Montréal, 19 janvier 2002  /  No 96  
 
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COURRIER DES LECTEURS / READERS' CORNER
 
LA LIBERTÉ DE L'ITINÉRANT
 
 
          Dans la Grèce antique, il y avait un sans-abri qui s’appelait Diogène… Il vivait dans un tonneau aux limites d’Athènes. Il refusait les normes sociales et vouait un culte à sa liberté, fusse-t-elle aussi difficile à vivre que celle d’un chien errant. C’est pourquoi notre bonhomme tenait à se présenter sous le nom de Diogène le Chien.  
  
          À cette époque, il n’y avait pas de travailleurs sociaux et Diogène n’était pas un malade mental. C’était tout bonnement un philosophe… Platon & Cie raillaient sa vision du monde. Elle a néanmoins traversé les siècles pour se rendre jusqu’à nous. 
  
          Alexandre le Grand lui-même fut impressionné par ce zigoto. Il vint à sa rencontre pour s’entretenir avec lui. Alexandre le Grand, le conquérant d’un empire, vit le Chien, tout sale, assis dans les détritus, et lui demanda s’il pouvait faire quelque chose pour lui. Diogène lui répliqua: « Ôte-toi de mon soleil, tu me fais de l’ombre. » Sur cette réplique laconique, Alexandre le Grand retourna conquérir le monde en laissant notre homme se dorer la couenne au soleil. 
  
          On parle beaucoup des sans-abri depuis l’éviction des gueux qui s’étaient installés dans des cabanes de panneaux électoraux, sous les bretelles d’une autoroute. On ne parle pas beaucoup aux sans-abri, cela dit. La grandeur s’est perdue depuis Alexandre le Grand… 
  
          Si d’aventure on laissait parler les itinérants, au lieu de s’adresser à tous ceux qui sont payés pour dire que les sans-abri sont fous, on serait sans doute surpris et choqués de les entendre nous dire qu’ils sont libres, dans leurs tonneaux ou leurs huttes en contre-plaqué. 
  
          Nos Diogène ne veulent pas vivre dans des maisons de fous. Ils préfèrent crever de froid, protégés par le sourire ineffable de M. Tremblay, plutôt que d’être parqués comme des prisonniers politiques dans des refuges qui s’apparentent à l’univers concentrationnaire. À la limite, je suppose que nos Diogène se sentiraient plus à l’aise en prison que dans les refuges pour sans-abri. En prison, on dispose d’un peu plus d’intimité pour se masturber en paix… Voilà une question tabou: les singes ont-ils le droit de se masturber au zoo de Granby? 
  
          Je vous laisse méditer là-dessus, mesdames et messieurs les travailleurs sociaux. Je vais appeler à la Société protectrice des animaux pour savoir s’il existe un programme de secours pour nos hommes des cavernes 
 
Gaétan Bouchard
Trois-Rivières (Québec)
  
  
 
  
PAS DE PITIÉ POUR LES PUNKS ET LES ROBINEUX
 
 
          Cette année, tout particulièrement, on entend dans les médias francophones les plaintes incessantes des robineux et des punks qui pleurent. Le nouveau maire semble vouloir se donner bonne conscience et fait des culbutes pour pouvoir offrir à ces pauvres « sans-abri » des logements sociaux, des programmes coûteux et de l'aide tant qu'il en faut... 
  
          On entend les journalistes, la larme à l'oeil, nous expliquer comment ces dits itinérants souffrent. Comment il faut les loger, les nourrir et tout le tralala... On voit les ministres, le sourire en coin, le regard malicieux se réjouir de la situation: Enfin, ils vont pouvoir augmenter les taxes et continuer de contrôler le logement avec leur Régie d'extrême gauche! 
  
