Montréal, 11 mai 2002  /  No 104  
 
<< page précédente 
  
  
 
 
Norman Roy est analyste et expert en immobilier à Montréal.
 
OPINION
  
BOIS D'OEUVRE: IL FAUT EN FINIR AVEC LE SYSTÈME PROTECTIONNISTE CANADIEN
 
par Norman Roy
 
 
 
          Le département du Commerce américain impose de nouvelles pénalités antidumping et compensatoires cumulées de 29% sur les importations de bois de construction canadien. Selon Pierre Pettigrew, « Ce chiffre de 29% est obscène, c'est incroyable après tout ce que nous avons fait. » Il a annoncé que le Canada contesterait les nouvelles sanctions à la fois dans le cadre de l'ALENA et devant l'Organisation mondiale du commerce. Le gouvernement fédéral laisse entendre qu'il va maintenant discuter avec les provinces et l'industrie de mesures intérimaires pour aider les travailleurs qui pourraient être affectés par cette mesure.
 
          Au Québec, l'Association des manufacturiers de bois de sciage s'est dite choquée. Elle demande au gouvernement d'intervenir énergiquement. L'opposition libérale québécoise a également demandé au gouvernement Landry d'adopter un plan de soutien pour les milliers de travailleurs touchés par ce conflit. On évalue leur nombre à près de 7000. Quel gâchis, dans quel pétrin nous nous sommes mis! 
  
Trop attrayant, le bois canadien 
  
          Les producteurs de bois américains ont réclamé des droits compensatoires en accusant le Canada de subventionner ses producteurs forestiers. Les tarifs douaniers se décomposent en 19,34% de droits compensatoires au lieu de 19,31% précédemment, et en 9,67% de droits antidumping au lieu de 12,58% auparavant.  
  
          Au Canada, le bois est une richesse naturelle abondante que l'on transforme et utilise dans la fabrication de produits tels le papier, les meubles, le bois de construction, etc. Le bois d'oeuvre est utilisé pour la construction. Constitué généralement de bois résineux comme l'épinette, le pin et le sapin, il ne comprend pas, toutefois, les essences de bois franc comme l'érable, le merisier et le chêne. Une grande partie du papier est fabriquée à partir des copeaux et résidus de bois générés par les usines de sciage.  
  
          L'industrie forestière américaine accuse Ottawa de « dumping », c'est-à-dire de vendre notre bois d'oeuvre aux États-Unis à des prix inférieurs à ce qu'il en coûte réellement pour le produire. Ce qui, selon Washington, combinée à la faible valeur du dollar canadien, rend le bois d'oeuvre canadien trop attrayant pour les entrepreneurs américains qui délaissent le bois américain, au péril de leur propre industrie forestière. Les ventes canadiennes de bois d'oeuvre aux États-Unis représentent un marché de près de 10 milliards de dollars par année. 80% des exportations canadiennes, tous biens confondus, sont écoulées aux États-Unis. Le tiers du bois de construction vendu aux États-Unis provient du Canada. 
  
          Au Canada, l'exploitation forestière se fait majoritairement sur les terres de la Couronne (90% au Canada, 80% au Québec, contre 37% sur les terres publiques aux États-Unis), en échange de droits de coupe payés aux gouvernements par l'industrie forestière. L'abondance des terres boisées canadiennes (10% de l'espace forestier mondial) combinée à des politiques peu sévères en matière de préservation des forêts publiques permettent à notre industrie forestière de couper le bois à un prix relativement peu élevé par rapport aux prix du marché nord-américain. Aux États-Unis, la coupe de bois se fait généralement dans des forêts privées dont les propriétaires exigent des droits de coupe plus élevés qu'au Canada. Comme beaucoup de constructeurs américains achètent du bois canadien pour construire des maisons, le coût des habitations s'en trouve réduit par rapport à ceux qui utilisent du bois américain et qui en bout de ligne doivent absorber des pertes pour demeurer concurrentiels.  
  
          Les États-Unis accusent donc le Canada de subventionner illégalement son industrie forestière en lui permettant de couper dans les terres publiques en échange de droits de coupe dérisoires. Ce qui, aux yeux de Washington, permet au Canada d'écouler son bois d'oeuvre à des prix inférieurs au marché. C'est dans le but de corriger ce déséquilibre et de protéger son industrie forestière que le gouvernement américain impose des taxes compensatoires qui élèvent artificiellement le prix du bois canadien sur les marchés américains afin de maintenir leur bois concurrentiel. Est-ce une approche réaliste ou une mesure protectionniste? La décision de la Commission du commerce international des États-Unis (USITC) est unanime. Pourquoi personne au Canada ne se demande-t-il pas si les Américains n'auraient pas raison? En décembre 1986, le Canada n'avait-il pas admis que les droits de coupe canadiens équivalaient à une subvention de 15%? 
  
