Montréal, 8 juin 2002  /  No 105  
 
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Carl-Stéphane Huot est étudiant en génie mécanique à l'Université Laval.
 
SCIENCES, INDUSTRIES ET SOCIÉTÉ
 
INDUSTRIALISATION DU TIERS-MONDE:
DÉFIS ET OBSTACLES
 
par Carl-Stéphane Huot
 
 
          Je lisais avec un peu de cynisme, je l'avoue, les revues L'aut'journal et Recto Verso, deux des (nombreux) organes de presse de la go-gauche militante québécoise. Un thème a retenu mon attention, celui du développement industriel dans la future zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA), particulièrement hors des deux pays les plus riches, le Canada et les États-Unis. Une des conditions que pose la gauche à son adhésion à ce traité est l'obtention de conditions de travail similaires à celles du Nord pour tous les pays membres avant que le traité soit signé. Mouais...
 
Faible productivité 
  
          Ce problème de développement industriel est le même à l'échelle mondiale, il touche d'une manière ou d'une autre tous les continents. Qu'il soit lié à l'admission des pays d'Europe de l'Est au sein de l'Union européenne, ou aux économies d'Asie et d'Afrique qui concurrencent l'Occident pour des emplois « à basse teneur en savoir », le débat tourne autour des mêmes questions auxquelles nous, Nord-Américains, sommes confrontés avec la ZLÉA. 
  
          Comme je l'ai écrit le mois dernier, le développement industriel ne se fait pas sans une certaine logique (voir: LE DÉCLIN DES RÉGIONS: UN COMPLOT, VRAIMENT?, le QL, no 104). Même si le problème de l'analphabétisme semble être moins criant en Amérique centrale et du Sud qu'en Asie centrale ou en Afrique par exemple, il n'en demeure pas moins que le degré de scolarisation est beaucoup moindre qu'en Amérique du Nord. 
  
          D'autre part, les pays d'Amérique latine ont souvent des problèmes d'infrastructures déficientes, qu'il s'agisse des routes (aériennes, terrestres ou maritimes), des communications, du système bancaire, des égouts ou de l'électricité. Si nous ajoutons à cela un problème endémique de corruption et une stabilité gouvernementale parfois chancelante – le cas de l'Argentine est patent –, il est très difficile pour ces pays de convaincre qui que ce soit d'y investir. 
  
          La décision pour un entrepreneur de s'installer en Amérique centrale ou du Sud viendra d'abord d'une analyse financière. Il devra évaluer où son usine sera la plus rentable, compte tenu de toutes les possibilités et contraintes auxquelles il aura à faire face. Le principal intérêt de s'installer en Amérique latine demeure le faible coût de la main-d'oeuvre. En effet, les moyennes de salaire sont de quelques milliers de dollars seulement contre environ 25 000 $ en Amérique du Nord. 
  
     « Ce que défendent la gauche et surtout les syndicats des pays riches, dans le fond, sous de pieux principes, ce sont les conditions de travail de leurs propres membres. »
  
          Cela est particulièrement important lorsque les industries sont peu mécanisées et ne demandent aucun savoir particulier. En effet, ces industries sont globalement peu productives. Par exemple, j'ai déjà travaillé comme ouvrier dans une industrie de transformation alimentaire. Peu mécanisée – elle n'était en somme qu'une cuisine avec des ustensiles géants et quelques convoyeurs –, elle employait surtout des travailleurs ne possédant pas de diplôme d'études secondaires. Nous avions alors pu évaluer la valeur de la production à 115 à 120 $ par travailleur par heure. En comparaison, un ingénieur produit une valeur moyenne entre 375 et 500 $ par heure. Il est probable qu'un employeur qui s'installe en Amérique du Sud obtienne des taux plus bas, mais cela nous donne quand même une idée de la rentabilité de l'éducation. 
  
Faux raisonnement 
  
          Ce que défendent la gauche et surtout les syndicats des pays riches, dans le fond, sous de pieux principes, ce sont les conditions de travail de leurs propres membres. Ils se font la réflexion suivante: si nous obligeons nos gouvernements à faire pression sur d'autres gouvernements pour qu'ils améliorent les conditions de travail de leurs concitoyens, et que nous maintenons les barrières tarifaires pour empêcher d'autres entreprises ayant des coûts de main-d'oeuvre plus bas de prendre les marchés de nos entreprises, nous garderons ces emplois ici. Les employeurs ne seront plus tentés de déplacer leurs usines, ce qui nous coûte des emplois et réduit notre pouvoir de négociation. 
  
          Ce raisonnement est pourtant faux. Lorsque certains types d'emplois disparaissent dans une économie, d'autres types font leur apparition. Ainsi, avec la mécanisation accrue, un certain nombre d'emplois d'ouvriers de chaîne de montage sont disparus pour laisser place à des postes de techniciens qui sont là pour construire, entretenir, réparer et programmer les machines. Cela crée souvent d'autres entreprises, parce que l'entreprise industrielle est alors intéressée à déléguer ce type de tâches à d'autres, plus spécialisées. 
 
          Aussi, de nouveaux types d'emplois sont créés en ingénierie, en construction (pour les nouvelles usines du sous-traitant ou pour la mise à niveau de l'ancienne usine désormais mécanisée), dans les services bancaires pour modifier la structure de la dette de l'entreprise, de nouveaux postes en enseignement pour former le personnel, et beaucoup d'autres. À court terme, cela entraîne effectivement des mises à pied de travailleurs moins qualifiés, mais à moyen et long terme cela se traduit plus par une modification du type d'emplois disponibles que par des pertes d'emplois. On assiste par exemple à une augmentation du nombre d'emplois dans les secteurs du tourisme, du spectacle ou de la restauration, parce que les gens auront plus d'argent à dépenser en loisirs, puisqu'une plus grande richesse générale résulte de cette productivité accrue. 
 
          Le Tiers-Monde se trouve aujourd'hui dans une situation que nous avons partiellement vécu voici longtemps: peu de gens instruits, peu d'infrastructures, et une économie en marge de pays ayant une forte avance côté développement. Il sera peut-être possible de sauter des étapes dans ce développement, mais pas toutes. Par des transferts technologiques ou la formation de personnel qualifié en Occident, il pourra être accéléré. Mais les défis demeurent nombreux, tant au niveau physique qu'idéologique. 
 
          Chose certaine, l'élimination des barrières tarifaires qui pénalisent les exportations de ces pays chez nous, tout comme les trop nombreuses subventions à nos entreprises et nos agriculteurs qui leur font concurrence, sera bénéfique pour eux comme pour nous. 
  
 
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