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Montréal, 11 mai 2002 / No 104 |
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par
Henri Lepage
Le premier fait que je retiens de ces élections, c'est l'échec d'Alain Madelin. Pour moi c'est tout de même ce qui est important, car c'est en fait |
Lorsqu'il s'est lancé dans l'aventure présidentielle, Alain
Madelin avait bien précisé qu'il avait l'intention Les raisons de l'échec Évidemment se pose immédiatement la question du De son côté, en Grande Bretagne, il y avait le travail génial de l'Institute of Economic Affairs qui, lui, se spécialisait dans la Pour moi, l'échec de Madelin à ces élections est ainsi un peu le bout de la route. Bien sûr, les choses ont évolué. Nous avons tout de même fait un sérieux bout de chemin au cours de ces vingt cinq ans. Il y a eu l'effondrement du communisme. Les nationalisations des socialistes bien sûr, mais ensuite les privatisations, la remise en cause des grands monopoles publics comme le téléphone. Qui aurait pu penser alors que l'idée même du monopole d'EDF (Électricité de France) puisse un jour être remis en cause? On mesure le chemin réalisé. Mais il ne faut pas pousser le raisonnement trop loin. Il n'est que de vivre et de travailler à Bruxelles, comme je le fais maintenant, pour voir à quel point la machine réglementaire publique fonctionne actuellement à plein régime. L'Europe force l'ouverture à la concurrence dans les anciens domaines protégés des services publics, et c'est bien. Mais simultanément, sous prétexte d'harmonisation réglementaire, elle ne cesse d'augmenter les entraves à la libre concurrence dans tous les autres secteurs. C'est le paradoxe du grand marché européen. Oubliés les messages du Public Choice, l'évaluation des coûts réglementaires. Il faut en fait tout reprendre à zéro. Déferlement du Le second message qui me paraît important est de bien comprendre qu'en aucun cas le résultat des élections n'est une grande victoire de la droite. Paradoxalement, le score record de Chirac obscurcit les choses et accroît les ambiguïtés, donc les risques d'erreur politique. Le fait qui me paraît essentiel est non pas le résultat final, l'élection de Chirac, mais ce que nous venons de vivre pendant les deux semaines qui ont séparé les deux tours: le déferlement quasiment totalitaire du Le très respecté Wall Street Journal a salué la réélection du Président comme l'ouverture d'une formidable opportunité laissant espérer que la France libérée de l'hypocrisie jospinienne allait enfin pouvoir rejoindre le cortège des nations européennes décidées à affronter directement le problème des grandes réformes nécessaires à la mobilisation des énergies économiques (retraites, fonds de pension, services publics, flexibilité de l'emploi, etc.). Rien n'est plus faux. Contrairement aux apparences, contrairement aussi aux impressions que peuvent susciter les premiers jours du nouveau gouvernement, c'est, me semble-t-il, l'immobilisme – ou du moins le traditionnel La sécurité va sans aucun doute devenir la grande priorité des mois qui viennent. Les ministres vont s'agiter, taper du poing sur la table, réorganiser, ordonner, et tutti quanti... mais n'attendez pas de véritables réformes sérieuses là où se joue le futur de la société française par rapport aux contraintes de la nouvelle société du 21ème siècle. Les 82% de Jacques Chirac sont plutôt un facteur de paralysie, une victoire pour tous les conservatismes, qu'ils soient de droite ou de gauche. Quinze jours de manifestations dans toutes les villes de France, des plus grandes aux plus petites, un million et demi de manifestants dans la rue pour le seul 1er mai, c'est là une performance qui ne peut que durablement traumatiser tout homme politique un tant soit peu soucieux de son avenir personnel. Même s'il voulait les réformes, Chirac est d'ores et déjà neutralisé. C'est quotidiennement désormais que lui-même, ou son gouvernement, devront affronter le chantage à la rue de ceux qui, à tout instant, pourront à juste titre lui rappeler
Cette société-là, cette France du réel dont les chroniqueurs étrangers ont bien évidemment du mal à percevoir l'existence, n'a pas grand souci à se faire, malgré la soi-disant victoire de la Une recomposition jacobine de la droite Un élément essentiel qui vient de se jouer au coeur même de la vie politique française renforce ce que je viens de dire. C'est Qu'à la suite de sa victoire Jacques Chirac veuille en profiter pour doter la France d'un grand parti de droite, analogue aux conservateurs britanniques, à la CDU-CSU allemande, ou encore au Partido Popular espagnol, semble légitime. De toute façon cette union est indispensable pour gagner les prochaines législatives et éviter que la France ne se retrouve à nouveau dans l'épreuve d'une nouvelle cohabitation. Mais il y a union et union. Tout dépend de ce que l'on met dedans. C'est comme le fédéralisme, quand on parle d'Europe. Il y a plusieurs formules ou structures fédérales possibles. En France tout est conditionné aujourd'hui par le financement public des partis. Tout mouvement qui réussit à présenter plus de cinquante candidats dans toute la France à des élections législatives a automatiquement droit à une subvention de 1.6 € par vote acquis. De la même façon tout élu – qu'il soit national (député) ou local (maire, conseiller général, conseiller régional) – reçoit automatiquement une certaine somme versée par le Trésor public. Une union se fait par la base, ou par le sommet. Le principe d'une « union » est que l'on se regroupe sous une même étiquette politique tout en admettant qu'il y ait au sein de ce groupement un certain nombre de tendances ou de courants. Lorsque l'union se fait par la base, le regroupement est le résultat d'une alliance entre des mouvements qui conservent leur identité personnelle, et donc leurs sources de financement. C'est aux composantes de l'union que l'État verse ses subventions, à