          On tente par tous les moyens de nous faire oublier que ces « pauvres » gens de la rue... ils ont choisi d'y être. Croyez-vous vraiment que le robineux de service interviewé par Radio-Canada, la voix forte et les joues roses, qui prétend qu'il n'y a plus que l'argent qui compte pour les gens, et qui se plaint déjà du nouveau maire, a vraiment besoin que vous et moi le paye pour sa paresse en lui donnant notre sueur et notre argent? 
  
          Il y a quelques années, trois journalistes s'étaient déguisés en itinérants et s'étaient dispersés dans le grand Montréal. Ils avaient été fascinés de voir qu'ils avaient réussis à récolter entre 20 $ et 40 $ l'heure! Imaginez! Ça me fait lever le coeur! 
  
          Pendant que les robineux de mon quartier font 20 $ de l'heure, ont accès aux médicaments gratuits, au café la nuit, à des repas chauds, à toutes sortes de services dans toutes sortes d'organismes, sans même avoir à contribuer à la société... je me lève chaque matin à 6h30, je prends l'autobus, je vais travailler au 3/4 du salaire du pauvre (sic) robineux qui ne fait que 20 $ de l'heure et je paye 23% d'impôts, 15% de taxe sur les items que j'achète, je paye mon loyer, mes comptes, etc. Avec les 23% d'impôt qu'il m'enlève – y inclus la taxe contre la pauvreté (sic) –, le gouvernement finance des milliers de programmes sociaux de toutes sortes. Et moi, je devrais encourager le logement social et rester là, à ne rien faire et ne rien dire? Tout ça parce que ces parasites se laissent crever sur la rue, trop paresseux pour aller travailler, ou pire, pour vouloir simplement se prendre en main? 
  
          Et vous voudriez que les gens les prennent en pitié? 
  
          Il y a certainement des gens dans la rue qui ont des problèmes mentaux, mais leur donner de l'argent et une tribune ne les aidera pas. Ça ne fera que leur nuire en leurs faisant croire que ce qu'ils font – ou ne font pas – est normal et béni par la société. À ce moment on ne fait qu'aggraver le problème. Nos savants journalistes pourront ensuite dire: « À Montréal, il y a de plus en plus de sans-abri dans les rues. » Ne vous demandez pas pourquoi. 
  
          Je n'en peux plus d'entendre des pseudo-journalistes faire la morale aux gens à travers le petit écran, à la manière d'un sermon de curé, en leur disant: « Tsk tsk tsk, les gens ne sont plus aussi généreux qu'à Noël durant le reste de l'année, il faudrait qu'ils fassent un petit effort. » (lire: « Il faudrait sucer leur sang jusqu'à la mort. ») 
  
          Quand j'entends des sornettes pareilles, je change mon téléviseur de poste. Je vais vers les canaux anglophones, chez qui on n'a pas complètement perdu la raison. 
 
Marie-Eve Boucher
Montréal
    
  
 
 
CIGARETTE: POURQUOI NE PAS SUBVENTIONNER LA BONNE FORME?
  
 
Re: LES FUMEURS NE DOIVENT PAS ÊTRE DÉFENDUS, Courrier des lecteurs, le QL, no 95 
  
          Ce monsieur a tout à fait raison et, de plus, ce sont ceux-là même qui revendiquent le droit de fumer et d'attenter ainsi à la santé de tous qui seront les premiers aux barricades pour se plaindre de notre système de santé. Avouons qu'il y a là une incohérence flagrante alors que chacun devrait avoir le souci de tout faire pour se maintenir en santé et ne pas encombrer nos hôpitaux et nos urgences et ne pas alourdir notre fardeau économique et fiscal car c'est aussi moi et l'autre, ceux qui ne fument pas, qui payons pour l'ignorance et l'inconséquence des autres, ceux qui fument. 
  
          Tant que nous ne serons pas des gens responsables capables d'assumer pleinement les conséquences de nos choix, nous ne serons pas dans l'éthique et le respect de l'autre. Et pourquoi, à l'image des Chinois, qui paient leurs médecins si ceux-ci réussissent à faire en sorte que personne ne tombe malade, ne donnerions-nous pas un crédit d'impôt (ou quelque chose du genre) à ceux et celles qui réussissent à se maintenir en santé? Je rigole bien sûr, mais ce ne serait pas si bête que cela... 
  
