Montréal, 6 juillet 2002  /  No 106  
 
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Marc Grunert enseigne les sciences physiques dans un lycée de Strasbourg et anime le Cercle Hayek, consacré à la réflexion et à la diffusion du libéralisme. Il est également éditeur adjoint du QL pour la section européenne.
 
CHRONIQUE DE RÉSISTANCE
 
LA MASCARADE CONSTITUTIONNELLE
 
par Marc Grunert
  
 
          La dernière farce de Fidel Castro(1) a le mérite pédagogique de démontrer l’ambivalence irréductible des constitutions et l’impossibilité dans laquelle elles se trouvent de garantir quoi que ce soit sur le long terme. Les démocraties font évoluer leur constitution progressivement et les dictatures en décrépitude s’en servent pour temporiser et se mettre à l’abri juridiquement. C’est ainsi que Castro a fait voter un amendement qui stipule que par « la volonté du peuple » le socialisme est désormais « irrévocable ». Fidel Castro, pendant plus de trois heures, a expliqué qu'il s'agissait « fondamentalement de garantir l'avenir, d'établir les bases idéologiques pour que le pays ne puisse jamais revenir en arrière ».
 
          Évidemment ce que la « volonté du peuple » a fait, la même « volonté » peut le défaire, n’en déplaise à Castro. C’est la mascarade constitutionnelle. Elle marque l’échec de la stratégie constitutionnelle des opposants du régime et du projet Valéra « pour lequel, selon la Constitution cubaine, 11 000 citoyens ont demandé que soient soumises à référendum des propositions légalisant le droit d'association et d'expression, l'amnistie des prisonniers politiques, la liberté d'entreprendre et l'organisation d'élections libres(2). » 
  
L'échec de la solution constitutionnelle 
  
          Le prix Nobel d’économie Friedrich Hayek avait ardemment combattu le socialisme et la démocratie illimitée. Il voyait, avec raison, dans l’idéologie socialiste une « présomption fatale »(3), c’est-à-dire la prétention du pouvoir politique, primo, de posséder assez d’informations centralisées pour transformer rationnellement la société, et secundo, d’incarner un indéfinissable « intérêt général » ou « public » afin d’obliger les individus, irrésistiblement mus par des intérêts égoïstes, de poursuivre non pas leurs propres objectifs mais ceux des « clairvoyants » hommes de l’État. 
  
          La critique de Hayek s’est avérée fondée depuis le début(4) même s’il a longtemps prêché dans le désert (voir « La vie et l’oeuvre de Friedrich Hayek »). Pourtant, ce grand penseur n’a pas su imaginer la réponse adéquate. Au lieu de constater que les pères fondateurs de la Constitution américaine s’étaient trompés en acceptant de donner corps à un État – fût-il conçu pour être un chien de garde enchaîné et à la niche –, Hayek est resté attaché à la solution constitutionnelle. Pourtant l’histoire a plus que démontré que l’État brise toujours sa chaîne et devient une bête enragée, agressant finalement toutes les libertés individuelles au nom du mythique « intérêt général » ou de la « démocratie ». 
  
L'État, le mal absolu 
  
          Les démocraties sociales, censées être le paradis des libertés, sont le résultat d’une évolution historique irrésistible vers plus de sécurité et moins de liberté. Ce mouvement est inexorable en raison de la nature même du pouvoir politique. C’est lui qui engendre l’insécurité qu’il est appelé ensuite à résoudre. Guerre, chômage, inflation, incertitude juridique, autant de produits inévitables des États, sources d’insécurité et de malheur public. Il est assez cocasse, donc, que ce soit justement à l’État que l’on songe pour résoudre des problèmes que lui seul engendre par nature. 
  
          Il n’y a pas de solution constitutionnelle à la croissance du pouvoir politique et à l’évaporation concomitante de la liberté. D’une part une constitution est indéfiniment révisable. Le nombre de « Républiques » françaises est là pour en témoigner, et les révisions internes de la Constitution de la Ve République aussi. Il y a, de plus, l’interprétation indéfiniment élastique des textes qui a fait qu’en l’espace de 200 ans l’esprit de la Constitution américaine a été lamentablement bafoué pour donner à l’État fédéral un pouvoir quasi-illimité. D’autre part, il doit être bien évident pour tous que le pouvoir politique est un mal absolu. On ne peut pas choisir le mal absolu. 
  