charge pour celles-ci d'en reverser une quote part pour assurer le financement global de l'alliance. C'est ainsi que fonctionnait par exemple l'ancienne UDF (Union pour la Démocratie Française). Mais il y a une autre formule possible: c'est l'union elle-même, en tant que telle, qui est propriétaire des sommes auxquelles son nombre global d'élus donne droit, et qui en reverse une quote part aux différents courants qui la composent. Avec la première formule, on a une solution de type Le choix de la formule dépendait des résultats du premier tour. Si Jospin était resté dans le coup, Chirac aurait eu besoin de l'appui de toutes les voix de l'opposition. La moindre voix obtenue par François Bayrou ou Madelin aurait valu pour lui de l'or. L'UMP se serait constituée sur un mode décentralisé valorisant ses composantes libérales et centristes. Mais avec l'élimination de Jospin et le raz de marée du second tour, l'Opposition s'est retrouvée dans un cas de figure tout à fait différent. Qu'importent les voix de Bayrou et de Madelin? Plus personne n'a besoin d'eux. Alain Juppé, qui ne fait pas mystère de ses intentions pour les présidentielles de 2007, en a immédiatement profité. Ce qui importe pour lui est d'éliminer toute concurrence possible au sein de la future union, afin d'être demain le seul candidat possible. L'occasion était trop belle. Un homme politique, leader d'un mouvement, n'existe que par les finances qu'il contrôle. C'est, on ne peut l'éviter, le nerf de la guerre. En faisant imposer par Chirac la formule d'organisation jacobine – l'union Le libéralisme n'a plus d'identité politique en France Bayrou et Madelin peuvent résister, mais d'ores et déjà ils sont éliminés du jeu politique français – à cause du calendrier électoral, ils ont déjà perdu quasiment toutes leurs troupes d'élus nationaux (l'intégralité pour Madelin, environ la moitié pour Bayrou). Les jeux étaient quasiment faits dès lors que le gouvernement de Lionel Jospin avait décidé de modifier le calendrier pour replacer les législatives après les présidentielles. Dès lors que le seul candidat vraisemblable de l'opposition à se retrouver sélectionné au premier tour était Chirac, il est évident que les députés Démocratie Libérale et UDF avaient intérêt pour avoir des chances de retrouver leur siège à soigner leurs relations avec le Président sortant et son organisation, le RPR (Rassemblement pour la République). Pour sauver leur peau, il leur faut absolument bénéficier de la candidature unique de l'opposition dans leur circonscription. C'est ainsi qu'Alain Madelin est allé au combat des présidentielles tout seul, sans bénéficier du soutien officiel de son parti, alors même que la majorité de ses députés avaient décidé de soutenir la candidature de Chirac, même dès le premier tour. De la même façon, la candidature de Bayrou s'est heurtée à une forte opposition au sein même de son parti. Avec la surprise de Le Pen au premier tour, Bayrou et Madelin se sont retrouvés dans la pire des situations politiques possibles. Juppé l'a immédiatement compris et sauté sur l'occasion pour, littéralement, les Ce n'est que de la politique politicienne, mais les conséquences pour l'avenir du pays sont immenses. Juppé, on l'a déjà vu à l'oeuvre. On ne peut pas dire qu'il brille par son libéralisme. Il représente plutôt l'archétype presque caricatural de l'Énarchie et de son empirisme jacobin. Sachant que l'ancien premier ministre est resté traumatisé par les manifestations massives de décembre 1995, dans les circonstances actuelles, il me semble que ce n'est pas de lui qu'il soit aujourd'hui possible d'attendre l'entreprise d'un vaste plan de réformes touchant aux ressorts profonds du pays. Il est au contraire la personnalisation même du principal résultat de ces élections: la victoire de tous les conservatismes. Raffarin est sympathique. Mais, actuellement, ce n'est pas lui qui compte. Le Fondamentalement, tout cela n'augure rien de bon pour l'avenir. On sentait bien qu'en France un malaise montait dont on savait bien qu'il devait un jour se manifester par quelque chose. Mais on avait évidemment du mal à imaginer par quoi il allait se concrétiser. C'est arrivé. Ce fut le psychodrame des quinze derniers jours. En un certain sens celui-ci a révélé un incontestable progrès des pratiques démocratiques en France. Il est remarquable que les manifestations du 1er mai n'aient débouché sur aucun incident significatif. Il y a quelques années c'était typiquement le genre de situation qui ne pouvait se terminer que par des coups de poing et des affrontements nettement plus violents. La démocratie française a d'une certaine manière fait la preuve de sa plus grande maturité. Cela dit, il ne faut pas croire que l'élection plébiscitaire de Jacques Chirac a purgé l'abcès et suffit à se dire que tout peut désormais rentrer dans l'ordre. Pour la bonne raison que l'élection de Chirac n'a fondamentalement rien changé aux sources mêmes du malaise et de sa dynamique. Pour comprendre pourquoi il en est ainsi il faut revenir au rôle joué dans les événements récents par l'idéologie du Mais encore ne faut-il pas aller trop loin, ne faut-il pas exagérer. Or précisément, c'est ce que fait l'idéologie contemporaine du Repensé en ces termes, il est bien évident que ce n'est pas le déferlement du Ces risques me paraissent aujourd'hui d'autant plus grands et probables qu'il faut ajouter à toute cette description la prise en compte d'un dernier événement largement passé sous silence, mais qui me paraît devoir être déterminant pour l'avenir: il s'agit des interférences qui sont apparues entre la crise politique française et les événements tragiques du Moyen-Orient. L'événement probablement le plus important des dernières semaines, mais totalement occulté par la nature étroitement politique de nos préoccupations électorales, est l'apparition d'une convergence entre le |
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