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Montréal, 8 juin 2002 / No 105 |
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par
Frank Shostak
Le 16 août prochain le gouvernement américain utilisera une nouvelle version de l'indice des prix à la consommation (IPC), qui est censée mieux refléter l'inflation. Le nouvel indice pourra être révisé au fur et à mesure que de nouvelles données sont disponibles, ce qui ne peut être fait avec le présent indice. Celui-ci est critiqué depuis longtemps pour sa tendance à surestimer le taux d'inflation. L'espoir est donc, pour la Réserve fédérale (banque centrale américaine), de mieux combattre l'inflation. |
L'inflation
est-elle l'augmentation des prix?
La principale difficulté lorsqu'on parle d'inflation est de définir le problème correctement. Par exemple, la définition de l'action humaine n'est pas que les individus sont engagés dans toutes sortes d'activités, mais qu'ils sont engagés dans des activités ayant un but. De même manière, l'essence de l'inflation n'est pas une augmentation générale des prix, mais une augmentation de l'offre de la monnaie qui, à son tour, met en mouvement une augmentation générale des prix des biens et services. Prenons l'exemple d'une offre fixe de la monnaie. Lorsque les individus accroissent leur demande de certains biens et services, il en résulte une allocation différente pour les autres biens. Ainsi, les prix de certains biens augmenteront car plus d'argent leur sera consacré, alors que pour d'autres ils baisseront puisque moins d'argent leur sera alloué. Si les individus ont une demande plus grande d'argent, c'est-à-dire qu'ils décident de moins dépenser ou d'épargner davantage, une baisse générale des prix en résultera. Pour qu'une économie connaisse une augmentation générale des prix, il doit y avoir préalablement une augmentation de la quantité de monnaie. Avec ce plus grand stock de monnaie et aucun changement dans la demande, les individus peuvent allouer plus d'argent aux biens et services de leur choix. Nous pouvons donc conclure que l'inflation est une augmentation de l'offre de la monnaie. Ludwig von Mises écrivait dans son essai intitulé Inflation: An Unworkable Fiscal Policy: De la manière dont le terme inflation a toujours et partout été utilisé, il signifie une augmentation de la quantité de monnaie, de billets bancaires en circulation et de dépôts dans les comptes chèques. Aujourd'hui, les individus utilisent ce terme en se référant à ce qui en est l'inévitable conséquence, à savoir la tendance à la hausse des prix et des salaires. Le résultat de cette déplorable confusion est qu'il ne reste plus de terme pour relater la cause de cette augmentation. Il n'y a plus de terme disponible pour relater le phénomène qui a été jusqu'à maintenant appelé inflation... Puisqu'on ne peut parler de quelque chose qui n'a pas de nom, on ne peut la combattre. Ceux qui prétendent combattre l'inflation ne combattent, en réalité, que sa conséquence, soit les prix qui montent. Leurs tentatives sont vouées à l'échec car elles ne s'attaquent pas à la racine du mal. Ils essaient de maintenir les prix bas tout en poursuivant la politique d'augmenter la quantité de monnaie qui les fera inévitablement monter. Aussi longtemps que cette confusion terminologique ne sera pas dissipée, il ne peut être question de stopper l'inflation.Lorsque l'inflation est considérée comme l'augmentation générale des prix, alors tout ce qui contribue à cette augmentation est qualifié d'inflationniste. Ce n'est plus la banque centrale et le système des réserves fractionnaires qui sont les sources de l'inflation, mais plutôt d'autres causes diverses. Dans ce cadre de pensée, non seulement la banque centrale n'a rien à voir avec l'inflation, mais au contraire elle est vue, contre toute évidence, comme le grand combattant de l'inflation. Ainsi, une baisse du taux de chômage ou une augmentation de l'activité économique est vue comme un déclencheur potentiel d'inflation qui doit être contré par l'action de la banque centrale. D'autres déclencheurs, tels l'augmentation des prix des matières premières ou des salaires, sont également considérés comme des menaces potentielles qui doivent tomber sous l'oeil vigilant de la banque centrale. La définition populaire ne peut expliquer pourquoi l'inflation est mauvaise Si l'inflation n'est qu'une augmentation générale des prix, alors pourquoi cela est-il qualifié de mauvaise nouvelle? Quel dommage cela fait-il? Les économistes populaires soutiennent que l'inflation, qu'ils définissent comme l'augmentation générale des prix, cause l'achat spéculatif qui génère perte et gaspillage. Ils prétendent également que l'inflation gruge les revenus réels des rentiers et des gens à bas revenus et cause une mauvaise allocation des ressources.