     « L'État est enrobé de mythologies. À commencer par lui-même car l'État n'existe pas en soi, seuls les hommes de l'État existent. Or ils ne peuvent ni exister, ni agir, sans agresser les droits de propriété et les libertés des individus. »
 
          Alors que dans une société sans État, où tous les services désirés pourraient être fournis par des entreprises privées, les individus font face à la responsabilité de choisir entre le mal (l’agression de la propriété d’autrui) et le bien (la non-agression), dans une société où l’État existe le mal est une institution. 
  
La solution anarchiste 
  
          Une constitution est censée être la solution libérale au problème de l’extension du pouvoir politique et de la préservation des libertés individuelles. Mais, à moins de constitutionnaliser quasiment tout ce qui relève de la politique ordinaire, ainsi que le souhaitait Hayek, et de verrouiller le tout on ne sait comment (Hayek proposait un système: la démarchie(5)), les démocraties constitutionnelles dites « libérales » sont désespérément vouées à sombrer dans le totalitarisme sécuritaire et liberticide, avec à l’horizon de l’utopie « le meilleur des mondes », un monde où un trait de la société sécuritaire et étatisée actuelle aura atteint son plus haut degré, l’amour de la servitude(6). 
  
          La solution anarcho-capitaliste consiste tout simplement à être cohérent et à ne pas se laisser impressionner par les préjugés de l’histoire. Tous les gens raisonnables conviennent que le pouvoir politique n’est pas capable de rivaliser avec le marché dans la production des services et des biens. Les services de sécurité et de justice seraient donc a priori fournis en qualité et en quantité optimales par le marché. Il n’y aucune raison logique de prétendre le contraire(7). 
  
          Il y a même nombre d’arguments critiques qui devraient nous inciter à supprimer les monopoles d’État dans la production de ces services: en raison de la contrainte de budget et des préférences des hommes de l’État pour les politiques « sociales » (achat de clientèles), les services de police et de justice sont fournis à l’aveugle, sans savoir où sont les besoins et en quelle quantité; de manière symptomatique, c’est la légion des hommes de l’État qui est la mieux protégée; les zones d’insécurité prolifèrent car le droit de porter des armes est refusé aux citoyens honnêtes et l’industrie privée de la sécurité est très limitée; le système judiciaire est de très mauvaise qualité: trop de lenteur, des lois excessivement compliquées et sans principes inamovibles (les droits de propriété sont de plus en plus relatifs et piétinés). 
  
          L'État est enrobé de mythologies. À commencer par lui-même car l'État n'existe pas en soi, seuls les hommes de l'État existent. Or ils ne peuvent ni exister, ni agir, sans agresser les droits de propriété et les libertés des individus. En conséquence, une société de liberté cohérente et non violente ne peut admettre qu’une seule « constitution »: « Chacun fait ce qu’il veut avec ce qui lui appartient et rien qu’avec ce qui lui appartient(8). » 
  
          Exit les hommes de l'État! 
  
  
1. AFP, « Le Parlement cubain vote à l'unanimité pour un socialisme "irrévocable" », Lemonde.fr, 27 juin 2002.  >>
2. Alain Abellard, « Fidel castro affirme le caractère "immuable" du socialisme cubain », Le Monde, 18 juin 2002.  >>
3. F.A. Hayek, La présomption fatale, PUF, libre échange, Paris, 1993.  >>
4. F.A. Hayek, La route de la servitude, PUF, quadrige, Paris, 1993 (1ere edition: Librairie de Medicis, 1946).  >>
5. F.A. Hayek, Droit, législation et liberté, PUF, libre-échange, tome III: L'ordre politique d'un peuple libre, Paris, 1995.  >>
6. « Un État totalitaire vraiment "efficient" serait celui dans lequel le tout-puissant comité exécutif des chefs politiques et de leur armée de directeurs auraient la haute main sur une population d’esclaves qu’il serait inutile de contraindre, parce qu’ils auraient l’amour de la servitude », Aldous Huxley, Brave new world, 1932.  >>
7. Voir l'anarcho-capitalisme, Pierre Lemieux, PUF, Que-sais-je?, chapitre III en page 11 du présent numéro (l'édition est épuisée, mais on peut encore en trouver d'occasion sur www.chapitre.com). On trouvera un extrait du livre relatif à Gustave de Molinari sur le site catallaxia.org. Dans Les Soirées de la rue Saint-Lazarre, Molinari développe l'idée d'une industrie (privée) de la sécurité. Voir le site d'Hervé de Quengo>>
8. Christian Michel, message N° 1873, Forum du Cercle Hayek>>
  
 
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