Montréal, 30 mars 2002  /  No 101  
 
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Hervé Duray est étudiant à l'École Supérieure de Commerce de Grenoble et tient La Page libérale, un site dédié au commentaire des informations sous un angle libéral.
 
LA PAGE LIBÉRALE
 
CHIRAC-JOSPIN: DU PAREIL AU MÊME
 
 par Hervé Duray
  
  
          L'actualité française du moment est très riche: blessure du footballeur Robert Pirès, 8 morts à Nanterre dans un carnage à l'arme à feu, attaques à la grenade et cocktail molotov de postes de police, grèves dans les transports en commun à Lyon et Marseille après des agressions multiples... Mais où est donc passée la campagne électorale? 
  
          La campagne? Quelle campagne me direz-vous? La campagne présidentielle bien sûr! Celle dans laquelle deux candidats s'affrontent dans un débat stratosphérique d'idées argumentées et opposées? L'un se dit de droite, l'autre de gauche. L'un se dit socialiste, mais son programme ne le serait pas. L'autre se réclame de « droite », mais grand admirateur de l'exception française. Comment les différencier?
 
Bonnet blanc et blanc bonnet 
  
          Au sommet européen de Barcelone, le monopole de distribution et de production de la société d'État Électricité de France devait être aboli, conformément aux directives européennes votées il y a de ça des années. Non contents d'y être allés par des avions séparés, de se faire la tête comme deux gamins, Chirac et Jospin ont crié à l'attaque injuste contre la « spécificité française », « les services publics à la française ». Ils ont beau se chamailler pour le principe, sur le fond, ils sont bien d'accords: on ne touche pas à l'État français et à ses dépendances! 
  
          Maintenant qu'ils sont enfin publiés, nous pouvons nous amuser à décortiquer les programmes des deux candidats pour les passer au crible libéral. Sortez vos mouchoirs! 
  
          D'abord on notera qu'aucun des deux candidats ne prévoit de reflux de l'État en France d'ici 5 ans. Ils veulent bien baisser les impôts..., mais augmenter les dépenses dans le même temps: + 8 milliards d'euros pour Jospin, + 15 pour Chirac. Pour nos amis canadiens, je rappelle que Jospin c'est le « socialiste ». 
  
          Comment réussir le prodige de baisser les impôts et de dépenser plus? Vive la croissance! Bien qu'il soit impossible par essence de prédire des taux de croissance, les économistes patentés ou les démagos de service en pondent des tout ronds pour nos politiciens. Voilà donc Chirac et Jospin qui tablent sur un « 3% » pendant 5 ans 
  
          On pourrait leur faire remarquer que sur les dix dernières années ce taux a plutôt oscillé entre -1% (95) et 3% (2000) et qu'en moyenne il a du stagner à 1%, mais pensez donc: leurs programmes suffiront à assurer 3%. N'est-ce pas M. Jospin qui, lorsque la croissance était au plus, expliquait que c'était le résultat de « sa » politique, et que la récession et la hausse du chômage étaient dûs à des « trous d'air »? 
  
          Mais ce qui manque à nos deux « futurs présidents », c'est une culture économique: les prévisions économiques se sont toujours révélées fausses, car il est purement et simplement impossible d'appréhender les décisions de millions de personnes. Tout au plus peut-on se risquer sans peine à décrire les effets pervers d'impôts, de législations sur la croissance et l'emploi, mais de là à en tirer des chiffres, c'est illusoire! 
  
-33% d'impôts.... sur le revenu 
  
          Chirac prévoit baisser d'un tiers l'impôt sur le revenu. 50% des Français à peine le payent et sa progressivité est d'une nocivité certaine sur l'incitation à travailler. Mais la baisse en elle-même n'est pas faramineuse: les 15 milliards d'euros de baisse des impôts tiennent dans cette unique proposition! 
  
          Et 15 milliards d'euros, c'est quoi au regard du budget de l'État français? Pas grand-chose, vous l'aurez deviné: entre charges sociales, taxes diverses, locales et nationales, l'État dépouille les contribuables bêlants de 500 à 600 milliards d'euros environ (3500 ou 4000 milliards de francs). Quinze milliards d'euros, c'est seulement 2.5% d'impôts en moins. 
  
          Toujours au crédit de Chirac, une réforme d'une taxe absurde: la taxe d'habitation. Elle est basée sur la valeur du logement que vous habitez. Sauf que... cette valeur ne peut être révélée que lors d'un contrat sur un marché libre. Et que par définition si vous habitez votre logement il n'est ni en vente ni à louer. Les étatistes ont trouvé la parade en basant cette taxe sur la valeur supposée des logements en... 1970! Chirac propose-t-il de supprimer cette taxe imbécile (et au demeurant élevée, puisque représentant entre 1 et 3 mois de loyer selon les villes)? Que nenni, il veut « l'aménager ». Une grande bouffée de liberté: on va vous aménager votre taxe! Sachant que cette taxe est perçue par les communes, voilà une perte de recettes fiscales qui va donner plus de poids... à l'État central! 
  
Des fonds de pension... « à la française » 
  
          Je viens là de détailler les mesures les plus positives du programme de Chirac. Car il existe des problèmes autrement plus graves que 15 milliards d'euros: les retraites par exemple (3000 milliards d'euros selon l'OCDE)! 
  