Malgré ces conclusions quant aux effets secondaires de l'inflation, les économistes populaires ne nous disent pas comment tous ces effets négatifs sont causés. Ainsi, on peut se poser les questions suivantes: pourquoi une augmentation générale des prix peut-elle toucher un groupe d'individus en particulier et non les autres? Pourquoi une augmentation générale des prix affaiblit-elle la croissance réelle de l'économie? Et pourquoi l'inflation résulte-t-elle en une mauvaise allocation des ressources? De plus, si l'inflation n'est qu'une augmentation de prix, alors il est sûrement possible de contrebalancer ses effets en ajustant les revenus de chacun à ladite augmentation. Toutefois, si l'on accepte de définir l'inflation comme étant une augmentation de l'offre de la monnaie, toutes ces interrogations peuvent s'expliquer aisément. Ce ne sont pas les symptômes d'une maladie, mais la maladie même qui cause les dommages physiques. De même, ce n'est pas une augmentation générale des prix, mais l'augmentation de la quantité de monnaie qui inflige le dommage physique aux générateurs de richesses. L'augmentation de l'offre de la monnaie enclenche un mouvement où rien est échangé pour quelque chose(1). Cette augmentation a pour conséquence une diversion des biens des producteurs de richesses vers les détenteurs du nouvel argent. Cela seul crée la mauvaise allocation des ressources. De plus, les bénéficiaires de ce nouvel argent sont toujours ceux qui le reçoivent les premiers puisqu'ils peuvent détourner pour eux-mêmes une plus grande part de la richesse. Ceux qui ne reçoivent pas ce nouvel argent, ou ne réussissent à y mettre la main que plus tardivement, constateront qu'il ne leur restera que des miettes. D'autre part, les revenus réels baissent non pas parce qu'il y a augmentation générale des prix, mais parce qu'il y a augmentation de l'offre de la monnaie. En d'autres mots, l'inflation, la vraie, diminue le stock des biens disponibles et mine ainsi la production de la richesse réelle, c'est-à-dire diminue les revenus réels. L'augmentation générale des prix ne fait qu'indiquer l'érosion du pouvoir d'achat de la monnaie, car l'augmentation des prix en soi ne mine pas la création de la richesse réelle comme tel. À partir d'une définition erronée de l'inflation, certains économistes prétendent qu'un bas taux d'inflation est une condition pour une bonne croissance économique. Pour eux, l'inflation est une mauvaise nouvelle uniquement lorsqu'elle atteint un taux élevé. Or, si l'augmentation générale des prix est le résultat d'une plus grande quantité d'argent, comment cela peut-il être bénéfique de stabiliser le taux à un niveau bas? Enfin, on ne peut certes pas dire que le détournement des biens d'entre les mains de ceux qui les ont créés est positif pour la croissance économique. La compréhension erronée de Friedman de l'inflation Certains économistes, tel Milton Friedman, maintiennent que si l'inflation est prévue par les producteurs et consommateurs, cela ne cause que peu de dommages. Le problème, selon Friedman, est avec l'inflation qui n'est pas prévue, car elle cause une mauvaise allocation des ressources et affaiblit l'économie. Selon Friedman, une augmentation des prix peut être stabilisée par des injections monétaires fixes et ce faisant les individus adapteront leur conduite de façon conséquente. Ainsi, dit-il, l'augmentation générale des prix, qu'il qualifie d'inflation, sera sans danger. Notez que, pour Friedman, les effets négatifs ne sont pas causés par une augmentation de l'offre de la monnaie mais par sa conséquence, soit l'augmentation des prix. Il voit l'offre de monnaie comme un outil qui peut stabiliser l'augmentation générale des prix, et ainsi promouvoir la croissance économique. Selon cette façon de penser, tout ce qui est requis est un taux fixe de production de monnaie et le reste suivra. Toutefois, il ne semble pas venir à l'esprit du distingué professeur que la production de monnaie à taux fixe ne change pas le fait que la quantité de monnaie continue de s'accroître. Cela, à son tour, signifie que la diversion des ressources des producteurs de richesses vers les détenteurs du nouvel argent se poursuivra en dépit de prix plus stables. Bref, la politique de stabilisation des prix générera fort probablement plus d'instabilité. Bien qu'une augmentation de l'offre de monnaie risque de se traduire par une augmentation générale des prix, il n'en sera pas toujours ainsi. Les prix sont déterminés par des facteurs réels et monétaires. Il est donc possible qu'il n'y ait pas de changement apparent des prix si ces facteurs prennent une direction opposée. En d'autres mots, malgré une forte augmentation de la monnaie en circulation, c'est-à-dire une inflation élevée, les prix peuvent rester pratiquement inchangés. Dès lors, si nous qualifions d'inflation une augmentation générale des prix, nous en arrivons à une conclusion erronée de l'état de l'économie. À ce propos, Murray Rothbard disait: Pourquoi les indices des prix ne peuvent établir l'état de l'inflation? Puisque l'inflation n'est pas une augmentation générale des prix, tenter d'élaborer un indice plus précis des prix à la consommation est un exercice futile. De plus, en dépit de sa popularité, le concept même de l'IPC ne tient pas, car il est basé sur l'idée qu'il est possible d'établir une moyenne des prix des biens et services. Supposons deux transactions. Dans la première, un pain est échangé pour Il est intéressant de noter que dans les marchés des matières premières, les prix sont cotés en dollars/baril d'huile, dollars/once d'or, dollars/tonne de cuivre, etc. Il va sans dire que cela ne ferait aucun sens d'établir une moyenne de ces prix. De même, il ne fait aucun sens d'établir une moyenne des taux de change: dollar US/dollar Can, dollar/yen, etc. Sur cette question Rothbard écrit: Si des changements aux indices des prix ne peuvent nous indiquer la présence réelle d'inflation, qu'est-ce qui le peut? Tout ce qu'il s'agit de faire est de porter attention au taux de croissance de l'offre de la monnaie. Plus grand est le taux de croissance, plus grande sera l'inflation. Suivant la définition de l'offre de la monnaie établie par l'École autrichienne d'économie, nous pouvons conclure que l'inflation aux États-Unis s'accélère. Le taux annuel d'inflation a atteint 9,5% en février 2002 alors qu'il était de 0,1% en janvier 2001. De plus, entre 1980 et 2001, le taux moyen d'inflation était d'environ 14%. Cela démontre clairement que la banque centrale n'est pas là pour combattre l'inflation, mais, au contraire, qu'elle en est la principale cause.
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