Montréal, 11 mai 2002  /  No 104  
 
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Frank Shostak est chercheur associé à l'Institut Mises. Cet article a d'abord été publié sous le titre WHAT IS UP WITH THE GDP? et a été traduit par André Dorais. Il est reproduit ici avec la permission de l'auteur.
 
OPINION
 
LE PIB: UN CONCEPT ÉCONOMIQUE 
INUTILE ET NÉFASTE
 
par Frank Shostak
  
 
          Afin de déterminer l'état de l'économie, plusieurs font appel au produit intérieur brut. Le PIB indique la valeur des biens et services finis lors d'une période donnée, habituellement un trimestre ou une année. Cette statistique est établie d'après l'idée que la consommation, non pas la production de richesses, fait avancer l'économie. Selon ce point de vue, ce qui importe est la demande en biens et services finis. Puisque les dépenses des consommateurs constituent la majeure partie de la demande globale, il est communément dit que la croissance économique est mue par la demande des consommateurs.
 
          Or, cette façon de voir ne colle pas à la réalité. Elle imagine un monde où les désirs individuels sont toujours satisfaits, car elle considère l'offre des biens comme allant de soi. Tout ce qui importe est la demande qui, à son tour, donne vie à un fournisseur presque immédiatement. Les divers niveaux de production qui précèdent le bien final sont ignorés. 
  
Une fiction de l'économie 
  
          Dans le monde réel il ne suffit pas d'avoir une demande, il faut encore les moyens de la satisfaire. Ces moyens, ces biens intermédiaires requis pour la production des biens finals, ne sont pas disponibles immédiatement, ils doivent être produits. Ainsi, en vue de construire une automobile, du charbon a été nécessaire à la production de métal qui, à son tour, a été utilisé pour fabriquer des outils, lesquels serviront à la fabrication de machines, et cetera, jusqu'à la production d'une automobile. L'interaction harmonieuse des divers niveaux de production résultera en un produit final. 
  
          La structure du PIB donne l'impression que ce ne sont pas les activités individuelles qui produisent les biens et services, mais quelque chose d'extérieur à ces activités nommé « économie ». Or, d'aucune manière l'économie n'a une vie en soi indépendante des individus. Il s'agit d'une métaphore, cette économie n'existe pas. 
  
          En regroupant les valeurs des biens et services finis, les statisticiens concrétisent une fiction de l'économie par l'entremise du PIB. En disant de l'économie qu'elle a une vie en soi, les économistes populaires (majoritaires) en arrivent à cette drôle de conclusion, à savoir que ce qui est bon pour les individus ne l'est pas nécessairement pour l'économie et vice versa. Or, l'économie n'existe pas sans les individus, dès lors ce qui est bon pour les individus ne peut pas être mauvais pour l'économie. 
  
          La structure du PIB ne peut nous dire si les biens et services finis comptabilisés sont le résultat d'une augmentation de la richesse ou de la consommation. Ainsi, lorsqu'un gouvernement décide de construire une pyramide ou une autre chose qui n'ajoute rien au bien-être des individus, cela se traduit néanmoins par une croissance économique selon le PIB. La réalité est que les fonds nécessaires à cette construction réduisent d'autant les activités génératrices de richesses. 
  
          Parce que la structure du PIB ignore complètement les niveaux intermédiaires de production, elle ne peut être d'aucune aide dans l'évaluation du cycle économique. Ainsi, il n'est pas surprenant que les économistes populaires en arrivent à la conclusion qu'une récession est le résultat d'une baisse soudaine des dépenses de consommation. Dans ce cadre de pensée, par conséquent, il est logique de promouvoir une politique monétaire expansionniste afin de revigorer « l'économie ». 
  
De national à individuel 
  
          La notion de PIB donne également l'impression qu'il existe une telle chose qu'une production nationale. Or, la richesse est produite par des individus et appartient à des individus. Autrement dit, les biens et services ne sont pas produits en totalité par la nation et supervisés par un chef suprême. Cela, à son tour, signifie que le concept même de PIB est dénué de fondement. C'est un concept vide. 
  
          D'autres sérieux problèmes existent quant au calcul du PIB. Pour calculer une somme, différentes choses doivent être additionnées et afin d'additionner ces choses elles doivent avoir un point commun. Or, il est impossible d'additionner des réfrigérateurs à des autos et des t-shirts afin d'obtenir le total des biens finis. Et puisque la production totale ne peut être définie correctement, on ne peut la quantifier. 
  
          Afin de résoudre ce problème, les économistes populaires divisent les dépenses totales sur les biens par le prix moyen de ces biens. Dans ce cas, à quoi attribue-t-on le prix? Au taux de change établi entre des biens lors d'une transaction entre deux individus en un lieu et temps donnés. Au sein de notre économie monétaire, le prix est le montant d'argent divisé par la quantité d'un bien. Imaginons deux transactions: dans la première, un téléviseur est échangé contre 1000 $ et dans la seconde, une chemise est échangée contre 40 $. Le prix ou le taux de change de la première transaction est de 1000 $/1 télé, alors que le prix de la seconde est de 40 $/1 chemise. Afin de calculer le prix moyen on doit additionner ces deux ratios et les diviser par deux. Toutefois, ces ratios ne peuvent être additionnés de sorte qu'on ne peut établir de prix moyen. 
 