     « Ce qui manque à nos deux "futurs présidents", c'est une culture économique: les prévisions économiques se sont toujours révélées fausses, car il est purement et simplement impossible d'appréhender les décisions de millions de personnes. »
 
          Pour les retraites, Chirac est pour la solution « fonds de pension ». Mais pas question d'Enron chez nous! Ce seront des fonds de pension... « à la française »! Traduction? Gérés par les syndicats « représentatifs », c'est-à-dire reconnus comme tels, quand bien même ils n'auraient pas un seul adhérent, par une loi promulguée par un gouvernement communiste en 1946. Les syndicalistes sont bien connus en France pour leurs capacités à gérer des milliards de francs. D'ailleurs, regardez la Sécurité Sociale: jamais un déficit, n'est-ce pas? 
  
          L'une des mesures phares de Jospin en 1997, les 35 heures obligatoires-pour-tous-on-discute-pas, n'est même pas remise en cause dans le programme de Chirac. Liberté d'entreprendre? Liberté de travailler comme on l'entend? Chirac connaît pas! Il se définit lui-même comme un forcené du travail, certainement pas aux 35h! La liberté pour moi, pas pour les autres? Comme pour la taxe d'habitation, il veut « aménager »! 
  
Et Jospin alors? 
  
          Jospin, après les catastrophes des emplois jeunes (350 000 nouveaux fonctionnaires en 5 ans) et celle des 35h (coûts humain et financier inestimables), en prépare de nouvelles. Si si, c'est possible... 
  
          Il n'y aura plus de clochards dans les rues en 2007. Oui mon bon monsieur, Jospin les aura tous fait disparaître. Comment? Couverture logement universelle! Bienvenue à la communalska n°3985 camarade Michel!(1) J'avais traité le sujet il y a peu de temps (voir « UN TOIT (SUBVENTIONNÉ), C'EST UN DROIT! », le QL, no 95), le voilà qui ressurgit. Nulle doute que le marché eût été incapable de subvenir aux besoins des pauvres hères... s'ils n'avaient pas été chassés de chez eux par une taxe d'habitation peut-être? 
  
          Lionel Jospin est un double magicien. Non content de faire disparaître les vagabonds, il va escamoter 900 000 chômeurs. Certes l'INSEE (l'Institut national de la statistique et des études économiques) devrait lui donner un coup de main en dépoussiérant les chiffres, et l'ANPE (l'Agence nationale pour l'emploi) devrait radier des chômeurs des listes, mais tout de même: 900 000! Il va donc créer 200 000 emplois « réservés » pour les plus de 50 ans, 200 000 fonctionnaires de plus. Moi qui croyais qu'un emploi devait être une source de richesses, je me trompais: il faut qu'il soit source de réélection! 
  
Contrat d'autonomie avec l'État? 
  
          Pour ne pas se brouiller avec les jeunes, qu'il avait choyé avec ses « emplois jeunes », Jospin va les émanciper. Eh hop! un revenu d'autonomie pour la jeunesse. L'assistanat dès 18 ans! Les liens familiaux? Envolés! Le travail au McDo du coin pour financer les études? Ça fera un chômeur de moins! Les emprunts? Vous voulez assujettir les pauvres enfants au capital apatride de la City!?! 
  
          Le « contrat d'autonomie » (sic) permettra aux jeunes de réussir leurs études sans être forcés à travailler (enfer et damnation, le travail!!). Entre nous, est-ce que l'autonomie ce n'est pas se débrouiller tout seul? Si des jeunes sont abusés par cette pseudo-émancipation, qu'ils se disent bien qu'il y a un revers à toute médaille. Ce seront leurs parents qui payeront les impôts correspondants! 
  
Toujours plus... 
  
          Mais Jospin en veut toujours plus, et sur ce plan il est d'accord en tous points avec Chirac: il faut réguler la mondialisation, avoir plus d'Europe, annuler la dette du Tiers Monde, augmenter l'aide publique au développement et quoi d'autre encore? Taxe Tobin peut-être? 
  
          En lisant cet article vous aurez peut-être penché en faveur de Chirac. Mais écoutez donc plus précisément les déclarations de Chirac. Ses discours font-ils référence à la liberté individuelle? Non, d'ailleurs il se dit « contre tout système qui introduit une rupture avec le principe de solidarité nationale, et donc hostile aux sécurités sociales privées ». Un autre extrait? « L'État a le devoir de sauver la répartition. Il contribuera à l'effort collectif en apportant des recettes issues des ventes d'actifs publics et en garantissant un bon niveau de retraite par rapport au salaire d'activité. » Je n'en dis pas plus. Vous avez compris que Chirac est aussi étatiste que Jospin. 
  
          Jospin est tout simplement plus cohérent. Ses électeurs sont fonctionnaires, retraités, pleurnichards et incapables, éclopés ou idéalistes, peureux ou envieux, mais fidèles à leur maître, l'État. Chirac rajoute ici et là une touche de libéralisme très nuancée, noyée dans un flot étatiste. 
  
          Certains me demanderont par courrier pour qui je voterai. Aussi je leur réponds tout de suite: entre la peste et le choléra on ne choisit pas. Tout ça, c'est du pareil au même. 
 
 
1. Lionel Jospin a fait partie, au moins jusqu'au début des années 80, d'un groupe trotskiste. Le camarade Michel, Lionel Jospin, était alors chargé d'infiltrer... le Parti socialiste. Belle réussite.  >>
 
à voir:
Les programmes économiques de Jospin et Chirac comparés: http://www.tf1.fr/news/economie/0,,901329,00.html.
Les retraites selon Chirac: http://elections.tf1.fr/presidentielle/clefs/programmes/0,,900041-RklDSEUgMzA3OTA5,00.html.
Les sécurités sociales privées: http://elections.tf1.fr/presidentielle/clefs/candidats/chirac/0,,902632,00.html.
 
 
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