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Montréal, 13 avril 2002 / No 102 |
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par
Yvon Dionne
Depuis la publication le 7 mars du rapport de la Commission Séguin sur le déséquilibre fiscal, sauf quelques rares exceptions(1), à peu près personne a remis en question les postulats, l'analyse et les conclusions de ce rapport. Cette commission portait le mot dans son nom et elle était chargée de démontrer que les besoins sont à Québec, alors que l'argent est à Ottawa. Donc il y a déséquilibre. Même un économiste d'une grande banque n'a pu s'empêcher de lancer une flèche à ceux qui osent douter, en disant qu'il ne fallait pas connaître beaucoup l'économie pour nier qu'il y a effectivement un déséquilibre fiscal. |
Que l'on me permette un instant de jouer le loup dans cette bergerie d'une
vérité qui me paraît trop tranquille. Dire que l'argent
est à Ottawa n'est pas une preuve de déséquilibre
fiscal car cela peut simplement signifier qu'Ottawa prélève
trop de taxes (ce qui est le cas). Il n'y a un déséquilibre
que si l'on part d'un point de vue étatiste où l'État
se donne la mission d'offrir les mêmes services à tous, puisque
la capacité fiscale des résidents du Québec est moindre,
par exemple, que celle des Albertains. De plus, les remèdes qui
sont apportés, en l'occurrence les transferts aux provinces (dont
la péréquation), n'ont pas fait la preuve d'une guérison
rapide des malades... C'est tellement vrai qu'il y a lieu de se demander
s'il ne vaudrait pas mieux que le gouvernement central remette directement
aux individus les sommes qu'il verse aux provinces afin que les individus
puissent décider eux-mêmes des services qu'ils veulent se
payer, probablement à moindre coût.
Le fond du problème au Québec c'est, comme le dit d'ailleurs le Conseil du patronat du Québec, un problème de création de richesse, ce qui explique les différences de capacité fiscale entre le Québec et les autres provinces, en supposant que nous ne puissions nous satisfaire d'un État moins imposant qu'ailleurs. Il est inadmissible que le Québec soit moins riche per capita que l'Ontario et que sa population stagne. Mais j'ajoute qu'il faut se tourner vers cette autre donnée de l'équation: nous avons des étatistes au pouvoir qui considèrent la richesse comme étant une richesse collective et qui s'empressent de la gaspiller, ou d'empêcher qu'elle se crée, avant même qu'elle soit créée! L'argent n'a pas d'odeur La Commission Séguin(2) dit qu'il y a équilibre fiscal dans un régime fédératif(3) quand le partage des taxes permet à tous les niveaux de gouvernements de répondre aux besoins de la population dans leurs champs de compétence. Le gouvernement fédéral comble théoriquement l'écart dans la capacité fiscale des provinces les moins riches par un régime de péréquation et le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux (TCSPS). Ces transferts fédéraux, en 2001, comptaient pour 19% des revenus budgétaires du gouvernement du Québec et permettaient de couvrir plus de 55% du budget de la santé du Québec. L'économiste James Buchanan, prix Nobel et théoricien de la péréquation, écrit que La capacité fiscale est évaluée en fonction, certes, de ressources inégales, mais leur contrepartie sont des besoins jugés égalitaires à l'intérieur d'une fédération, sans considération d'efficacité et aussi sans tenir compte que les gouvernements provinciaux vont profiter de le péréquation pour éviter les ajustements nécessaires. La péréquation est comparable à l'aide sociale: elle pénalise le succès et elle incite à la dépendance. On ne peut pas supposer non plus que la capacité fiscale d'un gouvernement provincial riche soit toujours à l'avantage de cette province puisque sa propension à dépenser, quasi naturelle à tous les États qui voient venir l'argent facile, pourrait fort bien se traduire en un désincitatif économique. Finalement, on ne peut pas supposer que les transferts entre gouvernements soient le meilleur choix, compte tenu du fait qu'ils contribuent à restreindre le choix des individus en renforçant le rôle des bureaucraties politiques locales et en contribuant à cette tragédie propre aux biens ou aux services dits publics: comme ces biens appartiennent à l'État, donc à tous, tous veulent en profiter et tous ont intérêt à en abuser. Il est donc tout à fait pertinent de se demander si la péréquation n'est pas un mal plus préjudiciable pour les régions que la nécessité de faire face à la réalité des coûts et des prix. D'ailleurs, même dans un État unitaire, les régions sont inévitablement délaissées en l'absence de ressources et d'une population capables de justifier la présence d'un minimum de services étatisés(5). Lutter à contre-courant de cette réalité, c'est se comporter comme le font généralement les États, c'est-à-dire prendre aux uns pour donner aux autres, en subventionnant par exemple des industries non rentables. Même si elle recommande des changements au calcul de la péréquation afin d'accroître les versements fédéraux, la solution privilégiée par la Commission Séguin est l'abolition des transferts fédéraux au titre du TCSPS (qui est l'expression du pouvoir fédéral de dépenser dans des domaines de juridiction provinciale) et leur remplacement par le produit de la taxe fédérale sur les produits et services (TPS) ou par des points d'impôts sur le revenu (mais la Commission préfère le produit de la TPS). L'objectif: le Québec a besoin au plus sacrant de Au Québec, les moutons sont tondus même en hiver Mais qui décide du partage des taxes entre gouvernements au Canada? Personne, à vrai dire, surtout pas les contribuables. Les gouvernements provinciaux ont accès à toutes les sources de taxation du fédéral, et en plus elles prélèvent des taxes dans des domaines qui leur sont réservés (richesses naturelles, Hydro-Québec, loteries, alcool, impôts fonciers). Les provinces décident elles-mêmes des taux de taxation et elles décident aussi du champ fiscal des municipalités. La réalité, c'est que le Québec a atteint le fond du baril pour ce qui est du niveau de tolérance de la population vis-à-vis les taxes et qu'il ne voit d'autre issue que de quêter le fédéral. Toute cette affaire n'est qu'une étape dans un vieux débat entre étatistes qui veulent se partager une prétendue assiette fiscale, débat qui prend au Québec une saveur fortement nationaliste. Il n'est nullement question de part et d'autre de soulever la pertinence du niveau des dépenses ou de réduire les impôts. Comme je l'écrivais récemment dans le QL(6), les moutons ne pouvant produire plus de laine que ce qu'ils donnent en ce moment, les deux niveaux de gouvernement se chicanent sur le partage de la laine.