Relevez les droits de coupe 
 
          L'accord canado-américain sur le bois d'oeuvre signé en 1996, après 15 ans de querelles commerciales et de discussions infructueuses, expirait en avril 2001. En vertu de cet accord, le Canada avait le droit d'exporter sans taxes aux États-Unis 14,7 milliards de pieds-planche de bois. Au-delà de cette quantité, le bois canadien était soumis à des droits compensatoires. En plus de l'industrie forestière américaine, des groupes écologistes des deux côtés de la frontière réclament des lois beaucoup plus sévères au Canada sur la protection des forêts publiques.  
  
     « C'est le système canadien des quotas et des droits de coupe qui est protectionniste. L'occasion est là pourtant d'en finir avec ce système arbitraire et d'en venir enfin au libre marché. »
 
          Certains se demandent si cette levée de boucliers des Américains ne cacherait pas autre chose qu'une attitude purement protectionniste à l'égard de nos ressources naturelles. Selon Claude Chiasson, du journal Le Devoir, une stratégie américaine consiste à affaiblir un secteur particulier de notre économie par le biais de mesures protectionnistes, pour ensuite en prendre le contrôle en rachetant les usines canadiennes, au bord de la faillite. Il est évident que c'est exactement ce qui va se passer. Le Canada va éventuellement gagner devant l'Organisation mondiale du commerce, mais dans combien de temps? 6 mois, 12, 18 mois? Dans assez longtemps pour que l'industrie canadienne du bois de sciage soit à moitié morte et prête à se vendre à petit prix. 
  
          Avec la faible valeur de leur dollar, les Canadiens croient que leurs ressources constituent une aubaine pour les investisseurs américains et ils ont raison, les Américains bénéficient au Canada réellement d'un escompte de 40%. Pourquoi alors les gouvernements du Canada ne relèvent-ils pas leurs droits de coupe, disons... de 20%? Pensez-vous sérieusement qu'on perdrait une part significative du marché? Selon les économistes canadiens l'imposition des droits compensateurs américains n'aura pas d'impact significatif sur l'économie canadienne. On va donc laisser le gouvernement américain prélever des taxes de 29% sur nos exportations de bois d'oeuvre. Que va-t-il faire avec le produit de ces taxes?  
  
          Pourtant avec une augmentation des droits de coupe on pourrait donner de l'emploi à des travailleurs canadiens pour améliorer les forêts canadiennes. Il n'y aurait pas de perte de marché et pas de perte d'emplois au Canada. On me dira que l'augmentation des droits de coupe causerait une augmentation des prix de la construction au Canada. Il suffirait alors d'exempter le bois d'oeuvre de la TPS et de la taxe de vente, de permettre aux Canadiens de déduire l'intérêt de l'hypothèque de leur maison de leur revenu imposable. En réalité c'est le système canadien des quotas et des droits de coupe qui est protectionniste. L'occasion est là pourtant d'en finir avec ce système arbitraire et d'en venir enfin au libre marché. 
  
Qu'attendent les Canadiens pour réagir? 
  
          Toujours selon Claude Chiasson, « l'Ouest de notre pays s'est fait dépouiller depuis le début de l'année d'au moins 13 importantes compagnies pétrolières par des prédateurs américains. » (Le Devoir, 6 novembre 2001) Qu'attendent les Canadiens pour réagir? Au lieu de se lamenter comme des gamins, ils devraient comprendre que s'ils veulent donner leurs richesses aux Américains, ces derniers ne vont pas les refuser « ...à ce prix là! » (comme on dit dans la publicité de Métro). 
  
          Dans tous les secteurs de l'économie c'est la même chanson qu'entonnent les Canadiens. Comme des sirènes ils chantent aux Américains: « Venez chez-nous, ça coûte pas cher ». C'est pareil pour le bois d'oeuvre, nos prix sont trop bas. Les propriétaires de forêts privés au Canada ne vivent pas de leurs forêts parce que les droits de coupe dans les forêts des gouvernements sont trop bas. Les gouvernements donnent littéralement le bois aux entreprises forestières. Ils sont tellement bas que les gouvernements eux-mêmes n'ont pas les moyens d'entretenir les forêts publiques qu'ils dilapident. Pourquoi faudrait-il qu'on produise toujours plus? Pourquoi faut-il viser à épuiser nos ressources? Ne pourrait-on pas chercher à produire mieux? C'est comme l'industrie du porc, va-t-on en produire jusqu'à ce qu'on ait des fosses à purins mur-a-mur? On s'en va vers un désastre écologique à moyen terme qu'on essaye de se cacher à nous-mêmes, parce qu'on ne regarde pas plus loin que le bout de notre nez. 
  
          C'est un cercle vicieux. Peut-être le dollar canadien baisse-t-il constamment parce que nos prix sont trop bas? Au lieu de penser à adopter le dollar américain, on serait mieux de se rendre compte que nos richesses sont vraiment des aubaines. 
 
 
 
<< retour au sommaire
 PRÉSENT NUMÉRO