Odette Bélanger
  
 
Réponse de Martin Masse: 
  
Madame Bélanger, 
  
          En fait, votre solution n'est pas bête du tout. La solution libertarienne est de faire en sorte que les individus soient non seulement libres, mais soient responsables d'eux-mêmes, se prennent en charge, assument pleinement les conséquences de leur choix comme vous écrivez. Il faut toutefois pouvoir le faire. Dans le contexte actuel, avec les services de santé nationalisés et « gratuits », ce n'est pas possible. Tout le monde paient pour ceux qui ne prennent pas soin de leur corps. C'est une forme de nationalisation des corps. 
  
          Si nous avions des assurances privées – dont le coût peut varier selon la situation de chacun, les fumeurs payant plus que les autres – ce problème serait en partie réglé. Et la croisade contre les fumeurs (qui brime tout de même les droits des individus) n'aurait pas de raison d'être. Il n'y a par exemple aucune raison d'empêcher TOUS les bars d'accueillir les fumeurs. Certains bars pourraient être pour fumeurs, d'autres pour non-fumeurs. Personne n'est obligé d'aller là où l'on fume et ceux qui veulent se rencontrer entre fumeurs devraient pouvoir le faire. Mais on brime les fumeurs avec cette loi oppressive. Encore une fois, c'est le collectivisme et l'intervention de l'État qui créent toutes sortes de problèmes. 
  
          Bien à vous, 
  
M. M. 
  
  
  
MONDIALISATION: IL FAUT AFFRONTER LA RÉALITÉ DU MONDE
 
 
Re: MONDIALISATION + CAPITALISME = DIVERSITÉ CULTURELLE, le QL, no 95 
  
          Je viens de lire votre article consacré à l'éloge de la mondialisation. Je suis personnellement favorable à cette mondialisation. J'habite en France, je suis marié avec une « étrangère » à la France mais citoyenne du monde comme moi. Nos enfants sont polyculturels et le vivent très bien. Mais quelque chose me chagrine dans votre argumentation. Pour la corser, il faudrait affronter avec courage la réalité du monde, les crises comme celle des pays asiatiques qui, après une avancée triomphante dans le capitalisme mondial ont mordu la poussière. Même le Japon s'en remet mal et continue de ne pouvoir sortir de la crise. Et que dire de l'Afrique, de l'Amérique latine... 
  
          Cela fait beaucoup de monde pour qui la mondialisation libérale n'est pas un évident mieux-être alors que la Chine connaît des taux de croissance sans égal. Le président de la Banque mondiale lui-même dit que quelque chose ne va pas. Votre argumentation est donc incomplète et de surcroît, un peu agressive à l'égard des gens qui sont attachés à leur État (nation). Cette attitude est pour moi un signe de doute, de manque de confiance en soi. 
  
          En effet, les idées n'avancent que rarement, ou peu de temps, par l'agression. Surtout, personne ne peut refaire l'histoire. Les États existent, en faire table rase reviendrait aux errements de ce que les pays de l'est appelaient communisme. Ils chantaient vouloir faire table rase du passé... Le respect de nos ancêtres me fait dire qu'en créant les États, ils ne manquaient pas d'intelligence et l'on peut concevoir que des conservateurs, éléments réels de la pensée humaine, donc respectables, y soient attachés, d'autant que les raisons d'être des États ne disparaissent pas d'un seul coup et partout en même temps. Les grandes inventions humaines sont progressives. 
  
