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Montréal, 16 mars 2002 / No 100 |
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par
Hervé Duray
L'Europe, ce n'est plus un mystère, est devenue une hydre terrifiante, mettant son nez administratif dans nos assiettes, et ses chaussures réglementées dans les champs. Mais ce n'est pas tout! Le Net échappe encore à son contrôle: on peut y dire ce que l'on veut, on peut échanger sans être soumis aux taxes, un espace de liberté intolérable! |
Vers
un contrôle totalitaire d'internet
Le Conseil de l'Europe a donc travaillé d'arrache-pied pour mettre hors d'état de nuire les bandits, les voyous, les hackers qui règnent sur le Net. Un traité a été préparé et récemment approuvé lors d'une obscure réunion à Budapest, fin novembre, le tout dans l'indifférence la plus totale, ou plutôt Ce traité demande à tous les États signataires d'instaurer des législations pour, notamment, conserver les données informatiques(1) pendant une durée de 90 jours... renouvelables indéfiniment, criminaliser le refus de donner ses clés de cryptage, etc. Certaines de ces requêtes sont déjà entrées en vigueur en France, grâce à Lionel Jospin (voir JOSPIN.COM, le QL, no 81), d'autres le sont en Angleterre. On imagine mal les problèmes de stockage que cela va engendrer, aux frais des fournisseurs d'accès bien sûr, donc du client qui devra payer pour se faire surveiller. Beaucoup de gens ne comprennent pas réellement ce que cela signifie en termes clairs. Imaginez plutôt cela: toutes vos lettres sont photocopiées, les photocopies stockées, bien rangées. Dans le même temps, à chaque fois que vous lisez une page d'un livre, un article dans un journal, hop! ils sont eux aussi photocopiés et les informations permettant de savoir ce que vous avez regardé sont conservées. Cela vous semble absurde? Pourtant c'est bien cela que ce traité réclame, ni plus ni moins. Des fournisseurs d'accès Mais ce n'est pas tout. Non content de demander aux fournisseurs de services de collaborer, d'engager des moyens financiers et humains, il leur faudra aussi conserver le silence total, y compris dans le cas où l'enquête n'aboutirait pas. Vous ne saurez jamais que vous avez été écouté, même innocenté. Les fournisseurs de services devront aussi être immédiatement aux ordres si jamais la police avait des
Concernant la portée européenne de cet accord, n'espérez pas vous en tirer à bon compte simplement en commettant des La proposition de traité donne le pouvoir de censure aux fournisseurs d'accès, sans pour autant dire pour l'instant s'ils seraient responsables des contenus et des conversations des abonnés à leur service. En regard de la façon dont ils sont transformés en auxiliaire de l'État, nul doute que l'ajout au traité d'un article sur les propos Le prétexte du discours Toutes ces législations punissent cependant des crimes qui en sont réellement: l'intrusion dans un réseau, le vol de données, la destruction de données, tout cela correspond à des violations réelles de propriété. À ce simple titre ces violations étaient déjà condamnables Mais il y a bien plus grave: ce traité n'est que le début d'une série. Le but du jeu ressemblerait plutôt à une mainmise progressive des États sur le Net. Vous ne me croyez pas? Alors je vais vous laisser entrevoir la deuxième partie de la série: l'interdiction du Dans ce rajout au premier traité, le Conseil de l'Europe veut tout simplement interdire le Il reprend les grandes lignes de la loi Gayssot du 13 juillet 1993, qui interdit l'incitation à la haine contre tout groupe en fonction de ses caractéristiques physiques, politiques, ethniques, religieuses, etc. Mais il y a mieux: si par malheur vous teniez des propos racistes lors d'une conversation, ou sur un forum, vous le faites Problème cependant: qui va censurer? Qui va lire les milliards de pages web éditées? Qui va parcourir les 180 ou 200 articles de La Page Libérale, site que j'anime? Car dans certains articles, je vise très nettement certaines populations en fonction de leur appartenance à un groupe ethnique et religieux. J'y constate simplement que certains faits sont corrélés à une appartenance ethnique. Cela fait-il de moi un Vers un totalitarisme rampant Dire que je connaissais le traité ou le Conseil il y a un mois serait mentir. Qui a élu ce Conseil? Qui l'a nommé? Pourquoi agit-il dans l'ombre? Tiens, voilà qu'en lisant Wired News(3) j'apprends qu'un troisième Les risques sont grands que de tels traités soient détournés de leurs buts initiaux, ceux-ci ayant d'ailleurs pu être pris en charge par le marché, ou complètement ignorés parce que personne ne va voir les sites racistes. Par contre il y aura toujours des États pour interdire une opposition, museler une source trop ennuyeuse, ou limiter la portée d'une affaire. Et maintenant avec les extensions internationales, il suffira d'accuser de Je croyais que 1984 était loin. J'avais tort. C'est aujourd'hui.
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