     « En imprimant de l'argent comme bon lui semble et en manipulant les taux d'intérêt, la banque centrale n'aide pas à générer la prospérité, mais seulement à produire un plus gros PIB, et cela en nous menaçant tous de nous appauvrir en créant un autre cycle économique. »
 
          Il est intéressant de constater que sur le marché des matières premières, les prix sont cotés en se référant à la matière en question: dollars/baril d'huile, dollars/once d'or, dollars/tonne de cuivre, etc. Encore une fois, tout concept de moyenne de prix utilisé implique une somme ou une multiplication de choses différentes et est donc illégitime. 
  
          Alors que devons-nous faire des énoncés périodiques disant, par l'entremise du PIB, que l'économie a progressé ou régressé d'un certain pourcentage? Tout ce qu'on peut dire est que ce pourcentage n'a rien à voir avec la croissance réelle de l'économie et que cela reflète plutôt le taux d'augmentation de la monnaie papier qui a été imprimée. 
  
          Plus il y a impression d'argent par la banque centrale et le secteur bancaire, plus les dépenses monétaires seront élevées. Cela signifie, par conséquent, que « l'économie » reflétera l'offre de la monnaie. 
  
          Il n'est donc pas surprenant qu'avec la structure du PIB la banque centrale puisse causer une croissance économique. [Il est également déroutant de constater que la plupart des économistes croient à ce pouvoir de la banque centrale. Auraient-ils épuisé leur faculté de penser à essayer de traduire la logique en axiomes mathématiques?] 
  
Un instrument de l'État 
  
          À quoi sert-il de connaître le taux de croissance économique? Dans une économie libre de l'intervention gouvernementale, cette information ne servirait en rien l'entrepreneur. Le seul indicateur qu'un entrepreneur utilise est celui des profits et pertes. Or, si l'on cherche à obtenir un profit, quelle est l'utilité de savoir que « l'économie » a crû de 4% pendant une période donnée? 
  
          Ce qu'un entrepreneur requiert est non pas une information générale, mais une information spécifique quant à la demande d'un produit spécifique. L'entrepreneur lui-même a besoin de son propre réseau d'information pour ses projets. 
  
          Il en va tout autrement toutefois lorsque le gouvernement et la banque centrale s'insinuent dans les affaires des entreprises. Sous ces conditions, aucun homme d'affaires ne peut ignorer le PIB puisque le gouvernement et la banque centrale réagissent à cette statistique par l'entremise de politiques fiscales et monétaires. Il en va de même des participants des marchés financiers qui suivent l'évolution du PIB afin d'évaluer la réponse possible de la banque centrale. 
  
          Toute une armée d'économistes est occupée à essayer de prédire ce que la banque centrale fera des taux d'intérêt. Afin de donner une raison à tout ça, une nouvelle forme d'économie a été inventée: la macro-économie. Inutile de dire que cette forme de science économique ne se préoccupe pas du monde réel, mais bien d'une entité qui n'existe pas et que l'on nomme « l'économie ». 
  
          Par l'entremise du PIB, les fonctionnaires du gouvernement et de la banque centrale donnent l'impression qu'ils peuvent conduire le navire qu'est l'économie. Selon ce mythe, l'économie est censée suivre le chemin tracé par ces gens omniscients. Ainsi, chaque fois que le taux de croissance glisse sous le seuil prévu, ils donneront une poussée à « l'économie » et, au contraire, lorsque « l'économie » croît trop rapidement, ils interviendront afin de la refroidir. 
  
          Si l'exercice de ces politiques était confiné seulement au PIB, il serait sans danger. Toutefois, ces politiques interfèrent avec les activités des producteurs de richesse et minent le bien-être des individus. Pour prendre un exemple, en intervenant dans « l'économie » afin de la rendre plus efficace les agents du gouvernement américain sont occupés à détruire un gros créateur de richesses: Microsoft. 
  
          De même manière, en imprimant de l'argent comme bon lui semble et en manipulant les taux d'intérêt, la banque centrale n'aide pas à générer la prospérité, mais seulement à produire un plus gros PIB, et cela en nous menaçant tous de nous appauvrir en créant un autre cycle économique. 
  
          On peut conclure que la structure du PIB est une abstraction vide dénuée de lien avec le monde réel. En dépit de cela, l'instrument qu'est le PIB est en grande demande auprès des agents du gouvernement et de la banque centrale puisqu'il procure une justification à leurs interventions auprès des entreprises. Il fournit également un cadre illusoire de référence à l'évaluation de la performance des agents du gouvernement. 
  
 
 
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