          En un mot, votre argumentation, à vouloir trop en faire et en réduisant la mondialisation à quelques succès (comme McDo) – dont rien ne dit qu'ils ne seront pas éphémères – et à quelques exemples insignifiants à l'échelle du monde justement (car la mondialisation exige que nous débarrassions notre pensée de ses habitudes de n'envisager que des petits bouts de la réalité!), n'aboutit pas aux résultats annoncés. En première année de « science po », Paris, vous auriez eu une note à la hauteur des lacunes du propos! Mais Paris est-il une bonne référence? 
  
          Bonne année. 
  
Un lecteur
  
 
Réponse de Gilles Guénette: 
  
Bonjour. 
  
          Les exemples que vous me donnez ne prouvent en rien ce que vous avancez. Les problèmes du Japon sont bien plus reliés à l'intervention du gouvernement nippon dans la gestion de sa monnaie qu'à une avancée « triomphante » du capitalisme. Les problèmes de l'Afrique ou de l'Amérique latine sont bien plus dûs au protectionnisme, à la sur-réglementation, et à des États tyraniques... qu'à un « trop plein » de capitalisme (qui implique, je vous le rappelle, la liberté individuelle – une denrée plutôt rare en Afrique). 
  
          Je vous suggère la lecture du petit livre de Johan Norberg, In Defence of Global Capitalism, dont je parle dans mon article. Il explique très bien la relation entre pauvreté et intervention de l'État vs les bienfaits de la mondialisation du capitalisme. En attendant, je vous laisse sur ce petit extrait d'une chronique de La Presse qui donne matière à réflexion: « [S]'il devait y avoir un lien entre le libéralisme économique et la misère des peuples, comme le suggèrent certains à la lumière de la crise argentine, les États-Unis, pays le plus avancé dans la voie du libéralisme, devraient forcément compter parmi les plus pauvres du monde. Aux dernières nouvelles, pourtant, la richesse moyenne par habitant, aux États-Unis, dépasse de loin celle de n'importe quel autre pays industrialisé de quelque importance. » (Claude Piché, « Crise argentine et libéralisme... », 8 janvier 2002, p. D-3) 
  
          Bien à vous, 
  
G. G. 
  
  
  
 
LA PROMOTION DU CINÉMA QUÉBÉCOIS EN FRANCE
  
  
Re: LE CINÉMA QUÉBÉCOIS EN FRANCE: C'EST ZÉRO, le QL, no 94 
  
Bonjour Monsieur Guénette, 
  
          J'ai lu votre article sur le cinéma du Québec à Paris. Vous y reprenez les propos de M. Robitaille qui sont malheureusement mal informés. J'ai participé à cet événement à Paris et ce fut l'une des plus intéressantes rencontres professionnelles que j'ai eues en trente ans de carrière. C'était là le réel objectif de la SODEC et cette année il fut atteint. 
  
          M. Robitaille ignore tout des « dessous » de l'événement. Il s'est contenté d'assister à la soirée d'ouverture pour y confirmer des idées pré-établies et je ne l'ai revu à aucune autre des projections. 
  
          Ce qui explique que pour lui, la possible distribution de Le côté gauche du frigo est le seul possible succès... Or, grâce à l'événement organisé par la SODEC, La Forteresse suspendue a conclu une entente de distribution. Le film sort le 13 février sur une quinzaine d'écrans. Il ne faut pas s'attendre à grand-chose de cette sortie, sans doute. Mais l'expérience sera des plus intéressantes pour moi, qui en suis l'auteur. Aussi, l'événement m'a permis d'établir des contacts professionnels avec des producteurs français, intéressés par une éventuelle co-production. 
  
          M. Robitaille a tort de se fier uniquement à l'assistance. Et vous avez raison en disant que des films qui n'ont pas connu de succès commercial au Québec n'en connaîtront pas en France. Si j'ai un reproche à faire à la SODEC, c'est justement de n'avoir rien prévu pour mettre en évidence La Forteresse suspendue qui de toute évidence a un public en France qu'il faut trouver moyen d'aller chercher. J'ai d'ailleurs déjà exprimé ces reproches à la SODEC qui y fut sensible. Au contraire des autres réalisateurs, je n'étais pas invité. À la fin, ils ont consenti à m'y inviter et ne l'ont pas regretté. 
  