Néanmoins, le gouvernement du Parti québécois semble avoir trouvé son cheval de bataille pour les prochaines élections générales en prenant en quelque sorte la population en otage sur les restrictions à la santé publique dont il a le monopole; c'est un moyen de diversion pour camoufler sa folie dépensière, dite progressiste, dans tous les domaines (l'assurance médicaments, les garderies à L'argument principal ayant servi à la Commission Séguin pour démontrer le déséquilibre est la simulation produite pour cette commission par le Conference Board du Canada. Dans cette simulation plutôt linéaire et statique – où évidemment il n'y a pas de réductions d'impôts..., – le surplus fédéral est affecté à la réduction de la dette, permettant ainsi de dégager un surplus cumulatif considérable par l'économie au service de la dette; ce scénario ne peut être envisagé pour le Québec, puisqu'il n'a réalisé récemment qu'un surplus symbolique et qu'au contraire il continue de s'endetter(7). Les pressions les plus fortes, dit le rapport Séguin, proviennent indéniablement de la croissance des dépenses de santé. Soit. Mais, d'une part, ceci ne signifie pas nécessairement que l'argent sera toujours à Ottawa pour défrayer cette croissance des coûts, d'autant plus que le produit de la TPS croît moins rapidement que les dépenses de la santé dite publique. D'autre part, le Québec se refuse de faire les choix qui s'imposent en matière de santé afin de préserver son monopole. Or les services de santé au Québec sont l'exemple à ne pas suivre: politisation des décisions, bureaucratie coûteuse, gestion de la rareté par les files d'attente, équipement désuet, etc(8). Le gouvernement Landry essaie donc de nous faire accroire que les pressions sur les dépenses de son gouvernement ne viennent pas de lui, de ses choix politiques, qu'elles seraient dues au vieillissement de la population (un alibi trop facile) et au déséquilibre fiscal, quand lui-même, avec les nouvelles dépenses annoncées le 19 mars, nous fait la preuve du contraire et qu'il vient de franchir un nouveau pas en vue de raffermir sa médecine soviétisée en décidant d'introduire une carte à puce dont on ne finit pas de découvrir les dessous nébuleux. En somme, comment expliquer que le Québec soit tant en déséquilibre quand on sait que nous sommes les plus taxés au Canada malgré toutes les créations d'emplois que nous annonce régulièrement ce gouvernement? Les étatistes du fédéral répondent: nous aussi on a des besoins! Ce qui ajoute à la confusion et contribue à donner de la crédibilité à la notion de déséquilibre, c'est le gouvernement fédéral lui-même. Le message du fédéral se résume à ceci: si Québec a des problèmes de revenus, qu'il taxe davantage. Or, les étatistes et centralisateurs du Parti libéral du Canada, qui gouvernent à Ottawa, ont quand même commis plusieurs péchés: 1) Comme le fédéral montre un surplus budgétaire, réalisé en grande partie par ses coupures dans les transferts aux provinces, sans avoir fait un véritable ménage dans ses autres dépenses, cela permet à plusieurs gouvernements provinciaux de dire que le fédéral ne transfère pas suffisamment d'argent. Or, non seulement le fédéral affiche-t-il une dette considérable créée par le financement de l'épicerie, ce surplus actuel et récent est constitué en partie de l'excédent des cotisations à la caisse de l'assurance emploi, surplus que le gouvernement fédéral devrait remettre aux cotisants via des baisses de cotisations.Dans sa réplique(10) au rapport Séguin, le gouvernement fédéral fait en quelque sorte la preuve qu'il s'agit là d'un discours entre déséquilibrés puisqu'il se contente de démontrer que les besoins sont aussi à Ottawa. Où sont les contribuables (un mot de la novlangue pour désigner ceux à qui le souverain prend de force leur argent) dans tout ça? En sous-entendu, le gouvernement fédéral dit bien sûr qu'il doit donner la priorité à la réduction de sa dette. Mais il devrait aussi: a) Faire le grand nettoyage de ses propres dépenses;Comme on est loin de la mer à boire et qu'il est utopique de penser qu'elle peut venir de l'État, il est à parier que le ministère du Revenu du Québec continuera de nous inviter à être dociles envers les taxes et Big Brother qui décide de notre bien à tous, en nous disant dans son avis de cotisation:
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