aux produits de la culture et une plus grande
ouverture sur le reste du monde.
• Ainsi, près de 82% des Américains
avaient obtenu un diplôme d'études secondaires en 1996, comparativement
à un peu plus d'un tiers en 1950. Le nombre de jeunes Américains
qui étudient à l'étranger a presque doublé
en dix ans, passant de 48 483 en 1986 à 89 242
en 1996.
• En 1996, 51 millions de familles gagnaient
plus de 35 000 $ (ce qui est plus que le double du seuil de pauvreté
établi à 16 036 $ pour une famille de quatre)
et, selon la Federal Reserve, le pouvoir d'achat des Américains
a augmenté de façon importante avec, entre autre, l'accessibilité
au crédit qui se chiffrait à plus de 542 milliards
$ en juin dernier.
• Les nouvelles technologies des télécommunications
et la chute des prix font en sorte qu'il est beaucoup plus facile d'être
branché sur le reste de la planète. Ainsi, le pourcentage
de foyers « câblés » est passé
de près de 20% en 1980 à 63.4% en 1995. Et presque la moitié
des adultes de moins de 55 ans avaient accès à internet l'an
dernier.
• La déréglementation de l'industrie
aérienne à contribué à sa façon à
enrichir le bagage culturel de l'Américain moyen en rendant les
voyages beaucoup plus accessibles et bon marché (en 1997, ils étaient
plus de 52 millions à voyager à l'étranger, comparativement
à un peu plus de 14 millions en 1975).
Les choses vont bien aux États-Unis, quoi qu'en disent tous ceux
qui ne cessent de nous en peindre un sombre portrait. Les citoyens sont
moins taxés qu'ici, ils ont plus souvent qu'autrement un emploi,
la criminalité est à la baisse, les échanges sont
plus faciles à effectuer et les initiatives commerciales, plus encouragées.
La culture se porte à merveille parce que les politiciens n'interviennent
pas pour la réglementer, la quantifier, l'encadrer ou l'imposer.
Son dynamisme tient au fait que les gens ont envie de la consommer et non
à une vague impression qu'ils ont de poser un geste politique à
chaque fois qu'ils veulent bien l'encourager.
(*) Brian Eno est un compositeur,
musicien et artiste visuel originaire de Grande-Bretagne.
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