          Question public aussi, La Forteresse était présenté trois fois en après-midi. Aucun événement spécial, aucun invité. Sur une salle de 120 places, la première projection s'est faite devant 10 personnes (dont deux distributeurs, trois programmateurs de festival), la seconde projection s'est faite devant plus de 50 spectateurs (dont trois programmateurs de salles qui veulent programmer le film et deux producteurs avec qui j'ai maintenant l'occasion de développer des projets), la dernière projection s'est faite devant une salle comble. C'est dire que le bouche à oreille n'a pas si mal fonctionné. 
  
          Ceux que je n'ai pas vus aux projections de mes films: les représentants de la SODEC, (à l'exception de Bernard Boucher)! 
  
          Même si j'ai dû jouer des coudes pour que l'événement de la SODEC me soit profitable, beaucoup de producteurs ont fait de même. Les retombées sont loin d'être aussi mauvaises que ce que votre article et celui de M. Robitaille en disent. 
 
Roger Cantin
réalisateur
 
 
Réponse de Gilles Guénette: 
  
Monsieur Cantin, 
  
          Bien heureux d'entendre que votre film s'est trouvé un public en France – comme il s'en est trouvé un ici. 
  
          Vous dites que M. Robitaille était mal informé. Pourtant un autre journaliste (Michel Dolbec, je crois) tirait sensiblement les mêmes conclusions (quoique moins négatives) quelques jours avant la publication de son article.  
  
          Quoi qu'il en soit, je continue de croire que les cinéastes québécois seraient beaucoup mieux servis par l'entreprise privée qu'ils ne le sont par les fonctionnaires de la SODEC. Un producteur qui investirait de ses propres fonds dans un film (une situation à toute fin inexistante au Canada) aurait intérêt à ce que celui-ci soit vu par le plus grand public possible et ferait des pieds et des mains pour s'en assurer. Un fonctionnaire par contre, malgré toutes les bonnes intentions du monde, n'a rien à « gagner » du succès d'un film dont il est chargé de faire la promotion. Et vos propos tendent à confirmer ce que je croyais: vous avez dû jouer du coude pour que votre film soit remarqué, les représentants de la SODEC n'étaient pas présents aux projections de votre film, le bouche à oreille a fait beaucoup plus pour votre film que toute la promotion en place... 
  
          Les bons films finissent toujours par trouver preneur. Et votre expérience le prouve. 
  
          Encore une fois, bravo pour votre succès et merci d'avoir pris la peine d'écrire. 
  
G. G. 
  
  
  
  
L'ÉTAT ET LES MONOPOLES
 
 
Bonjour. 
  
          Bien qu'étant personnellement profondément libéral, je tiens à revenir sur un élément de la pensée « libertarienne » que l'on retrouve dans la plupart des ouvrages sur le sujet, notamment ceux de Pascal Salin. Il s'agit de l'absence de nécessité de législation sur la concurrence, qui tuerait la concurrence. 
  
          Il me semble vrai que les monopoles publics sont ceux qui restreignent le plus la liberté économique d'autrui, sans toutefois être inquiétés par aucune législation anti-cartellaire. Cela étant, les monopoles privés, voire simplement les entreprises exerçant une position dominante sur un marché pertinent (que ce soit seules ou sous forme de cartel) entravent elles aussi la liberté économique d'autrui. Certes, elles se sont formées de manière libre et sans intervention étatique, ce qui, d'un point de vue libéral, est un fondement nécessaire. Cependant, si une entreprise détenant 80% des parts du marché considéré exerce des pressions sur de potentiels concurrents, créant ainsi d'énormes barrières à l'entrée, il me semble que même si la condition d'absence d'intervention étatique lors de la création de l'entreprise est respectée, il y a restriction de la liberté économique par cette entreprise. 
  
          Par analogie, on pense à une personne physique qui s'assied librement et sans intervention étatique sur un banc, mais qui empêche par la force physique toute autre personne de venir s'asseoir à côté d'elle. Dans la mesure où l'État libéral a pour tâche de faire respecter les libertés individuelles, et notamment la liberté économique, ne serait-il pas nécessaire de trouver un juste milieu entre absence totale d'intervention étatique et législation sur la concurrence trop interventionniste, afin de faire respecter ces restrictions à la liberté économique causées par des privés à d'autres privés? 
  
          Merci de bien vouloir m'éclairer, 
  
Laurent Muhlstein
Genève
 
 
Réponse de Martin Masse:   

Monsieur Muhlstein,  
  
          Je crois que tout dépend de ce que vous entendez par « exercer des pressions » sur ses concurrents. Si je me fie à votre exemple de quelqu'un qui empêche « par la force physique » quelqu'un d'autre de s'asseoir sur un banc (si on présume que le banc est l'équivalent d'un marché et non une propriété privée), alors vous faites sans doute référence à des pratiques telles que le vol, le sabotage contre des installations, l'espionnage, la fraude, les menaces, ou les mises à exécution de menaces, contre l'intégrité physique de concurrents, etc. Bref, selon une stricte définition des droits individuels, il s'agit d'atteinte à la personne ou à la propriété d'autrui. 
  
          Vous avez raison, l'État devrait alors faire respecter les libertés individuelles. Mais il ne s'agit pas dans ce cas d'une intervention étatique. Ces actes de violence doivent être réprimés, qu'ils soient commis par un petit bandit ou par les dirigeants d'une grosse compagnie qui domine un marché. Si l'on croit que le seul rôle qui devrait être dévolu à l'État est celui de protéger les personnes et leurs biens contre les agressions, alors l'État ne ferait que jouer ce rôle légitime en réprimant l'agresseur, monopole ou non. Je ne crois pas qu'il y ait de débat là-dessus.  
  
          La question est plutôt de savoir si le gouvernement doit réprimer une compagnie dite monopolistique même si tout ce qu'elle fait est parfaitement légal et moral et qu'elle ne commet aucun acte de violence, pour la simple raison qu'elle domine un marché. Dans un marché totalement libre, il est en fait impossible qu'il y ait de véritable monopole permanent. Une compagnie pourrait dominer un marché un certain temps, parce que son produit est tellement unique ou tellement supérieur aux autres qu'elle n'a alors que peu ou pas de concurrent. C'est parce qu'elle rend d'immenses services aux consommateurs qu'elle détient cette position dominante. Mais même une grosse compagnie qui a connu un tel succès avec ses produits et qui jouit d'une présence quasi-monopolistique dans une industrie ne peut s'assurer que cette situation durera indéfiniment. Les situations de monopole tendent à faire augmenter les prix, ce qui attire des entrepreneurs qui flairent des occasions de profit. Les changements technologiques font en sorte que des concurrents peuvent émerger à tout moment et menacer la prédominance d'un produit. 
  
          Un monopole privé ne pourrait maintenir pour toujours sa position dominante que s'il n'y avait aucun changement dans le marché, aucune nouvelle technologie qui viendrait tout bouleverser, aucun erreur dans sa propre stratégie de développement. Cela est tout simplement impossible à long terme dans un marché libre. Les seuls véritables monopoles permanents sont ceux créés et protégés par l'État. Comme vous écrivez, les monopoles publics sont ceux qui restreignent le plus la liberté économique d'autrui, sans toutefois être inquiétés par aucune législation anti-cartellaire. Au lieu de s'attaquer aux soi-disant monopoles privés avec ses lois « antitrust », l'État devrait privatiser ou démanteler ses propres monopoles. 
  
          J'espère que ces quelques éléments de réponse vous satisferont. 
  
M. M.

 
 
 
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